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Les débats

Une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui ne résoudra rien

Situation en Syrie -

Par / 4 septembre 2013
Une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui ne résoudra rien
Une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui ne résoudra rien

Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la tragédie dans laquelle s’enfonce la Syrie et le martyre subi par son peuple placent aujourd’hui la France devant une alternative cruciale : soit préparer la guerre en soutenant les visées de l’administration américaine en Syrie et au Proche-Orient, soit définir un rôle propre, indépendant et positif, contre les illusions de la force et les dangers de l’intervention militaire, pour une solution négociée garantissant l’arrêt des massacres et une transition vers la démocratie.

Le choix qui doit être fait est d’une grande portée pour la Syrie, pour toute la région, pour la France. Il mérite et appelle un débat, mais aussi un vote du Parlement, ainsi que je l’ai demandé au Président de la République dès le 27 août.

Quelque deux Français sur trois se déclarent aujourd’hui opposés à une intervention militaire. En Europe comme aux États-Unis, des constats semblables témoignent aussi d’interrogations, de réticences et d’hostilités massives à la guerre.

Le choix de la guerre ne peut être celui d’un seul homme. Devant un enjeu si crucial, dans un monde devenu si complexe, nos institutions, qui réservent au seul chef de l’État le pouvoir d’engager nos armées, témoignent de leur archaïsme. Je réitère ici notre demande solennelle : aucune décision ne doit être prise sans un vote du Parlement.

M. Jean-Marc Todeschini. Vous voteriez quoi ?

M. David Assouline. Oui, que voteriez-vous ?

Mme Éliane Assassi. À quoi servons-nous, sinon ?

M. Pierre Laurent. La crise syrienne est devenue une terrible guerre civile, déclenchée, il y a plus de deux ans maintenant, par la brutale et sauvage répression lancée par le régime de Bachar Al-Assad contre son peuple et amplifiée depuis par l’internationalisation et l’ingérence militaire croissante des puissances régionales et internationales dans le conflit. La France n’a malheureusement pas été en reste.

Le drame syrien est donc aussi devenu une crise géopolitique internationale, dans une région, le Proche-Orient, où tous les conflits s’entremêlent.

Dans un tel contexte, ce qui est attendu de la France, c’est la capacité à proposer une perspective, une solution, un mode de règlement politique. Or ce qui se prépare, ce que vous nous invitez à soutenir, c’est l’inverse, à savoir une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui, on le sait, ne résoudra rien. La France ne doit pas s’y engager. Elle doit choisir une autre voie d’action. Oui, la France doit agir, mais sûrement pas pour rajouter de la guerre à la guerre, du sang au sang.

Quel est le sens de l’entreprise de guerre que vous envisagez ? Punir le régime de Bachar Al-Assad ? Le « punir », dites-vous, pour empêcher que ne se renouvelle l’usage des armes chimiques. Quelle est la pertinence de ce choix, quelle est son efficacité réelle ? Quelles en seront les conséquences, quelle sera son utilité pour faire progresser l’indispensable solution politique dont le Président de la République affirme lui-même qu’elle reste la seule véritable issue ?

Peut-on bombarder la Syrie, des objectifs militaires, des infrastructures civiles, comme ça, pour « marquer le coup », juste « pour voir », comme au poker, sans s’appuyer sur la légalité du droit international et un mandat de l’ONU, sans évaluer les risques d’un embrasement régional, notamment au Liban où, dans les faits, il a déjà commencé avec une succession d’attentats, de représailles et de vengeances, sans mesurer les conséquences pour les civils syriens, les représailles possibles du régime, sans veiller au sort de nos deux otages dans ce pays ? Ne les oublions pas !

Le degré supplémentaire franchi dans l’horreur par l’usage massif d’armes chimiques justifie, selon vous, que la France entre à son tour ouvertement dans la guerre. Mais pour aller où ?

L’usage des armes chimiques est inqualifiable. C’est un crime effrayant et insoutenable. Il inscrit ceux qui l’ont commis dans la violation manifeste des conventions qui les interdisent : ceux-là devront en rendre compte quand les responsabilités seront clairement établies de manière internationale.

La France, comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a le devoir de remettre tous les éléments dont elle dispose à la mission d’enquête de l’ONU et au Conseil de sécurité pour que ceux-ci établissent officiellement les responsabilités. À cet égard, j’estime qu’en tant que parlementaires, c’est-à-dire représentants d’un pays membre du Conseil de sécurité, nous devrions éviter les déclarations qui, comme j’ai pu l’entendre ici, traitent par-dessus la jambe le travail des inspecteurs de l’ONU.

