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Les débats

Il existe bien un décalage entre l’avantage fiscal consenti et son effet

Incidences du crédit d’impôt recherche sur la situation de l’emploi et sur la recherche -

Par / 12 janvier 2016
Il existe bien un décalage entre l’avantage fiscal consenti et son effet
Il existe bien un décalage entre l’avantage fiscal consenti et son effet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la dépense budgétaire directe est régulièrement soumise à contrôle et évaluation, il semble ne pas en être de même pour la dépense fiscale, comme en témoigne le sort réservé au rapport de la commission d’enquête sur le crédit d’impôt recherche, qui avait été créée à l’initiative du groupe communiste républicain et citoyen, et dont j’étais la rapporteure.

Décréter la sanctuarisation d’une créance publique qui atteint aujourd’hui 5,5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2016 ne saurait couper court aux interrogations, au débat et à l’exigence d’évaluation ! C’est la raison pour laquelle mon groupe s’est mobilisé pour la tenue de ce débat en séance publique.

Rappelons que le crédit d’impôt recherche, le CIR, est le transfert consenti par l’État – au nom du contribuable – pour que les dépenses de recherche des entreprises privées progressent significativement et contribuent ainsi à la reprise d’une croissance durable.

Entre 2007 et 2012, le CIR a bondi de 1,8 milliard d’euros à 5,3 milliards d’euros, à la suite de la réforme réalisée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Au début des années 2000, cette créance ne s’élevait qu’à 500 millions d’euros.

Vous me rétorquerez que cela n’a rien d’anormal pour un outil qui se veut incitatif. Cependant, « attractivité » ne signifie pas automatiquement « efficacité ».

C’est du reste ce que montrait le projet de rapport que j’avais proposé aux membres de la commission d’enquête.

En effet, personne ne peut contester le fait que les données macroéconomiques ne sont pas rassurantes quand il est question d’étudier la conformité du CIR par rapport aux attentes fixées par le législateur, c’est-à-dire au regard des efforts de recherche et développement réellement consentis par les entreprises et de leurs effets positifs sur l’emploi scientifique.

Premier constat : si la charge du CIR a considérablement augmenté, la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises, la DIRDE, n’a pas progressé en conséquence.

Avec une augmentation de 3,5 milliards d’euros de la créance du CIR entre 2007 et 2012, on aurait pu s’attendre à un accroissement de la DIRDE compris entre 10,5 milliards d’euros et 14 milliards d’euros, compte tenu du taux de couverture de la dépense de recherche et développement par le CIR.

En réalité, en 2012, la DIRDE n’est supérieure que de 5,3 milliards d’euros par rapport à son niveau de 2007, et cela pour un nombre de brevets qui s’accroît de manière uniforme. Il existe donc bien un décalage entre l’avantage fiscal consenti et son effet !

Pour atténuer la perception de ce décalage, les promoteurs du CIR font état d’une « intensification de la recherche et développement », dont le projet de rapport démontrait d’ailleurs le manque de sérieux.

Une méthode alternative de justification de l’efficacité du CIR a été fréquemment mentionnée, à savoir les fameuses « estimations économétriques ».

Nous avons auditionné des économistes et les deux principales méthodes employées ne permettent pas d’écrire cette équation. J’ai donc recommandé qu’une étude économétrique pluraliste – et donc incontestable – soit réalisée.

Le nombre de déclarants a également été démultiplié : alors qu’en 2008, 8 951 entités bénéficiaient du CIR, la loi de finances pour 2015 faisait état de 16 200 entreprises bénéficiaires, la loi de finances pour 2016 en pointant même 20 465 désormais ! Le dispositif est donc loin d’être stabilisé.

Il est particulièrement intéressant de mesurer les facteurs de l’augmentation du CIR observée ces dernières années.

La « marge intensive » a joué avec une augmentation soudaine de l’avantage accordé aux grandes entreprises. Leur effort en matière de recherche et développement n’a pas augmenté entre 2007 et 2009. En revanche, leur créance en matière de CIR a parfois doublé, voire triplé.

Cela ne veut pas dire que le CIR soit dépourvu d’effets positifs sur le long terme, mais il est beaucoup trop tôt pour s’en persuader.

Ce qui bouge vraiment, c’est la « marge extensive », c’est-à-dire le nombre d’entreprises qui entrent dans le dispositif. Faisaient-elles de la recherche et développement auparavant ? Sont-elles nouvelles ? D’où viennent-elles ?
Sont-elles indépendantes ? Quel est leur devenir ? Sont-elles rachetées si elles ne disparaissent pas et par qui ? Quelles fonctionnalités le CIR assume-t-il vraiment pour elles ?

À ces questions, peu de réponses car il n’existe pas d’outil de suivi.

Cela mérite pourtant l’attention de chacun, car nous savons que les PME, souvent fragiles, voient dans l’outil fiscal qu’est le CIR le moyen de financement qui leur fait défaut auprès des banques.

Autre incertitude : la nature des dépenses éligibles, qui est l’un des principaux motifs de redressement fiscal. Ces dépenses font-elles réellement progresser l’état de l’art ?
Le projet de rapport mettait en évidence des zones de flou, notamment dans le domaine informatique et des professions financières.

