Il s’agit de faire vivre une société pluriethnique et pluriculturelle
Avenir de la Nouvelle-Calédonie -
Par Éliane Assassi / 4 mai 2021Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie est marquée par des épisodes douloureux, par des tensions qui ont abouti aux « événements » des années 1980, cette quasi-guerre civile qui a fait couler le sang entre partisans et opposants à l’indépendance.
C’est dans ce contexte de violence qu’ont été signés les accords de Matignon en 1988, puis l’accord de Nouméa en 1998. À strictement parler, nous arrivons au terme du processus référendaire, puisque les indépendantistes du Congrès ont demandé la tenue du troisième référendum.
D’ici à octobre 2022, la préparation du dernier référendum ne peut se limiter à la seule réponse binaire d’un « oui » ou d’un « non » à l’indépendance. Nous respecterons le résultat du référendum, car nous sommes particulièrement attachés au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais, quel qu’il soit, il ne mettra pas fin aux tensions.
Le précédent référendum a été la scène d’une campagne très violente entre indépendantistes et loyalistes. Ces derniers ont récemment perdu le contrôle du Gouvernement, alors qu’ils y étaient majoritaires depuis 1998.
Le dialogue engagé par l’État entre l’ensemble des interlocuteurs est essentiel car, quoi qu’il arrive, ils doivent faire société. Les conflits politiques créent des situations de blocage institutionnel, comme nous le voyons avec la difficulté pour le nouveau Gouvernement calédonien d’élire son président.
L’avant-référendum implique donc une large campagne d’informations et de concertations. D’une part, il s’agit d’expliciter à chaque citoyenne et citoyen calédonien les enjeux liés à ce référendum en matière fiscale, agricole et industrielle, sur la citoyenneté et sur les questions régaliennes ; d’autre part, il est nécessaire de recueillir leur avis. Tout en conservant sa neutralité, l’État a ici un rôle à jouer pour mettre ces informations à disposition.
Monsieur le ministre, où en est-on dans les consultations lancées à l’échelon local ?
Selon l’économiste Olivier Sudrie, si la Nouvelle-Calédonie était un pays indépendant, elle serait la deuxième nation la plus inégalitaire de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE).
L’héritage colonial structure encore la société calédonienne avec des disparités ethniques importantes, malgré la division par deux des inégalités entre Kanaks et Caldoches en vingt ans.
Le taux de pauvreté de la province Nord demeure de 35%, contre 9% au Sud. Il s’élève à 52% dans les îles Loyauté, où les Kanaks sont encore plus présents que dans le Nord. Les 10% les plus aisés ont un niveau de vie huit fois plus élevé que les 10% les plus modestes.
Ces clivages nourrissent la volonté d’indépendance, mais on ne peut affirmer que celle-ci permettrait une réduction des inégalités. Si le « oui » l’emporte, il nous faudra accompagner les Calédoniens dans leur transition vers l’indépendance et développer la coopération afin de nous assurer que la dépendance actuelle vis-à-vis de la métropole ne creuse davantage les inégalités.
Si le « non » l’emporte, de nouveaux outils devront permettre de favoriser un développement égalitaire de l’archipel. L’État n’a pas su préserver les identités des différentes populations qui le composent ni faire cesser les discriminations raciales ou reconnaître à leur juste hauteur la place des populations kanaks.
Ces lacunes ont créé des incompréhensions ; elles nourrissent les distensions – le prochain référendum n’y mettra pas fin. La démocratie parlera ; nous écouterons le choix des Calédoniens.
Mais comment imaginer une destinée commune avec de telles inégalités économiques et sociales ? Le statut juridique n’est pas l’alpha et l’oméga, contrairement à l’objectif de faire fonctionner une société pluriethnique et pluriculturelle.
L’Hexagone et la Nouvelle-Calédonie sont liés par une douloureuse histoire. Que l’archipel demeure dans notre République ou à ses côtés, l’État ne peut s’en déresponsabiliser. À cela s’ajoutent des enjeux d’autonomie économique, l’archipel bénéficiant de ressources qui ne sont aujourd’hui pas mises à profit, comme sa faune et sa flore marines.
La dépendance à l’industrie du nickel, qui emploie un salarié du privé sur quatre, dont 60 % d’ouvriers, a montré ses limites, comme la prouvé la vente de l’entreprise Vale. Des impératifs non seulement économiques mais aussi environnementaux impliquent une diversification de l’économie calédonienne. Enfin, des aspects géopolitiques viennent se lier à ces questions puisque l’archipel est convoité à l’international.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aimerais non pas clore, mais ouvrir mon intervention par ces mots de Louise Michel, envoyée au bagne en Nouvelle-Calédonie en 1873 pour avoir été communarde : « Chacun cherche sa route ; nous cherchons la nôtre et nous pensons que, le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux ».