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Les débats

Appeler à constituer des « zones sans migrants », c’est tourner le dos aux valeurs de la République

La France et l’Europe face à la crise au Levant -

Par / 18 octobre 2016

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue la tenue de ce débat sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés. Il permet en effet à chacun de clarifier ses positions sur ce sujet central.

En ce qui nous concerne, mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même sommes sans ambiguïté en faveur d’un examen attentif de la situation des réfugiés, au nom du droit d’asile, qui est une tradition historique française.

Cela étant, nous pensons que ce problème doit être envisagé au niveau approprié, celui de l’Union européenne.

Je tiens à saluer au passage tous les élus locaux qui se sont pleinement investis pour permettre un accueil apaisé des réfugiés dans leur collectivité. Il s’agit pour nous autant d’un devoir de solidarité et d’accueil que d’une marque d’attachement aux valeurs de la France.

Quant à l’action de la France, elle doit certes se concentrer sur le territoire national, mais aussi s’exercer sur les terrains européen et international. Il s’agit tout à la fois d’accueillir des réfugiés déjà en partance que de travailler à une stabilisation rapide des pays du Levant, où la situation engendre des départs massifs et forcés.

À l’échelon national, le Gouvernement, en concertation avec les collectivités territoriales, doit établir un vaste plan d’accueil digne des réfugiés, et ce sur l’ensemble du territoire. En effet, en appeler aujourd’hui, comme certains le font, à la définition de « zones sans migrants », c’est tourner le dos à toutes les valeurs et à l’histoire de notre République.

Soyons honnêtes : c’est en s’enferrant dans cette logique d’un pays sans immigration que nous avons, avec les Britanniques, participé à la création de la jungle inhumaine de Calais, où je me suis rendue, lundi 10 octobre, avec mes collègues Pierre Laurent, Éliane Assassi et Dominique Watrin.

Au fond, c’est ce que ne veulent pas admettre les défenseurs de la création de « zones sans réfugiés ». En musclant notre politique migratoire, nous ne cessons de nourrir les filières illégales d’immigration.

Cette exigence d’un accueil digne et humain impose un effort partagé de l’État et des collectivités pour la mise en place de dispositifs médico-sociaux, d’insertion professionnelle et scolaires, tels que définis par la convention de l’ONU.

À l’échelon européen, plusieurs questions demeurent. La France devra, à mon sens, participer à l’élaboration de réponses communes suffisamment efficaces pour permettre d’accueillir le million de réfugiés qui ont atteint les côtes européennes, par la Grèce, la Turquie et l’Italie, principalement en 2015.

Dans cet esprit, à l’image de ce que j’ai pu dire sur les « territoires sans réfugiés », j’estime que l’attitude de certains pays, telle la Hongrie, est une honte, tant l’Europe semble se trouver à un tournant historique.

Mes chers collègues, vous connaissez les critiques que nous formulons à l’égard de l’Union européenne telle qu’elle se construit. Néanmoins, une dislocation de l’Union à propos de cette question des réfugiés nous semble devoir conduire à une disparition pure et simple de l’Europe, ce qui serait parfaitement regrettable.

Nous n’oublions pas, en effet, que l’Union européenne s’est construite, pour partie, sur des valeurs de paix. Comment, dès lors, justifier qu’elle tourne le dos aux réfugiés et qu’elle se divise sur une question aussi centrale ?

La fermeture de la route des Balkans, décidée sur l’initiative de la Slovénie, de la Serbie, de la Croatie ou de la Macédoine, n’a fait qu’aggraver une situation déjà précaire. En effet, cette route a vu passer plus de 85 % des personnes entrées en Europe en 2015, les autres arrivant par l’Italie.

De fait, fermer cette route a créé une solution de blocage, que la Turquie et la Grèce doivent affronter seules. Ni l’accord signé le 18 mars dernier ni l’aide humanitaire d’urgence de 300 millions d’euros ne suffiront.

J’en viens au plus important, à la source du désastre humanitaire d’aujourd’hui : la France et l’Europe doivent pleinement revoir leur politique internationale.

Que ce soit en Syrie, en Libye ou en Irak, les opérations militaires n’auront de sens que si elles sont au service d’objectifs et de solutions politiques. À ce titre, l’opération en cours à Mossoul pourrait permettre une avancée significative, à condition de ne pas créer de nouveaux foyers de guérilleros.

Or, si on peut se réjouir du recul de Daech dans les territoires auparavant occupés, celui-ci ne saurait régler tous les problèmes ni permettre aux habitants de ces territoires de vivre correctement.

À ce titre, notre inquiétude est double.

En premier lieu, l’augmentation du budget de l’aide au développement d’environ 18 millions d’euros cette année ne saurait cacher une baisse de près de 500 millions d’euros sur l’ensemble du quinquennat.

En second lieu, nous ne pouvons que nous interroger sur les transitions politiques aujourd’hui possibles dans une Syrie en proie à une lutte interne entre les rebelles et le régime de Bachar Al-Assad, dans une Libye déchirée par la lutte qui oppose les gouvernements de Tripoli et de Tobrouk, avec lesquels la France et l’Europe discutent, ou encore dans un Irak où l’unité et l’équilibre de la tête de l’État est contestée par le Kurdistan autonome et les milices paramilitaires.

Cette situation déjà complexe est encore rendue plus difficile par les diverses ingérences, qu’elles soient le fait de la Turquie, par exemple à Rojava contre les Kurdes, de l’Iran, par le biais des milices Hachd al-Chaabi, ou encore de la Russie en Syrie.

Reprenant les mots d’un ancien ministre des affaires étrangères avec qui nous avons pourtant eu de profonds désaccords, je dirai que la France est un vieux pays d’un vieux continent, qui a connu les guerres et la barbarie et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’histoire et devant les hommes, fidèle à ses valeurs.

La France doit aujourd’hui plaider en faveur d’un arrêt, le plus tôt possible, des opérations militaires et de l’apport d’une aide logistique en vue de permettre des transitions politiques apaisées.

La première des priorités est de rétablir le dialogue entre la Russie et l’Europe, ainsi qu’entre Moscou et Washington. Mais la France pourra-t-elle se constituer en arbitre, étant donné sa position au sein de l’OTAN et la crise des Rafale ?

En tout cas, la seule solution semble être de parler avec toutes les puissances régionales et mondiales, pour, à terme, voir se réduire le flux des réfugiés sur les rivages européens. En attendant, je le répète, accueillir tous ceux qui demandent l’asile est, à nos yeux, un devoir moral et d’humanité.

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