Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Un nouveau coup à la souveraineté nationale et à la démocratie

Négociations commerciales transatlantiques -

Par / 9 janvier 2014


négociations commerciales transatlantiques du 9... par senatpcf

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons ce matin, à la demande du groupe socialiste, des négociations commerciales transatlantiques. Il s’agit d’une initiative particulièrement utile car, malgré ce que prétend la Commission européenne, la plus grande opacité règne sur ces négociations.

Je constate vos efforts, madame la ministre, pour communiquer régulièrement sur le sujet et mettre en place un certain niveau de concertation, mais l’opacité en vigueur à l’échelon européen est un très mauvais signal envoyé aux citoyens, qui sont appelés à élire leurs députés européens en mai prochain. Le contenu de ces négociations devrait pourtant constituer un grand enjeu de ces élections.

En l’état, la négociation du partenariat transatlantique fait apparaître de grandes similitudes avec celle du projet d’accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI, qui s’est déroulée entre 1995 et 1997. La divulgation in extremis d’une copie de ce dernier avait alors soulevé un tollé général, et le projet avait été remisé.

Quinze ans plus tard, nous voici confrontés à un nouveau projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis.

S’il s’agissait d’une harmonisation vers le haut permettant une amélioration des règles sanitaires, sociales, économiques, environnementales, ce projet d’accord pourrait constituer une avance très positive. Cependant, lorsque l’on prend connaissance des éléments d’information qui filtrent çà et là, on constate qu’il présente au contraire un certain nombre de menaces pour les droits sociaux et l’emploi, l’environnement, l’agriculture, les droits civiques, la vie privée, la santé, la régulation financière et la démocratie.

Tout d’abord, j’émets quelques doutes quant à la véracité des schémas économiques proposés. Il faut savoir que la quasi-totalité des études réalisées en vue de l’élaboration de cet accord ont été financées par des acteurs largement favorables au libre-échange : c’est la raison pour laquelle on ne trouve que des prévisions très optimistes sur les retombées économiques de ce partenariat.

Le commissaire européen au commerce, reprenant à son compte ces études, estime que ces retombées « devraient être de l’ordre de 0,5 % à 1 % du PIB européen, avec à la clef des centaines de milliers d’emplois créés »…

La réalité pourrait se révéler bien différente. Ces prévisions doivent être prises avec la plus grande précaution, car elles sont décrites par de nombreux spécialistes comme extrêmement spéculatives. Elles sont fondées sur une hypothèse d’augmentation de la croissance de 0,5 %, que la Commission elle-même juge « optimiste ». Même le département du Parlement européen chargé des études d’impact les a critiquées, pointant notamment « l’absence de vérification quant à la crédibilité du modèle employé, qui semble basé sur un certain nombres d’hypothèses idéalisées ».

Faute de véritables études d’impact indépendantes, nous pourrions considérer les précédentes expériences d’accords commerciaux, par exemple l’Accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, qui présente de nombreuses similitudes avec le présent projet et qui a conduit à la destruction de près de 1 million d’emplois aux États-Unis, alors que l’État fédéral promettait la création de 20 millions d’emplois… Une dégradation des conditions de travail a également été constatée.

Il me semble indispensable, pour la réussite de ce type d’accord, que la priorité soit aussi donnée au progrès social et à l’amélioration des conditions de travail. Si l’on veut éviter que surviennent de nouvelles crises, on ne saurait fixer pour seule priorité de libéraliser encore plus les marchés, de protéger seulement les investisseurs et les secteurs financiers.

Il me semblerait donc indéfendable que les politiques de protection sociale et de droit du travail, considérées comme des « barrières non tarifaires », soient mises à mal au travers de cet accord.

Certes, des dirigeants européens nous affirment que le mandat de négociation garantit un haut niveau de protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs, préservant l’acquis réglementaire des États membres de l’Union européenne et le droit des partenaires à établir des règles publiques dans ces domaines. Cependant, compte tenu des disparités existant au sein même de l’Union européenne, pouvez-vous nous préciser, madame la ministre, comment on peut caractériser un « haut niveau de protection » ?

Au travers de nombreuses déclarations, des responsables européens soutiennent en outre que la haute qualité des services publics européens devra être préservée, en conformité avec leur reconnaissance par les traités européens. Les engagements internationaux déjà pris par l’Union européenne, notamment au sein de l’Accord général sur le commerce des services, l’AGCS, élaboré par l’OMC, doivent rester la référence, mais, là encore, je m’inquiète sincèrement pour le devenir de ces services public, car nous savons que le futur traité a aussi vocation à porter sur les secteurs non marchands.

Le Sénat, dans sa résolution adoptée en juin dernier, a souligné un certain nombre de priorités européennes pour ces négociations. Certains principes me paraissent intangibles, tels la préservation de la sécurité sanitaire, la non-brevetabilité du vivant, le maintien des restrictions applicables à la diffusion des OGM. Or, de grandes firmes états-uniennes comme Monsanto exercent une forte pression afin que ces derniers puissent être écoulés sur le marché européen.

