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Les débats

Cet accident démontre que les règles actuelles ne sont pas suffisantes

Essais cliniques -

Par / 3 mai 2016

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les orateurs précédents, je veux dire combien l’accident de Rennes a suscité, à juste titre, beaucoup d’émotion et pose la question de la législation encadrant les essais thérapeutiques.

Je veux souligner la rapidité de l’intervention de Mme la ministre de la santé, qui a notamment demandé à la Commission européenne la mise en place urgente d’un comité d’experts internationaux pour renforcer la protection des volontaires sains dans les essais cliniques. Pourrions-nous avoir un point d’information sur la concrétisation de cette proposition ?

Je tiens également à saluer l’autosaisine de la commission des affaires sociales, qui a réalisé dans les semaines qui ont suivi plusieurs auditions des principaux acteurs de l’expertise sanitaire, ce qui a débouché sur un rapport d’information sur les liens d’intérêts existants en la matière.

Au-delà de l’établissement des responsabilités dans cette affaire, nous devons nous interroger sur les conclusions à tirer de cet accident, afin de nous prémunir contre de tels drames à l’avenir. Les réponses sont multiples et je concentrerai mon propos sur trois points.

En premier lieu, nous devons améliorer la sécurité des patients. Cet accident est la démonstration que les règles actuelles ne sont pas suffisantes pour protéger ceux-ci. Les agences, auxquelles l’on donne toujours plus de missions avec moins de moyens humains et financiers, sont-elles aujourd’hui en mesure d’exercer les contrôles nécessaires ? Les logiques de rentabilité et de profit des grands groupes pharmaceutiques sont-elles conciliables avec la sécurité des patients ?

Après l’affaire du Mediator et celle des adjuvants aluminiques dans les vaccins, l’accident de Rennes a renforcé la méfiance vis-à-vis des contrôles des médicaments de notre pays. Pour renouveler la confiance, il faut garantir la plus grande transparence des essais et des recherches cliniques sur les médicaments.

En deuxième lieu, nous devons améliorer la transparence des liens d’intérêts avec les laboratoires. Faut-il le rappeler ? Il existe un soupçon de conflit d’intérêts dès lors qu’un lien n’est pas déclaré publiquement. Or, face au désengagement financier de l’État, les chercheurs et les laboratoires sont de plus en plus obligés de se tourner vers les industriels pour financer leurs recherches.

Selon Joël Moret-Bailly, professeur de droit à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, « si l’on dit à un chercheur, dont le temps est limité, que des financements existent sur un sujet, sa préoccupation première sera de pouvoir se financer afin de se concentrer, dans un second temps, sur les questions qui l’intéressent fondamentalement. La question des financements a donc un impact sur la recherche. »

L’existence de partenariats public-privé conditionne de plus en plus souvent le financement de la recherche. Dès lors, comment fournir un cadre permettant aux chercheurs de travailler en toute indépendance sur des questions intéressant le secteur privé ?

C’est pourquoi, en troisième lieu, nous devons lutter contre les conflits d’intérêts avec l’industrie, notamment contre les conflits financiers. À l’occasion des auditions réalisées par la commission des affaires sociales, M. Jean-Sébastien Borde, président du conseil d’administration du collectif Formindep et médecin néphrologue hospitalier, a révélé que « les études financées d’une manière ou d’une autre par l’industrie pharmaceutique ont quatre fois plus de chances d’être positives que les études indépendantes. »

La Cour des comptes a souligné que 84 % des professionnels de santé ont perçu en 2014 un avantage de l’industrie pour un montant de 102 euros en moyenne, mais pouvant s’élever jusqu’à 74 000 euros pour les dix praticiens percevant le plus d’avantages. Elle a également relevé « des failles majeures » concernant les conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire et de « fréquentes anomalies » dans la transparence des avantages consentis par les entreprises aux praticiens.

La Cour préconise de prendre des mesures pour approfondir le dispositif de transparence et renforcer le pilotage du secteur par l’administration centrale et les agences, ce que nous soutenons. Néanmoins, la solution ne passe-t-elle pas aussi par la création d’un établissement public capable de mener une politique industrielle et d’avoir ses propres laboratoires ?

En effet, même si les mesures de réglementation de la Cour des comptes sont appliquées, le cœur du problème – le contrôle démocratique de la recherche en matière sanitaire – n’est pas évoqué. Or, dans un secteur où une entreprise comme Sanofi pèse 37 milliards d’euros de chiffre d’affaires, il est impératif d’établir des contrepoids publics réels, car nous devons éviter que ces décideurs ne contrôlent toute la chaîne de valeurs : recherche, développement, production, distribution et vente de médicaments.

Ces entreprises exploitent actuellement, pour réaliser leurs bénéfices, le défaut d’ambition, les manquements et les carences de financement public des unités de la recherche médicale, du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et des unités de recherche des hôpitaux.

Qu’est-ce qui empêche le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, notamment le ministère de la santé, de créer les conditions d’une appropriation sociale de la recherche par la société, par exemple en organisant, au sein des conseils d’administration des entreprises concernées, un pouvoir de décision des représentants du personnel, des usagers, des élus et de l’État sur les orientations, les investissements et leur contrôle ?

Il s’agit, au fond, de se donner les moyens d’une appropriation sociale de la recherche, jusqu’à la production et à la distribution du médicament, afin d’éviter toute privatisation des connaissances.

Selon le généticien Axel Kahn, « une fois que l’on a produit la connaissance et que celle-ci devient technique et pouvoir, c’est la société qui détermine son application. Le scientifique a un triple rôle : découvreur de nouvelles connaissances ; vigie qui détermine les problèmes que peut poser une connaissance ; citoyen qui, comme un autre, peut dire si on utilise telle technique. »

Le développement d’un pôle public de la recherche, de la production et de la distribution du médicament permettrait de mieux répondre aux besoins de santé publique nationale et mondiale en mettant notamment un coup d’arrêt à l’abandon par les trusts pharmaceutiques des produits dits « non rentables financièrement ». La puissance publique doit d’autant plus reprendre l’initiative et le contrôle sur cet enjeu stratégique que c’est la solidarité qui finance le médicament par l’intermédiaire du remboursement de la sécurité sociale.

La rupture avec les conflits d’intérêts passe par un changement de politique en matière de santé qui doit promouvoir la coopération et la complémentarité au service de l’amélioration thérapeutique et de l’accès aux médicaments pour tous, plutôt qu’une concurrence mortifère.

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