Un sentiment d’abandon de la République
Egalité des territoires -
Par Gérard Le Cam / 8 janvier 2014Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans vouloir préjuger de la qualité de nos débats sur ce sujet central qu’est l’égalité des territoires, je dois vous avouer notre lassitude.
Disserter, y compris à la quasi-unanimité sur les travées de cet hémicycle, pour formuler les mêmes constats et porter l’exigence d’égalité républicaine pour l’ensemble de nos concitoyens et de nos territoires, c’est intéressant, mais, disons-le clairement, c’est insuffisant !
L’égalité républicaine doit se construire par des actes. Nous avions d’ailleurs encore récemment la possibilité de faire quelque chose au travers de la loi de finances ou de la proposition de loi que je vous ai présentée en octobre dernier. Cette dernière visait à mieux répartir la dotation de fonctionnement, notamment en milieu rural : pour ce faire, 800 millions d’euros suffisaient, une somme à comparer aux 20 milliards d’euros de cadeaux offerts au patronat avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.
Or tel n’est pas, pour l’instant, le choix fait par le Gouvernement, ni par la majorité parlementaire, et cela dans la continuité du gouvernement précédent, puisque les maîtres mots de la politique menée sont austérité et diminution de l’action publique au travers de la RGPP, devenue la modernisation de l’action publique, la MAP. Cela s’est traduit notamment par la suppression, dans le cadre de la dernière loi de finances, des missions de l’ATESAT, l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, et ce au moment même où les territoires ont le plus besoin d’être accompagnés.
Parallèlement, les dotations aux collectivités sont en berne, avec une diminution continue depuis de trop nombreuses années : la péréquation verticale est au point mort. Les territoires sont au moins égaux devant la pénurie et le désengagement de l’État ! Ils sont également égaux devant les ravages des politiques libérales, qui ont conduit à la désindustrialisation progressive de nos territoires, sous le coup de la compétition mondialisée.
M. Jean-François Husson. Vive le centralisme démocratique ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Le Cam. On en est loin, cher collègue !
M. Jean-François Husson. Heureusement !
M. Gérard Le Cam. C’est ce déchirement qui est d’ailleurs à l’origine de ce que l’on a pu qualifier de révolte des « bonnets rouges » en Bretagne, un territoire que je connais bien.
C’est bien le sentiment d’abandon par la République qui a nourri ce mouvement, sur fond de crise sociale et économique, mais aussi une incompréhension majeure. En effet, il est demandé de réorienter les transports polluants vers des transports plus propres, un vœu que nous partageons. Toutefois, quand l’alternative de transport n’existe pas, l’écotaxe devient tout simplement une taxe.
Le taux de chômage en Bretagne a atteint 9,4 %. Piliers de l’économie bretonne, les secteurs agroalimentaire et automobile vacillent depuis 2012. L’intérim et la construction, secteurs très conjoncturels, subissent également des reculs sensibles en termes d’emploi.
Par ricochet, la demande sociale est de plus en plus forte. Ainsi, en 2012, le nombre d’allocataires du RSA, le revenu de solidarité active, s’est fortement accru en Bretagne, avec 4 000 foyers supplémentaires.
Sur le front de l’emploi, Doux a créé un séisme dans la filière volaille, tout en empochant des millions d’euros d’aides publiques. La fermeture programmée de l’usine GAD constitue une nouvelle catastrophe dans la grave crise que traverse la filière agroalimentaire bretonne. Une fois encore, ce sont plus de 1 000 salariés qui se trouvent pris à la gorge, avec des propositions de reclassement inacceptables vers l’Italie, la Roumanie ou encore l’Autriche !
Cette saignée de l’emploi entraîne colère et déception face à l’impuissance des pouvoirs publics à maintenir l’emploi. Où est donc passé le « redressement productif », qui avait suscité tant d’espoir ? L’emploi et sa préservation sont pourtant les premiers leviers de l’aménagement des territoires, car ils permettent à ces derniers d’être attractifs et accueillants, voire compétitifs, pour reprendre un terme en vogue.
Dans ce cadre, les engagements portés par le pacte d’avenir, s’ils sont significatifs, ne sont pas suffisants. Au fond, ils accompagnent la désindustrialisation au lieu de permettre l’implantation de nouvelles entreprises. Les aides aux entreprises ne sont pas suffisamment assujetties de contreparties liées aux investissements créatifs d’emplois.
Nous attendons des mesures encore plus fortes. Le Gouvernement doit s’opposer à tous les licenciements boursiers et mettre en place de nouveaux dispositifs de régulation et un système de sécurité emploi-formation.