Les normes de qualité dans l’alimentation sont, elles aussi, prises pour cibles. Pour l’industrie agroalimentaire américaine, la réglementation européenne doit être assouplie et autoriser, par exemple, la désinfection des poulets au chlore ou l’utilisation de la ractopamine dans l’élevage porcin : ce médicament, destiné à « gonfler » la teneur en viande maigre, est pourtant interdit dans cent-soixante pays, dont la Chine et la Russie… Il est donc indispensable que le futur accord reconnaisse la possibilité, pour chaque partie, d’apprécier différemment le risque alimentaire, sanitaire ou environnemental.

La proposition de résolution européenne du groupe CRC relative au respect de l’exception culturelle dans le mandat de négociation, reprise en partie dans la résolution du Sénat, me semble également importante au regard de la préservation de la diversité culturelle, cette richesse indispensable. Seule l’exception culturelle a permis à la France et à l’Europe de maintenir une offre culturelle propre, vivante, d’une grande qualité et d’une grande diversité. Elle est vitale pour la création.

La France a toujours défendu avec force l’application de l’exception culturelle en Europe, l’identité et la diversité culturelles contre le commerce international. Mais cette bataille, malgré l’exclusion des services audiovisuels du champ du mandat de négociation, est loin d’être gagnée. Il est donc nécessaire de rester très vigilants.

Le mécanisme de règlement des différends est un autre point auquel il me paraît essentiel d’être attentifs. Pour le moment, on nous indique que la décision finale sur l’inclusion même d’un tel mécanisme dans le traité est renvoyée à une date ultérieure et sera prise après consultation des États membres. Imaginez les conséquences dramatiques que pourrait avoir la création de tribunaux spéciaux chargés d’arbitrer les litiges entre les investisseurs et les États et dotés du pouvoir de prononcer des sanctions commerciales contre ces derniers ! De telles dispositions existent pourtant dans certains traités commerciaux. Ainsi, l’Organisation mondiale du commerce a condamné l’Union européenne à payer plusieurs centaines de milliers d’euros pour sanctionner son refus d’importer des OGM, au motif qu’il s’agissait là d’une entrave au libre-échange.

La nouveauté que pourrait introduire le traité transatlantique est la possibilité, pour les sociétés multinationales, de poursuivre, en leur nom propre, un pays dont la réglementation aurait un effet restrictif sur leur déploiement commercial. Une cour spéciale pourrait condamner un État à de lourdes réparations dès lors que sa législation limiterait les « profits espérés » par la société. Dans de telles conditions, la souveraineté des États serait totalement remise en cause. Cela signifierait que, à tous les échelons démocratiques, seules les politiques répondant aux intérêts des grands groupes industriels et financiers seraient applicables. Les entreprises pourraient ainsi faire appel de décisions concernant les politiques de santé, la protection de l’environnement, la régulation des marchés financiers… Dans un tel contexte, où les parlements seraient dépossédés de leurs prérogatives et les citoyens totalement privés de recours, pourrait-on encore se référer à la démocratie ? Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que la France s’opposera à la mise en place de ce type de mécanisme de règlement des différends ? Il est impensable que les États puissent perdre ainsi leur droit à réguler !

Vous le savez, madame la ministre, mes chers collègues, cet accord transatlantique soulève de très nombreuses questions et craintes au sein du groupe communiste, républicain et citoyen. Je constate qu’un certain nombre de ces craintes sont largement partagées dans cette enceinte.

Nous pourrions aborder d’autres points tout aussi sensibles concernant l’agriculture, la pêche, l’environnement, la protection des données, etc., mais, faute de temps, je me bornerai à poser une question : quels moyens humains, institutionnels et financiers l’Union européenne consacre-t-elle à ces négociations ? Nous savons que, du côté américain, un nombre considérable de consultants sont dépêchés pour suivre l’évolution des négociations et que les lobbyistes s’affairent pour exercer d’énormes pressions. Qu’en est-il du côté européen ?

Un tel accord présente également de très lourds dangers pour l’équilibre du commerce international, notamment pour les pays du Sud, car il régira, s’il est adopté, environ 50 % de l’économie mondiale.

Pour conclure, je dirai qu’une coopération solidaire des peuples est un idéal à atteindre. Malheureusement, les éléments dont nous disposons actuellement n’indiquent pas que nous allions dans ce sens, l’humain venant au contraire bien après les intérêts financiers et économiques.

Je suis intimement convaincu que tout projet d’accord de ce type doit faire l’objet d’un examen démocratique avant d’être adopté. La consultation des peuples me paraît indispensable, si l’on veut faire en sorte qu’un tel accord serve principalement l’intérêt général.

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