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Les débats

Des pans entiers de nos territoires se sentent légitimement abandonnés

Outils et moyens des communes en zone rurales -

Par / 21 février 2017
http://www.dailymotion.com/video/x5crsbf_la-ruralite-ne-peut-rentrer-dans-le-moule-liberal-par-cecile-cukierman_news
Des pans entiers de nos territoires se sentent légitimement abandonnés

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si on en juge par la composition de l’hémicycle ce soir, ce débat aurait pu s’intituler « Où sont les sénateurs républicains ? (Rires sur les travées du groupe CRC.) Nous avons préféré le thème : « Entre réforme territoriale et contraintes financières : quels outils et moyens pour les communes en zones rurales ? »

Il y a eu ces dernières années et ces derniers mois beaucoup de débats, de propositions ou de projets de loi sur la ruralité, l’hyper-ruralité et l’aménagement du territoire.

Nous avons assisté, bien trop souvent, à de longues déclarations de bonnes intentions, à des listes à la Prévert des besoins à satisfaire, déplorant la désertification de certains de nos territoires.

Le constat est partagé : des pans entiers de nos territoires se sentent légitimement abandonnés par la République, puisqu’il est de plus en plus difficile d’assurer à leurs habitants les services essentiels auxquels chaque individu a droit.

Alors que la vie à la campagne est de plus en plus attractive dans l’imaginaire collectif, y compris pour les jeunes, qui y voient la promesse d’une vie moins stressante et plus en phase avec leurs besoins physiologiques et biologiques, le manque de service public et d’infrastructures freine cet appétit de vivre autrement.

Il est urgent de remédier à cette situation, car tout le monde ne peut pas, demain, être citadin.

Notre diagnostic est clair : la ruralité souffre aujourd’hui des modèles retenus nationalement, par ceux que l’on qualifie d’experts et par les pouvoirs publics, pour l’aménagement du territoire, qui soumettent les femmes et les hommes, les entreprises et les territoires aux règles du capitalisme mondialisé de mise en concurrence et de rentabilité.

Or la ruralité ou plutôt les ruralités ne peuvent entrer dans ce moule libéral.

Nous en tirons une conclusion simple : il faut reconstruire des politiques publiques respectueuses des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, des politiques fondées sur la notion d’utilité publique et d’intérêt général plutôt que sur celles de rentabilité et de rationalisation de l’action publique, de limitation des dépenses publiques et, donc, de mise en œuvre de l’austérité budgétaire à tous les niveaux de nos collectivités.

Oui, l’État a un rôle à jouer et une responsabilité spécifique, en tout point du territoire national.

À travers ce prisme, le bilan de ce quinquennat est redoutable, parce que les logiques libérales mises en œuvre par la droite au pouvoir – et bien absente ce soir ! (L’oratrice montre les travées de droite.) –, loin d’avoir été infléchies, ont même parfois été poursuivies.

Les services publics ont continué d’être, comme on dit pudiquement, « mutualisés », c’est-à-dire regroupés afin d’être moins dispendieux pour les deniers publics. Je pense notamment à tous les regroupements hospitaliers, qui ont conduit à éloigner les patients des lieux de soins. Je pense aussi bien sûr à la vie scolaire : trop d’écoles ont fermé, les règles de fermeture des classes et des écoles en milieu rural ayant été mécaniquement appliquées. D’ailleurs, lors du congrès récent de l’Association des maires ruraux, en octobre dernier, dans mon département de la Loire, une motion a été adoptée à ce sujet, appelant à une application plus souple des règles nationales au regard de l’enjeu spécifique du maintien d’une école en zone rurale.

L’État a organisé sa propre disparition à travers la perte d’ingénierie, qui est pourtant une ressource essentielle en zone rurale, en diminuant les moyens humains au sein des préfectures, notamment dans les dispositifs d’assistance technique aux collectivités pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire – ATESAT. Obnubilé par la réduction des déficits publics, l’État a renoncé à sa présence sur l’ensemble du territoire national, créant ainsi des droits à géométrie variable.

La construction des infrastructures a pris du retard.

Des lignes de trains et des gares ont été fermées ; l’aménagement numérique s’est heurté au manque de rentabilité dans certains espaces. Le rapport annuel de la Cour des comptes a d’ailleurs corroboré les inquiétudes régulièrement exprimées dans cet hémicycle. Le plan France très haut débit est sous-estimé et, surtout, ne comporte aucun engagement contraignant pour les opérateurs, ce qui conduit à son inefficacité. C’est d’ailleurs le problème principal. Les politiques de mise en concurrence généralisées se sont doublées de politiques de privatisation des services publics dans différents domaines : La Poste, France Telecom, EDF, les autoroutes… Alors que la France s’est construite sur un modèle d’aménagement en réseau et de monopole public, tout ce réseau a été démantelé au nom des dogmes européens de libre concurrence, au terme de politiques qui ont conduit clairement à la disparition des services publics en zones non rentables, et donc en zones rurales.

C’est l’essence même de l’action publique qui s’est diluée au profit de la finance. L’État a renoncé à son rôle de stratège et à son rôle de garant de l’intérêt général, laissant infrastructures et services au libre arbitre des intérêts privés.

Alors que notre pays peut s’enorgueillir de s’être construit par un maillage fin du territoire par les services publics, tout cet édifice semble aujourd’hui fragilisé, ce qui met en cause l’égalité républicaine, en zone rurale comme en zone périurbaine. Cette remise en cause alimente directement le Front national, qui prospère sur le terreau des renoncements, des injustices et du sentiment d’abandon républicain, souvent bien légitime.

Par ailleurs, la métropolisation des territoires, engagée depuis la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi « MAPTAM », a fait beaucoup de mal aux territoires ruraux. Comme dirait mon collègue et ami député André Chassaigne, la métropolisation a conduit à drainer les richesses vers les centres urbains, alors qu’un véritable aménagement du territoire consisterait à irriguer l’ensemble des territoires. Le principe même de péréquation en matière d’aménagement du territoire tend à s’effacer progressivement.

Conjuguée à la refonte de la carte de l’intercommunalité dans les territoires ruraux, cette tendance a conduit à accentuer les inégalités territoriales entre l’urbain et le rural. Privés de services publics et de présence de l’État, les territoires ruraux souffrent peut-être plus encore de la baisse des dotations poursuivies par les différents gouvernements depuis des décennies.

Là encore, l’iniquité est grande. Selon l’Association des maires ruraux de France, aujourd’hui, l’État verse 62 euros par habitant aux communes rurales, contre 124 euros aux grandes villes en dotation globale de fonctionnement. Pour corriger cette inégalité, nous avions, voilà quelques années, proposé une loi, qui n’a malheureusement pas été adoptée...

Comme quoi il est plus facile de partager un diagnostic que des solutions. Cette proposition de loi permettait pourtant de rééquilibrer la dotation globale de fonctionnement en zone rurale. Nous regrettons une nouvelle fois que rien ne soit fait pour réduire ce déséquilibre. Nous ne trouvons aucune annonce des candidats à la présidentielle à ce jour, aucune proposition dans leurs programmes sur ce sujet.

La refonte de la dotation n’est toujours pas mise en œuvre. L’avenir des territoires ruraux pose pourtant des enjeux économiques, sociaux, mais également démocratiques.

En effet, privés de moyens humains, financiers et techniques, les élus locaux ont de plus en plus de mal à assumer leur fonction, ce qui produit frustration et découragement.

La construction d’intercommunalités géantes par le relèvement des seuils posé dans la loi NOTRe a profondément déstabilisé le monde rural. Le seuil de 15 000 habitants n’est pas adapté à de nombreuses réalités territoriales. Surtout, ces regroupements se sont opérés de manière autoritaire. Ils n’ont pas été fondés sur le libre consentement et les projets partagés, mais imposés par les préfets au travers de la Commission départementale de coopération intercommunale, la fameuse CDCI.

Ce mépris démocratique a engendré un sentiment d’impuissance. Des compétences de proximité ont été confiées à des échelons trop vastes et la démocratie y a perdu.

Ces regroupements forcés ont également eu pour conséquence, faute de moyens et de savoir-faire, de confier de plus en plus de missions de service public à des entreprises privées.

Si le président du Sénat, reprenant l’expression de l’Association des maires ruraux, souhaite « oser la ruralité », alors il faut aller au bout de cette réflexion et en tirer toutes les conséquences.

Le temps n’est plus aux assises ou aux constats, nous avons de la matière, notamment l’excellent rapport produit sous l’égide de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, par mon ami Jean-Paul Dufrègne, ancien président du conseil général de l’Allier. Ce rapport contient des propositions intéressantes et novatrices qu’il conviendrait d’étudier très sérieusement.

Le temps maintenant doit être celui de l’action, pour ces territoires, mais surtout pour leurs habitants. Ces territoires sont riches de ressources humaines, d’innovation, de solidarité et d’aménités positives. Les politiques publiques doivent les soutenir, les accompagner, les développer.

Il convient donc d’agir prioritairement dans quatre directions.

Premièrement, il faut stopper ces regroupements intercommunaux contraints, et donc inefficaces pour les habitants comme pour les territoires.

Deuxièmement, il faut en finir avec la politique de baisse des dotations alors que les collectivités portent sur leurs épaules l’essentiel des politiques d’investissement. Il y a urgence à sortir de ce cycle moribond des politiques d’austérité, qui conduisent au déclin économique et à la souffrance sociale, et à définir un plan pluriannuel d’investissements pour la ruralité.

Troisièmement, il faut revoir nos principes d’aménagement du territoire pour garantir la maîtrise publique des réseaux de communication, qu’ils soient de transports ou numériques. La fibre, qui est l’infrastructure du XXIe siècle, doit irriguer tous les territoires. Pour cela, il faut en finir avec les politiques de privatisations et être capables d’imposer l’intérêt général comme fil conducteur de l’action publique.

Enfin, quatrièmement, il faut déclarer un moratoire sur les fermetures de services publics en zones rurales, pour cesser de désarticuler l’armature de la présence publique, qui répond aux besoins des populations, mais surtout les sécurise dans leur vie au quotidien.

Ainsi, il faut remettre l’humain au centre, mener des politiques d’aménagement fondées sur les besoins et non sur la rentabilité économique. La ruralité est une richesse, vivre en milieu rural est une chance. Sachons la préserver !

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