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Les débats

Cent ans après Sykes-Picot, un projet kurde pour le Moyen-Orient

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Par / 9 décembre 2016

Intervention d’accueil de Michel Billout.

Mesdames, Messieurs,
Chers amis , chers camarades
Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au Sénat. Je suis particulièrement heureux de vous y accueillir pour aborder, au-delà du centenaire de l’accord qui nous réunit ce jour, la situation du peuple Kurde au sens large, notamment dans un contexte de guerre en Irak et en Syrie et de répression politique extrême et d’atteinte aux droits de l’homme dans une situation de guerre civile en Turquie.


Les Kurdes comptent parmi les principales victimes des accords Sykes-Picot et des traités internationaux qui ont suivi la Première Guerre mondiale, jusqu’à l’établissement définitif des frontières de la Turquie en 1939.

Lorsqu’en mai 1916, le Britannique Sykes et le Français Picot décident du futur partage de l’Empire ottoman contre qui ils sont en guerre et qu’ils considèrent comme vaincu, les frontières qu’ils tracent passent à travers des territoires peuplés notamment par des Kurdes qui ignorent tout de ces accords secrets.

En 1920, le traité de Sèvres fait naître, pour un temps, un espoir, en reconnaissant la légitimité de la lutte des Kurdes contre la domination turque et en reconnaissant leur droit à un État indépendant et souverain. Mais il n’est pas appliqué et dès l’année suivante, alors que les Alliés occupent Istanbul, il est annulé par le traité d’Ankara, qui donne l’actuel territoire du Rojava à la Syrie passée sous mandat français.
L’armée française se retirera sans se soucier du sort des minorités qu’elle était supposée protéger, comme les Arméniens victimes de génocide.

En 1923, le traité de Lausanne ne mentionne même plus les Kurdes. Les Britanniques, par ces accords, ont ainsi rompu leur serment de 1915 d’accorder aux Arabes le grand royaume dont ils rêvaient, et ont par ailleurs trahi la promesse d’indépendance nationale faite aux Kurdes.

De ce fait, aujourd’hui, le peuple kurde fort de plus de 40 millions d’êtres humain n’a pas d’État. Il a subi et continue de subir le racisme et la répression en Iran, en Syrie et en Turquie. En Irak, c’est au prix d’immenses sacrifices humains qu’il a su imposer la création d’une région autonome.

Aujourd’hui le peuple kurde, pour la communauté internationale, a deux visages. Son courage, sa détermination, son organisation sont salués quand il s ’agit de combattre les fanatiques de Daesh en Irak et en Syrie. Mais il redevient un peuple de terroristes lorsqu’il revendique ne serait-ce que l’autonomie régionale en Syrie et en Turquie. C’est intolérable.

C’est ainsi que la Turquie, avec Erdogan, a décidé de régler la question kurde par la violence et les armes parce qu’elle redoute plus que jamais l’émergence d’un grand Kurdistan indépendant.

Pour s’y opposer, la Turquie poursuit des objectifs stratégiques. Le premier est d’empêcher la constitution d’une zone autonome kurde au nord de la Syrie, en bombardant les combattants et les populations civiles kurdes.

Le second est de maintenir sur son sol une répression forte à l’encontre des Kurdes, répression qui s’est fortement intensifiée après l’échec d’Erdogan aux élections du printemps 2015.

C’est ainsi qu’un demi-million de kurdes vivant dans le sud-est de la Turquie ont été contraints de s’exiler en raison de la répression brutale menée par les autorités turques au cours de l’année écoulée. Cette agression constitue une sanction collective, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport.
Cette répression a encore été accrue depuis le coup d’État avorté de cet été, le pouvoir turc laissant de moins en moins de voix dissidentes s’exprimer. Dirigée officiellement contre les Gulenistes, elle atteint violemment aussi les kurdes et leurs organisations.

Au total 40 000 personnes ont été placées en détention, 1 125 associations, 35 hôpitaux, 15 universités, 19 syndicats et 934 écoles ont été dissous ou fermées. L’armée, l’éducation nationale et la justice ont été particulièrement visées. 80 000 fonctionnaires ont été suspendus ou révoqués dont la moitié dans l’éducation nationale.

Trente-sept conseils municipaux dont vingt-six dans des localités kurdes administrées par le HDP ont été démis de leurs fonctions et remplacés par des administrations placées sous le contrôle de l’AKP. Plusieurs députés du HDP sont emprisonnés. Plus de 2 700 mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de juges et de procureurs. La Turquie détient aujourd’hui le triste record mondial du nombre de journalistes poursuivis et emprisonnés.

Selon le rapport d’Amnesty International, des actes de torture ont été perpétrés dans le cadre de l’état d’urgence, reconduit pour trois mois à compter du 19 octobre 2016. De fait, la tentative de coup d’État a donné au pouvoir turc l’occasion inespérée de « nettoyer » des pans entiers de l’armée, de l’administration et de la société civile, permettant au Président turc, dont la popularité sort confortée de cette épreuve, d’accentuer son autoritarisme.

Dans ce contexte, la question d’un projet kurde pour le moyen Orient est posée aujourd’hui dans un environnement extrêmement complexe et dangereux. 100 ans après cet accord, avec la guerre civile en Syrie et en Irak et l’extrémisme de Daesh, les frontières alors dessinées ont volé en éclats. Pourront-elles un jour être restaurées et si oui lesquelles ?

La reconnaissance légitime du peuple Kurde, au-delà de la question de territoires, passe par celle de sa culture. Et le refus de reconnaissance par l’État Turc, notamment, de la culture kurde, de sa langue, de ses terres reste un refus de sa propre existence.

Combien de kurdes ont fuis leur pays car ils étaient persécutés pour leur religion ou leur culture. La restriction de liberté, celle de parler kurde, de suivre un enseignement en kurde, d’écouter de la musique kurde et tout simplement de clamer son identité kurde n’est pas un chemin d’apaisement.

Aujourd’hui, je suis donc heureux de vous permettre de vous exprimer au Sénat, d’échanger et de débattre d’un avenir que nous souhaitons tous pacifié et démocratique dans cette région du monde.

Je vous remercie pour votre attention.


Echanges avant le début du colloque avec le leader kurde syrien Saleh Muslim, vice président du PYD ( Parti de l’union démocratique) dont les forces combattent en Syrie le groupe État islamique avec l’appui des États-Unis.

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