Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

La France, un paradis fiscal légal ?

Incidences du crédit d’impôt recherche sur la situation de l’emploi et sur la recherche -

Par / 12 janvier 2016

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 5,34 milliards d’euros de dépense fiscale constatée en 2015 et 5,58 milliards d’euros en 2016 au titre du crédit d’impôt recherche : voilà la somme que la non-publication du rapport de notre collègue et amie Brigitte
Gonthier-Maurin n’a pas permis de porter à la connaissance du grand public, pas plus que d’y apporter la moindre approche critique.

Pareille mésaventure survint en juillet 2014 à notre collègue Michelle Demessine qui constata que « l’efficacité des exonérations en termes d’emplois n’était pas établie » ; elle proposait ensuite « une remise à plat des exonérations des cotisations sociales ».

Brigitte Gonthier-Maurin proposait pour sa part, non pas une suppression pure et simple, idéologique, radicale du CIR, mais sans doute un meilleur ciblage.

Y aurait-il donc une malédiction pour notre groupe…

Mme Éliane Assassi. Apparemment !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est la lutte des classes !

M. Éric Bocquet. … lorsqu’il s’agit d’interroger l’efficacité de l’argent public alloué par milliards au monde des entreprises ?

Quand le Parlement, pourtant en charge, de par la Constitution, de vérifier le bon usage des deniers publics, de l’argent que les Françaises et les Français confient à l’État pour réduire les inégalités sociales et économiques et pour répondre aux besoins collectifs,…

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est le b.a.-ba !

M. Éric Bocquet. … s’autocensure en ne publiant pas le résultat de ses propres travaux, ce ne peut qu’être au mieux regrettable, au pire une atteinte aux principes de la démocratie représentative !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Éric Bocquet. Nous avons tous le droit de nous interroger sur le bien-fondé de cette importante dépense fiscale et sur ses effets concrets sur l’activité économique, sur celle des laboratoires de recherche, sur l’emploi des docteurs et doctorants, sur le devenir de nos universités et établissements publics, et je pourrais allonger la liste sans difficulté !

L’enjeu est connu : notre économie ne peut se développer et trouver, notamment, les voies d’une croissance économe en ressources naturelles et respectueuse du travail des hommes et des femmes que si l’effort de recherche trouve sa pleine expression.

Pour ne prendre que l’actualité – je ne saurais la qualifier de « brûlante » – des enjeux de la COP 21, il est évident que nous devons renforcer les potentiels de recherche et d’expérimentation dans les domaines des économies d’énergie, du recyclage de matériaux jusqu’à présent voués à l’abandon, des énergies renouvelables ou encore des modes de transport économe.

N’oublions pas qu’à l’entrée les investissements des entreprises en faveur de la recherche bénéficient de la TVA déductible, parfois de certaines formes d’amortissement dégressif et qu’à la sortie ils peuvent aussi se traduire par la plus faible taxation des reventes de brevets !

Comme je le rappelais, 5,58 milliards d’euros de CIR prévus en 2016, cela équivaut à 10 % de l’impôt sur les sociétés brut ! C’est un peu comme si les ménages mensualisés pour l’impôt sur le revenu étaient exemptés d’un versement !

Mais 5,5 milliards d’euros, cela représente aussi, par exemple, plus de 40 % des crédits ouverts pour le fonctionnement de nos universités, notamment le recrutement et la rémunération des enseignants-chercheurs, et plus de deux fois les crédits que nous consacrerons en 2016 à l’amélioration des conditions de vie des deux millions et demi d’étudiants que compte notre pays !

Nous pouvons d’ailleurs nous demander, de manière liminaire, s’il y a lieu d’apporter aux entreprises une facilité fiscale de plus, pour une activité somme toute naturelle – celle qui consiste à rechercher et innover pour produire plus et mieux à moindre coût – de l’entreprise, si tant est qu’elle veuille se développer et tenir face à la concurrence effectivement sévère.

