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Les débats

Dans les territoires ultramarins, plus encore que dans l’hexagone, les services publics sont asphyxiés

Situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer -

Par / 1er décembre 2021

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer a lieu ici, au Sénat, dans un contexte de très forte tension, avec des mouvements sociaux dans les Antilles, en Martinique et en Guadeloupe, et alors que des tensions couvent également en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, pour d’autres raisons. Cette colère sociale s’était déjà exprimée par de puissants mouvements en Guadeloupe en 2009 et en Guyane en 2017. Elle n’a trouvé aucune réponse à la hauteur des attentes.

Pour la comprendre, il faut garder à l’esprit le passé de nos territoires ultramarins et, surtout, les rapports de l’Hexagone avec ces territoires. Je pense au passé colonial, esclavagiste, bien sûr, mais aussi au passé plus récent, lorsque l’État français permettait par dérogation l’utilisation du chlordécone, cet insecticide dont la toxicité était connue depuis 1976, mais qui a été utilisé dans les bananeraies des Antilles jusqu’en 1993 – au prix de la santé des travailleuses et des travailleurs de ces exploitations.

Le rejet du passe sanitaire et, dans certains cas, de la vaccination, ne peuvent se comprendre hors de cette histoire, hors de ce contexte, où l’État français se manifeste pour imposer avec dureté et sans dialogue des mesures justes sans doute, mais qui portent sur un domaine, la santé et la vaccination, qu’il a jusqu’à présent négligé. Or dans les territoires ultramarins, les services publics, et particulièrement les hôpitaux, sont asphyxiés, plus encore que dans l’Hexagone. De plus, comme vous le savez, monsieur le ministre, les tests de dépistage pour le chlordécone ne sont toujours pas gratuits, alors que près de 90 % de la population serait infectée – ils sont gratuits pour celles et ceux qui ont travaillé au contact de cette molécule, mais pas pour l’ensemble de la population.

On peut dire la même chose au niveau social et économique. Vous n’avez apporté aucune réponse sur le fait que 30 % des Guadeloupéens n’auraient pas accès à l’eau. Rien sur le taux de chômage, de 15 % en Martinique, de 17 % en Guadeloupe. Enfin, quelles réponses sociales apporter aux 30 % de Guadeloupéens et de Martiniquais qui vivent sous le seuil de pauvreté ?

Oui, ces puissants mouvements sociaux prennent aussi leurs racines dans la lutte contre la vie chère. Pourtant, vous ne dites rien sur les marges de quelques grands groupes monopolistiques qui imposent des prix plus élevés que dans l’Hexagone. Ainsi, la bouteille de gaz coûte entre 28 et 30 euros en Martinique, et le prix du litre de supercarburant tourne autour de 1,80 euro en Guadeloupe. D’ailleurs, les populations ultramarines résument très bien ce système de profit et d’exploitation issu de l’histoire coloniale par le terme créole de « profitation ».

Après avoir légiféré, il y a quelques années, sur la transparence des prix, il nous faut passer à la vitesse supérieure et légiférer à présent sur la transparence des marges, exiger de ces grands groupes qu’ils baissent les prix et bloquer les prix sur les produits de première nécessité.

Enfin, les Antillais ne demandent pas autre chose que le respect et le dialogue. C’est ce que j’ai entendu la semaine dernière lors du déplacement en Guyane et en Guadeloupe que j’ai effectué avec Fabien Roussel.

Oui, il faut ouvrir le dialogue avec les élus et celles et ceux qui sont mobilisés sur la question sanitaire et la vaccination, sans contraindre, mais en tentant de convaincre. En effet, la question est complexe, mais, quand la défiance a atteint un tel niveau, la seule voie possible est le dialogue. Tout au contraire, fidèle à une trop longue tradition de l’État français, oscillant entre abandon, mépris, mensonges et promesses non tenues, vous avez choisi la voie de la fermeté et de la répression.

Le Gouvernement a choisi d’envoyer le GIGN et le RAID en réponse à la crise sociale. Bien sûr, les pillages et les violences doivent être condamnés, mais il ne faut pas confondre, monsieur le ministre, ces quelques pillages et ces violences insupportables avec les femmes et les hommes, françaises et français, qui exigent l’égalité républicaine et qui sont la très grande majorité.

Vous avez choisi de culpabiliser les manifestants en menaçant la population de largage politique. Un débat sur l’autonomie de la Guadeloupe ? Vous savez parfaitement que toute évolution statutaire et institutionnelle doit se faire en consultant la population : il suffit de relire notre Constitution. Cela vous permet surtout d’éviter le débat sur la question sociale. Pourtant, si vous ne savez pas par où commencer, vous n’avez qu’à lire la plateforme des 32 revendications portées par les syndicats.

Je terminerai mon propos par ces quelques mots d’un des pères de la négritude, Aimé Césaire : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »

Monsieur le ministre, ne fermons plus les yeux. Réglons les problèmes de fond : services publics, vie chère et chômage endémique. Vous n’êtes pas responsable de tout, et certainement pas de quarante ou cinquante ans d’abandon de l’État. Mais vous êtes aujourd’hui en responsabilité.

Alors il faut reprendre le dialogue sur place et régler toutes ces questions, pour que l’égalité républicaine résonne partout, enfin, sur l’ensemble des territoires, dans l’Hexagone comme dans nos territoires ultramarins.

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