Pour qu’un territoire soit attractif, il faut également qu’il soit relié aux autres territoires par des réseaux de communication, et même de télécommunication, et que les services publics essentiels soient présents. Or c’est de moins en moins le cas.
Dans ce cadre, la priorisation des engagements pris par le schéma national des infrastructures de transport laisse la Bretagne de côté. Si nous sommes satisfaits que le pacte entérine pour 2014 la réalisation du débat public sur les nouvelles liaisons ferroviaires Ouest-Bretagne et Pays de la Loire, qui doivent permettre de mettre Brest et Quimper à trois heures de train de Paris, celui-ci ne s’aventure pas à donner de dates précises pour atteindre ces objectifs. C’est dommage ! Il en va de même pour la mise à 2x2 voies de l’axe central RN 164, en chantier depuis plus de quarante ans, un projet pour lequel il est annoncé encore sept années de travaux.
Nous serons extrêmement vigilants à la réalisation concrète de ces investissements, utiles au désenclavement de la Bretagne, ainsi qu’à ceux qui sont relatifs aux lignes secondaires, comme celle de Lamballe-Dinan-Dol.
Concernant le financement du pacte d’avenir, comment ne pas voir que celui-ci est finalement limité ! En effet, les 2 milliards d’euros annoncés regroupent en réalité des aides de l’État, de l’Europe, mais également des collectivités bretonnes. Dans ce calcul, on additionne des financements déjà acquis et des prêts, qui seront à rembourser. Or la situation exige transparence, respect – des élus comme des habitants – et préservation de la démocratie de proximité, dont les élus locaux sont porteurs.
Il faut également savoir que le total des dépenses annuelles de l’État en Bretagne est, depuis quinze ans, inférieur de 90 millions d’euros par an à la moyenne nationale. (M. Bruno Sido manifeste son scepticisme.)
Cher collègue, les chiffres sont têtus !
M. Bruno Sido. Et les routes gratuites ?
M. Gérard Le Cam. Le rattrapage n’est donc pas à la hauteur. Il s’agit à peine d’une compensation !
Nous souhaitons également que l’effort soit concentré sur les trois premières années. Parallèlement, la péréquation doit être renforcée, en accordant aux communes une dotation de solidarité rurale par habitant égale à celle des villes.
De même, il faut plus de justice dans la répartition des aides du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER. Alors que la Bretagne représente 6,8 % des exploitations et 12 % de la production agricole, elle perçoit simplement 3,8 % de ce fonds.
Il est nécessaire d’anticiper les mutations. En effet, la fin annoncée de la PAC, la politique agricole commune, et la suppression des quotas laitiers font peser de lourdes questions sur l’avenir de la Bretagne, garde-manger de la France.
Cette région, comme toutes les autres, est aujourd’hui touchée de plein fouet par la logique européenne du jeu sur le coût du travail, sous contrainte de l’euro.
Pour sortir la France et ses régions du déclin, il faut ouvrir une ère nouvelle qui nous fasse quitter les ornières du libéralisme, lequel, d’un côté, permet l’évasion fiscale à grande échelle – celle-ci équivaut chaque année à 40 milliards d’euros pour la France et à 1 000 milliards d’euros pour l’Europe – et, de l’autre, jette par-dessus bord les hommes.
La théorie qui se développe actuellement du non-consentement à l’impôt est une remise en cause profonde du modèle républicain et de la souveraineté nationale. Elle réfute l’idée d’un bien commun et d’une communauté de destin.
Comme l’indique Emmanuel Todd, « nous entrons dans une période nouvelle. Il faut voir à quoi servent les prélèvements obligatoires. Au financement de l’État social et des nécessaires biens communs, bien sûr. Mais l’impôt, de plus en plus, permet aussi de servir les intérêts d’une dette publique qui n’est plus légitime. Le prélèvement fiscal sert désormais aussi à donner de l’argent à des gens qui en ont déjà trop. Nous sommes confrontés à une ambivalence de l’impôt, à une ambivalence de l’État, serviteur à la fois de l’intérêt collectif et d’intérêts privés, d’intérêts de classe. »
À ce titre, la remise à plat de la fiscalité, telle qu’elle a été annoncée par le Premier ministre, ne semble pas suffisamment ambitieuse et ne se profile qu’à trop long terme.
C’est en rétablissant la justice sociale dans l’impôt, en permettant que les territoires disposent de moyens concrets pour mener les politiques pour lesquelles ils ont été élus et en faisant en sorte que les services publics de santé, d’éducation, de transports, du numérique maillent très finement les territoires, que nous retrouverons de la nécessaire cohésion sociale.
C’est donc un changement réel et tangible de cap que nous attendons pour permettre l’essor partagé de tous les territoires selon les principes d’égalité et de solidarité.