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Les débats

L’UE toujours incapable de se projeter vers un nouveau modèle solidaire

Conseil européen des 18 et 19 juin 2020 -

Par / 23 juin 2020

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen était chargé d’adopter d’un même mouvement la nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel et le plan de relance annoncé par Angela Merkel et Emmanuel Macron.

Ses résultats sont loin de correspondre aux élans d’enthousiasme vus ici ou là pour saluer l’étape historique que serait en train de franchir l’Union européenne face à la crise du Covid-19.

Certes, l’ampleur de la crise oblige les États membres, le Conseil et la Banque centrale européenne à réagir de manière inédite, faisant d’ailleurs voler en éclats des tabous budgétaires et monétaires qu’on nous disait indépassables il y a quelques mois encore.

Mais empêtrée dans son modèle compétitif et concurrentiel, arcboutée contre l’augmentation des dépenses sociales et publiques, sans lesquelles pourtant le désastre sanitaire aurait été plus grave encore, l’Union européenne affiche toujours les mêmes divisions, les mêmes concurrences et, surtout, la même incapacité à se projeter résolument dans un nouveau modèle solidaire, tourné vers l’avenir, le développement de la sécurité humaine et de la protection de la planète.

Un constat s’impose : aucun accord définitif n’a été trouvé au Conseil européen. On entre manifestement dans un marathon de négociations qui va durer tout l’été, et dont il faudra suivre les compromis successifs pour se faire une idée finale.

Première remarque : l’addition du CFP et du plan de relance masque les évolutions structurelles du cadre financier pluriannuel, globalement en recul, au détriment notamment de la PAC et des fonds de cohésion. On nous explique que le plan de relance fait davantage que compenser. Mais le maquis de l’accès aux nouvelles lignes budgétaires va encore se compliquer – et non se simplifier, madame la secrétaire d’État ! –, et les destinataires ne seront plus forcément les mêmes. Les inquiétudes persistent donc.

Deuxième remarque : même enrobé de déclarations ronflantes sur le caractère historique du plan de relance, le montant global de celui-ci reste très en deçà des besoins estimés. Ainsi, lors de sa dernière allocution télévisée, le président Macron a parlé de 500 milliards d’euros déjà engagés pour faire face à la crise rien que pour la France. Or on parle de 750 milliards d’euros pour toute l’Europe : on voit le gap, surtout quand on connaît les énormes besoins de notre pays et de ses voisins en termes de relance.

Troisième remarque : alors qu’une autre utilisation de la création monétaire serait nécessaire, une très grande majorité des mécanismes annoncés continue de recourir à l’endettement des États sur les marchés. Le problème du remboursement de cette dette restera plus que jamais devant nous et les plus fragiles seront tôt ou tard étranglés par la situation.

Si elle a accepté une part d’endettement mutualisée, Angela Merkel est loin d’avoir cédé sur les exigences imposées en retour aux pays créanciers. L’intégralité du plan de relance – on le dit peu – est soumise aux règles du semestre européen, dont on sait qu’il a joué un rôle important pour imposer aux États membres les politiques d’austérité si durement payées pendant la crise. Je pense notamment aux systèmes de santé publique ou au secteur de la recherche.

Il faudra inévitablement relancer – même si ce n’est pas l’objet de nos échanges d’aujourd’hui – le débat sur l’effacement progressif d’une grande partie de cette dette et, plus encore, sur une révision drastique de la politique monétaire de la BCE, si nous voulons donner réellement aux États membres les moyens d’investir massivement pour un changement de système et un futur modèle économique plus social, plus écologique, plus solidaire en Europe.

Quatrième remarque : qui maîtrisera vraiment les critères de distribution de ces énormes masses d’argent ? Aurons-nous un vrai débat, transparent, sur la gestion de ces fonds ou nous imposera-t-on une répartition dictée par les mécanismes budgétaires européens d’avant-crise ?

Par exemple, pour la santé et la recherche, qui devraient être des priorités absolues après ce que nous venons de vivre, les sommes restent modestes : le fonds Santé est doté de 9,4 milliards d’euros pour toute l’Union européenne, alors que les besoins excèdent cette somme sur la période pour notre seul pays.

La France ne doit-elle pas tenter de flécher avec plus de rigueur cet argent, afin de financer prioritairement le développement d’investissements publics dans la transition écologique des secteurs de l’énergie, des transports, notamment ferroviaires, de l’habitat, comme le propose la Convention citoyenne pour le climat, ou pour permettre aux TPE et aux PME, aux caisses de sécurité sociale et aux hôpitaux d’accéder à un crédit à taux zéro ?

Enfin, sur quels critères reposera le versement de l’argent distribué aux entreprises ? On voit déjà les limites d’un financement motivé par la seule prétendue course à la compétitivité.

Le dernier exemple en date est particulièrement scandaleux, madame la secrétaire d’État : c’est celui de Nokia. Présenté comme une solution européenne aux défis de la 5G, voilà un groupe auquel nous avons vendu Alcatel, qui est gavé depuis des années de subventions publiques et d’exonérations fiscales et sociales, et qui annonce la suppression de plus de 1 000 emplois dans le secteur de la recherche et du développement.

Madame la secrétaire d’État, l’entreprise Nokia bénéficiera-t-elle du plan de relance européen ? Qui va décider ? Sur le fondement de quels critères ? Où est l’ambition de souveraineté industrielle tant clamée ces derniers temps si un groupe continue de toucher de l’argent, alors qu’il annonce des suppressions d’emplois ?

En vérité, il faut revoir en profondeur tous les critères pour en finir avec un système de conditionnalité draconien pour les dépenses sociales et publiques et d’inconditionnalité pour les grands groupes, qui mangent aux deux râteliers : les subventions publiques, d’un côté, le dumping social et l’évasion fiscale, de l’autre.

Pour réussir la relance, il ne suffira pas de brandir des chiffres, aussi nécessaires soient-ils. L’enjeu est de savoir quel sera le modèle sur lequel s’appuiera le fonds de relance : le modèle compétitif du monde d’avant ou un nouveau modèle solidaire, dont la crise a révélé l’urgente nécessité. Nous avons malheureusement l’impression que tout cela est très mal parti.

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