Des crédits d’impôt et des mesures fiscales dérogatoires, il y en tant pour les entreprises que l’on peut en venir à se demander si la France, contrairement à ce qui est dit ici et là, n’est pas un authentique paradis fiscal légal (Rires sur certaines travées de l’UDI-UC.), au-delà du seul cas du CIR, bien entendu, puisque le budget de l’État, à la lecture des documents fournis par le ministère lui-même, comprend pour près de 175 milliards d’euros de mesures d’allégement fiscal, de remboursement, de dégrèvement et autres destinées aux seules entreprises : le tout pour parvenir à un impôt sur les sociétés rapportant aujourd’hui à peine plus de 30 milliards d’euros...

Le crédit d’impôt recherche est censé faciliter le développement de l’emploi technique, de l’ingénierie, de l’emploi scientifique.

Atteint-on l’objectif, dans un contexte marqué par la précarisation du travail des équipes de recherche, notamment dans les établissements publics où les budgets consistent désormais en enveloppes fongibles et non plus en postes budgétaires ?

On pourrait le penser au regard de la hausse régulière du nombre d’entreprises – cela a été rappelé – qui sollicitent le crédit d’impôt recherche. Mais, en fait, il semble bien que, selon leur grande habitude consistant à répartir les coûts, certaines entreprises aient décidé de jouer des effets du seuil du dispositif CIR pour multiplier les petites structures de recherche « dédiée », sociétés sous-traitantes et vassales des groupes pour lesquelles elles sont appelées à consommer de la « matière grise » pour produire de la dépense éligible au crédit d’impôt !

Cela signifie que, à la précarisation renforcée de l’emploi dans les organismes publics de recherche, victimes des politiques d’austérité et de réduction de la dépense publique, nous ajoutons la précarisation de l’emploi dans le secteur privé, le crédit d’impôt suscitant la création d’entreprises de petite taille et d’une durée de vie limitée.

De plus, il est tout de même étrange de constater que, sous le quinquennat de M. Sarkozy, nous n’eûmes qu’une erratique croissance d’un dixième de point par an (M. Michel Canevet s’exclame.), c’est-à-dire que, outre le fait d’avoir battu chaque année le record des aides publiques directes ou indirectes aux entreprises, tout cela n’aura finalement pas servi à grand-chose du point de vue de la croissance et donc, in fine, de l’emploi.

Peu contrôlé, peu évalué – y compris parce que des directives semblent avoir été données dans ce sens –, le crédit d’impôt recherche a besoin d’être repensé – c’est exactement ce que Brigitte Gonthier-Maurin préconisait. Il doit être repensé quant à son architecture, en ayant le souci de parer la tentation de l’optimisation fiscale qui l’accompagne aujourd’hui et dans laquelle un certain nombre d’entreprises se sont essayées depuis la réforme de 2008. Il doit également être repensé s’agissant de son interaction avec d’autres formes d’aides publiques, notamment quand les compétences économiques désormais dévolues aux régions leur donnent, en lien avec leurs moyens propres, leurs relations avec la Banque publique d’investissement et les structures régionales de bien des établissements bancaires, quelque possibilité pour mobiliser, au profit des entreprises comme de l’emploi qualifié, les ressources financières nécessaires.

Le crédit d’impôt recherche, comme le CICE pour des raisons comparables, ne peut plus être quasi aveuglément distribué, sans contrôle citoyen, que celui-ci s’effectue par le biais des conseils régionaux ou, dans l’entreprise, des prérogatives des instances représentatives du personnel – comités d’entreprise ou délégués du personnel.

L’argent public – il n’en est pas de même de l’argent privé – est une denrée rare, nous dit-on aujourd’hui. Vouloir s’en servir avec parcimonie et à bon escient est une bonne règle de gestion.

La situation du crédit impôt recherche nécessite, selon nous, que cet effort soit accompli.

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