La France déclare détenir des preuves, et nous les prenons au sérieux, mais rien ne la dispense de tenir compte des résultats de la mission d’enquête de l’ONU, rien ne l’autorise à pouvoir prétendre « punir » seule, sauf à contribuer ainsi elle-même à discréditer la légalité internationale.

Comme le notait déjà la commission d’enquête internationale indépendante dans le rapport remis à l’ONU au mois de juin dernier, « la Syrie est en chute libre, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont une réalité quotidienne en Syrie. Personne n’est en train de gagner la guerre et personne ne la gagnera ». Face à l’amplification des crimes, qui dure depuis des mois, avant même l’attaque chimique, la France doit inlassablement travailler à trois objectifs : tout faire pour que cessent les hostilités ; ramener tous les belligérants, syriens et internationaux, autour de la table des négociations ; imposer une solution politique négociée qui garantisse une transition de la Syrie vers la justice et la démocratie exigée par son peuple.

L’escalade guerrière que vous nous proposez tourne le dos à ces trois exigences. Elle rajoutera de la guerre à la guerre et nous éloignera de la solution politique et négociée incontournable.

Les autorités françaises mesurent-elles avec suffisamment d’attention et de prudence les expériences désastreuses des guerres en Irak, en Afghanistan ou en Libye, conflits que personne dans le monde ne peut oublier ? Chaque fois, on a prétendu imposer, par la force, une « solution » en prenant, selon la formule consacrée, « toutes les mesures nécessaires ». Or les gouvernements coalisés n’ont finalement récolté que la poursuite de la crise, une déstabilisation profonde, voire le chaos.

Le syndrome d’un modèle d’intervention libyen, mené par le pouvoir sarkozyste dont on mesure pourtant aujourd’hui les effets désastreux, a malheureusement dramatiquement marqué la diplomatie française dans la crise syrienne. Est-ce qu’avec ces guerres la démocratie a progressé ? Est-ce que la sécurité s’est renforcée ? Est-ce que les relations et les institutions internationales en sont sorties consolidées ?

Que de questions sans réponse ! Que de risques majeurs sans vision politique digne de ce nom ! Que d’échecs tragiques et stratégiques dont on ne tire pas les leçons !

Encore une question : le peuple syrien, première victime de cette crise, n’est-il pas en réalité le grand oublié de cette tragédie (Mme Éliane Assassi acquiesce), otage dramatiquement effacé de la confrontation des intérêts géopolitiques de puissances dont la Syrie est hélas devenue une sorte de ligne de front ? Au mois de mars 2011, le peuple de Syrie s’est soulevé pacifiquement, comme celui de Tunisie ou celui d’Égypte, au cours de ce que l’on a à l’époque appelé le « printemps arabe »... Ce fut pour les libertés, pour un État de droit, pour la justice sociale, pour la souveraineté.

Ce mouvement, c’est la vérité du peuple syrien, c’est l’espoir du peuple syrien.

Ce mouvement, nous l’avons soutenu contre la dictature criminelle et corrompue de Bachar Al-Assad. Nous le soutenons toujours, en Syrie comme ailleurs.

On voit aujourd’hui combien la conquête de l’émancipation politique et sociale engagée par ces peuples est complexe et difficile. Elle l’est particulièrement en Syrie, où le régime, dès les premiers jours, a choisi une répression féroce et meurtrière qui n’a fait qu’accélérer la militarisation de la crise et une terrible escalade dans la confrontation armée, avec des exactions d’une sauvagerie inouïe.

Le bilan de cette crise est épouvantable ; nous le connaissons tous : plus de 100 000 morts, plusieurs millions de réfugiés, une société pulvérisée par la violence des affrontements, par les divisions politiques et confessionnelles, par les atrocités commises par des groupes salafistes qui sont, pour l’essentiel, des corps étrangers à une société syrienne profondément laïque, mais armés par des puissances régionales dont certaines font, paraît-il, partie de nos alliés…

Alors, oui, il faut arrêter ça ! Il faut arrêter ça pour le peuple syrien. Il faut arrêter ça pour toutes celles et tous ceux qui, en 2011, se sont mobilisés pacifiquement dans ce pays. Il faut arrêter cette escalade tragique et chercher le chemin d’une issue politique pour aller vers une transition démocratique.

Une intervention militaire, dirigée par un duo isolé de puissances occidentales, hors du droit, constituerait un degré supplémentaire dans l’inacceptable, aux conséquences incontrôlables.

Ce n’est pas par la guerre que l’on peut protéger les peuples et gagner une sécurité humaine. La France doit prendre d’urgence un autre chemin, définir une vision politique et prendre de fortes initiatives.

Oui, il y a une alternative à la guerre !

Nous appelons donc les autorités françaises à proposer à tous nos partenaires internationaux, dès la réunion du G20, une rencontre au sommet de tous les belligérants et des principales puissances impliquées, les États-Unis et la Russie, bien sûr, mais aussi la Turquie et l’Iran, notamment, afin de définir les conditions d’un arrêt de l’escalade dans la confrontation militaire.

Il faut reprendre l’esprit et l’ambition de la deuxième conférence de Genève, qui aurait pu tracer la voie d’une telle solution il y a déjà des mois. Mais, au lieu de la soutenir dès juin 2012, au lendemain de Genève I, vous l’avez aussitôt mise en doute, monsieur le ministre, au motif que l’accord passé à l’époque ne prévoyait pas assez clairement la mise à l’écart de Bachar Al-Assad.

L’occasion de stopper les massacres a été gâchée. Or, aujourd’hui, vous préconisez une intervention aux risques énormes en déclarant qu’elle ne vise pas le départ de Bachar Al-Assad.

Où est la vision, où est la cohérence ?

M. Francis Delattre. Bonne question !

M. Pierre Laurent. La France doit cesser de se fourvoyer et reprendre l’initiative politique et diplomatique. Cela est encore possible, mais il y a urgence.

On voit d’ailleurs le niveau élevé des réticences politiques et des rejets populaires de la guerre en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, dans toute l’Europe, et même aux États-Unis.

Non, il n’y a pas de consensus pour la guerre !

La France, monsieur le ministre, a mis jusqu’ici son énergie dans l’option militaire. Nous vous demandons de l’investir dans la recherche d’une issue politique. Au lieu d’imposer la guerre, il faut, avec détermination, avec vos alliés, avec la Russie, emmener les protagonistes syriens aux conditions d’un règlement politique, avec un calendrier et de vraies décisions qui puissent constituer une réelle avancée dans la voie de la transition démocratique attendue par le peuple syrien. La France se grandirait en agissant ainsi, même si, nous le savons, le chemin est difficile.

Le G20 doit être utilisé pour une première et urgente concertation multilatérale, en particulier avec la Russie, les États-Unis et les autres puissances concernées.

La crise géopolitique syrienne sollicite donc, avec insistance, la France et le rôle qui devrait être le sien dans le monde d’aujourd’hui. Car cette crise majeure fait surgir immédiatement d’autres questions de grande portée internationale, en particulier l’enjeu global de la sécurité internationale, celui du désarmement et de l’élimination des armes non conventionnelles ou de destruction massive.

Il n’y a pas, en effet, que les armes chimiques. Il y a aussi, notamment dans la région, les armes nucléaires et la question, cruciale, de la prolifération.

Lors de la Conférence des ambassadeurs, voilà seulement quelques jours, le Président de la République, à propos de la crise sur le nucléaire iranien, a explicitement affirmé : « Le temps presse […], la menace grandit et le compte à rebours est d’ores et déjà enclenché. » Nous souhaitons, monsieur le ministre, que cette grave formulation, visant le principal allié de la Syrie, ne soit pas l’annonce que la crise iranienne devrait, elle aussi, le moment venu, passer par l’inacceptable et dangereuse phase d’une nouvelle opération militaire.

On dit, en effet, à Paris comme à Washington, que « toutes les options sont sur la table ». Y compris, de nouveau, la guerre ? Jusqu’où irons-nous encore ? Je souhaite, monsieur le ministre, que vous répondiez à cette question.

Le traité de non-prolifération doit être respecté par tous ses signataires. Il faut aller vers un désarmement nucléaire multilatéral et contrôlé. Et ni les États-Unis, ni la France, ni d’autres puissances ne peuvent se permettre d’envisager le règlement de toutes les crises par la force. C’est impensable ! Ne nous engageons pas dans un tel engrenage !

Construire une sécurité collective et humaine sur le plan international appelle tout autre chose que la guerre et les ambitions de domination qui vont avec. La France ne doit pas suivre Washington sur ce fil qui mène aux déstabilisations et aux désastres que nous connaissons déjà. Un changement sur le fond de politique internationale et de conception de la sécurité s’impose, avec un effort indispensable pour le désarmement concernant toutes les armes de destruction massive, et la nécessité de lier cette option essentielle au règlement des conflits, notamment la crise sur le nucléaire iranien, la politique israélienne et la question de la Palestine, la politique de la Turquie et la question kurde…

L’urgence n’est pas de faire la guerre ; elle est de construire un avenir commun pour tous les peuples dans cette région cruciale de la Méditerranée et du Proche-Orient. Saurons-nous, en Syrie et ailleurs, commencer à relever ce formidable défi ? Nous pensons, pour notre part, que la France, si elle le décide, en a la force.

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