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Les débats

Une incapacité à comprendre et à résoudre les véritables problèmes liés à la délinquance et à la récidive

Loi pénitentiaire -

Par / 25 avril 2013

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en matière de politique pénitentiaire et de droit des détenus, les gouvernements précédents sont restés sourds aux alertes de l’Observatoire international des prisons et à celles de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme. Nous les avons pourtant relayées tant bien que mal, mais la majorité d’hier, arc-boutée sur ses positions, les a repoussées à chaque fois d’un revers de main.

La frénésie législative en matière de politique pénale visant à réprimer plus et à emprisonner plus masquait en réalité – on le constate aujourd’hui – une incapacité à comprendre et à résoudre les véritables problèmes liés à la délinquance, à la récidive et, plus largement, à la politique pénitentiaire.

Aussi, madame la garde des sceaux, vous vous retrouvez avec un dossier délicat, car malmené durant des années. Vous avez réfléchi à des réformes, notamment lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, et nous aurons bientôt l’occasion d’en débattre dans cette assemblée.

Le travail sera long et complexe sur certains points, peut-être plus facile sur d’autres. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, il y a urgence, car il s’agit de vie et de dignité humaines.

Le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois relatif à la loi pénitentiaire, co-rédigé par Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf, fait, trois ans après la promulgation de ce texte, le constat que son application « se heurte encore à de nombreux obstacles ». Ses auteurs formulent de nombreuses recommandations pour que la France n’ait plus à rougir de ses prisons.

Je vous en épargnerai l’inventaire exhaustif, mes chers collègues – j’imagine que vous connaissez ces recommandations – pour me concentrer sur certains points qui méritent le plus grand intérêt, en vous demandant, sur chacun d’eux, madame la ministre, quels sont les objectifs du Gouvernement et les échéances éventuelles qui ont été fixées.

Pour chacune de nos interrogations, la question des moyens est évidemment au centre du débat, car, sans un financement approprié, la mise en œuvre d’une véritable politique pénitentiaire tournée vers la réinsertion des détenus sera impossible et toutes les déclarations resteront lettre morte, à l’instar de la plupart des dispositions de la loi pénitentiaire de 2009, qui nous avait pourtant donné l’espoir de voir les choses évoluer rapidement.

Cette loi avait ainsi acté le recrutement de 1 000 conseillers d’insertion et de probation supplémentaires. Aujourd’hui, nous sommes loin du compte !

La question des fouilles intégrales, sujet d’actualité depuis l’évasion récente d’un détenu à Lille-Sequedin, bute aussi sur un problème de moyens.

Le rapport constate que, à rebours des décisions prises en 2009, les pratiques en la matière n’ont pas changé dans les centres pénitentiaires. Il préconise d’investir dans des portiques à ondes millimétriques, lesquels permettent de visualiser les contenus du corps et de repérer la présence de substances illicites ou d’objets dangereux sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir, et donc de se déshumaniser. Cet investissement nous semble nécessaire et devrait permettre de concilier les principes de sécurité et de respect de la dignité de la personne.

Sur la question de l’insalubrité, nous ne pouvons plus nous accommoder des conditions de détention indignes qui ont cours dans de nombreux établissements pénitentiaires. La prison des Baumettes a souvent été citée ces derniers mois, mais, malheureusement, de nombreux établissements pénitentiaires sont dans la même situation. La succession de condamnations de l’État par les juridictions administratives pour avoir imposé des « conditions de détention n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » sont là pour nous le rappeler.

Dans certaines prisons, des travaux ont été entrepris, et vous pourriez peut-être, madame la ministre, nous préciser d’ores et déjà quelles sont les prochaines sur la liste. Je rejoins ainsi la demande qui a été formulée par l’Observatoire international des prisons, l’OIP.