À ces constats, s’ajoute celui d’une sous-administration patente. Souvent présenté comme simple et efficace, le CIR n’est en fait que peu maîtrisé, peu contrôlé, faute de moyens dédiés suffisants.

En matière de contrôle fiscal, le taux de couverture du CIR est très faible. Le chiffre avancé de 7 % donne une image trop flatteuse de la réalité, puisque le nombre de redressements et le nombre de déclarants sont amalgamés. En effet, des dizaines de redressements peuvent intervenir pour un même déclarant. En réalité, le taux de couverture du CIR n’est pas susceptible d’être supérieur au taux de couverture moyen de l’impôt sur les sociétés, soit 1,7 % environ, et peut-être même moins, compte tenu du nombre de dossiers à examiner.

Une déclaration au titre du CIR a donc à peu près une chance sur cent de faire l’objet d’un contrôle fiscal. De plus, en dessous d’une certaine quotité, on ne le contrôle pas.
Compte tenu de l’explosion des petits créanciers, cela revient tout de même à ne pas vérifier d’emblée quelque 30 % de la créance !

En outre, le dispositif offre des possibilités d’optimisation fiscale scandaleuses au travers du lieu d’immatriculation de certains brevets, de la pratique des prix de transfert et de la localisation dans des paradis fiscaux des entités percevant des redevances découlant des brevets, qui, pour partie, sont pourtant financés par le CIR !

Dès lors, quid du retour sur investissement de la mobilisation d’une telle créance publique pour le tissu économique et industriel français et pour l’emploi scientifique ?

Le CIR est également une véritable aubaine pour des cabinets de conseil, dont les comportements prédateurs nous ont été décrits. Ainsi, les tarifs pratiqués par ces intermédiaires réduisent plus ou moins l’impact positif du CIR sur les bilans des entreprises d’un montant dépassant 150 millions d’euros.

J’évoquerai aussi le chevauchement des assiettes du CIR et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi
– le CICE -, et la possibilité de cumuler ces deux avantages fiscaux.

Un principe s’applique en matière d’assiette du CIR : on procède à la soustraction des autres subventions publiques accordées aux entreprises, afin d’éviter un cumul d’avantages. Or cette règle ne vaut pas pour le CICE.

En découle un chevauchement qui, certes, ne concerne pas la totalité de l’assiette du CIR, mais porte toutefois sur la partie correspondant aux rémunérations les moins élevées. Ce chevauchement d’assiette pourrait représenter entre 360 millions et 600 millions d’euros, pour un coût en CIR compris entre 120 millions et 200 millions d’euros.

J’avais donc proposé la suppression pure et simple de cette duplication d’avantages, proposition que j’ai d’ailleurs réitérée dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2016.

Qu’en est-il, enfin, des effets du CIR sur l’emploi scientifique ?

On nous indique que le nombre de chercheurs dans les entreprises privées a beaucoup augmenté en France.

Il existe sur ce point de très fortes interrogations.

Qui sont ces chercheurs ? Essentiellement des ingénieurs !

De plus, on constate une baisse significative de la durée du travail des chercheurs en entreprises. Cela laisse supposer que beaucoup d’entre eux sont en situation de multi-activité, venant de compartiments du secteur public de la recherche où ils continuent d’exercer leur profession.

Quant à l’effet d’entraînement du CIR sur l’embauche des jeunes docteurs, il est pratiquement nul.

S’agissant des requalifications de personnel au titre de la recherche, vos services, monsieur le secrétaire d’État, ne nient pas le besoin d’évaluer dans quelle mesure certains emplois ont été indûment déclarés dans le cadre du CIR, tout en considérant cette évaluation comme n’étant pas prioritaire. Je ne partage pas cet avis.

En revanche, le CIR constitue manifestement un allégement massif du coût de l’emploi scientifique. Or, il est intéressant de noter que les niveaux de recherche et développement en entreprise les plus importants sont enregistrés dans les pays où le coût des chercheurs est le plus élevé.

De plus, ce dispositif, par trop aveugle, ne permet pas de cibler de grandes priorités de relance industrielle et s’articule difficilement avec les grands chantiers prioritaires définis par le Gouvernement. J’ai en mémoire cette analyse d’un grand groupe international, estimant que le CIR, « par l’indétermination de son régime, constitue un outil dangereux ».

Il est donc urgent, a minima, d’encadrer ce dispositif.

C’est ce que j’avais proposé, consciente de l’absence de consensus en faveur d’une réforme plus radicale, pour permettre, à tout le moins, de sécuriser un dispositif qui ne l’est pas et d’en renforcer l’efficience.

Mais ma proposition a été rejetée en bloc. Quel dommage ! Cela ne peut qu’alimenter la suspicion à l’égard du CIR qui, en définitive, s’apparente davantage à un abaissement de l’impôt sur les sociétés qu’à une stimulation efficace de la recherche et développement des entreprises privées.

Mes chers collègues, le législateur a la responsabilité de s’interroger sur l’usage et l’efficacité de la mobilisation d’un tel volume de dépense publique. Il s’agit là d’un impératif démocratique, d’autant que, dans le même temps, la recherche publique est maintenue dans un état de paupérisation et de précarisation croissantes.

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