Si nous voulons continuer à concevoir la peine comme un temps pour se reconstruire et se réinsérer, il nous faut agir. Il faut aménager la vie en prison de manière aussi proche que possible de la vie en société. L’OIP appelle ainsi à développer une politique de « sécurité dynamique » dans les établissements pénitentiaires, rejoignant ainsi une préconisation du Conseil de l’Europe. Elle consiste à privilégier la prévention et la communication avec les détenus et à ne pas se limiter à la mise en œuvre de mesures de sécurité défensives et de coercition. « Le bon ordre, dans tous ses aspects, a des chances d’être obtenu lorsqu’il existe des voies de communication claires entre toutes les parties », indiquent les règles pénitentiaires européennes.

Cette approche de sécurité dynamique implique un aménagement de la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie sociale, une détention dans des conditions matérielles appropriées », la mise en œuvre « d’occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel ». Cela a été dit, mais il faut aussi des lieux qui permettent de mettre en œuvre ces mesures.

Dans cette perspective, le droit de communiquer avec l’extérieur ou de recevoir des visites, réaffirmé à de nombreuses reprises, mais soumis à de nombreuses restrictions, doit faire l’objet d’une politique volontariste, car l’on se heurte là aussi au manque de création des unités de vie familiales promises par la loi pénitentiaire et dont seuls dix-sept établissements sont dotés pour l’instant.

Enfin, il nous faut supprimer purement et simplement le « mitard » ou quartier disciplinaire, véritable prison dans la prison, lieu mortifère, déshumanisant et indigne d’un pays qui se prévaut d’être la patrie des droits de l’homme.

Je ne reviens pas ici, faute de temps, sur les nombreux suicides que dénonce le rapport de la direction de l’administration pénitentiaire rendu le 28 mars dernier. Ils sont malheureusement révélateurs des conditions de détention dans notre pays.

Toujours dans une perspective de réinsertion, nous ne pouvons que déplorer le fait que le travail en prison reste soustrait à l’application du droit commun, et s’exerce dans des conditions parfois dignes du XIXe siècle.

La loi pénitentiaire a été une occasion manquée de satisfaire aux exigences de l’Observatoire international du travail, tendant à offrir aux personnes détenues des garanties similaires aux travailleurs libres en matière de rémunération, de protection sociale et de sécurité au travail, ce qui, sans aucun doute, ne peut que contribuer à favoriser la réinsertion nécessaire des détenus.

Deux actualités juridiques pourraient être à l’origine d’une évolution sur ce point. En effet, en février 2013, le Conseil des prud’hommes de Paris a condamné une entreprise pour non-respect des procédures de licenciement à l’égard d’une détenue, alors que les juridictions prud’homales avaient toujours refusé de se prononcer sur le travail en prison.

En mars, une question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Conseil constitutionnel, mettant en cause la légalité de l’absence de contrat de travail en prison. Nous espérons qu’elle aboutira à une décision favorable aux détenus, car l’état de détention ne justifie pas de priver le détenu de contrat de travail et de tous les droits sociaux y afférents, affirmés par le préambule de la Constitution de 1946.

Alors que le seul objectif de l’ancien gouvernement était de mener à bien sa politique de l’enfermement, nous avons entendu et approuvons votre volonté de rompre avec cette logique, madame la ministre, et nous l’approuvons. Il faut persévérer dans cet objectif d’évitement de l’emprisonnement, lequel tend à aggraver la situation sociale, psychique et familiale des personnes, à perpétuer les phénomènes de violence et à renforcer les personnes dans un statut de délinquant.

En ce sens, les peines alternatives doivent être privilégiées et l’emprisonnement doit constituer un dernier recours, comme l’affirme la loi pénitentiaire et, plus récemment, les travaux de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, avec comme perspective la suppression des peines planchers et la mise en place du système de « probation »…

Nous devons réussir ensemble, madame la ministre, en nous appuyant aussi sur l’expertise des nombreux organismes et associations présents au quotidien sur le terrain, tels que l’OIP, la Protection judiciaire de la jeunesse, la Ligue des droits de l’homme ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Nous devons donner à la politique pénitentiaire une orientation qui concilie humanité, respect des droits des détenus et sécurité des citoyens.

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