La prévention est un objectif évoqué, mais dépourvu de moyens
La pédopsychiatrie en France -
Par Michelle Gréaume / 8 janvier 2020Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pédopsychiatrie française va mal. Cet état de fait, largement partagé par les professionnels du secteur et constaté par les nombreux rapports qui y ont été consacrés, appelle une réponse forte et urgente de la part des pouvoirs publics. De longs délais avant d’accéder à une prise en charge, des soignants en nombre insuffisant, des patients déjà fragiles qui se sentent abandonnés et des familles laissées sans solution face à ces difficultés.
La prévention en santé est essentielle. Elle permet à la fois d’informer et de sensibiliser aux troubles et aux affections, en favorisant les diagnostics précoces, qui, cela a été maintes fois prouvé, permettent une prise en charge plus efficace du patient. C’est le cas notamment pour les troubles autistiques. Or la prévention est un objectif souvent évoqué, mais qui reste dépourvu des moyens financiers et humains à la mesure des besoins que nous constatons sur l’ensemble du territoire.
Prenons l’exemple de la prévention prénatale : 12,5 % des femmes enceintes ont déclaré une détresse psychologique anténatale et seulement 42 % d’entre elles ont bénéficié d’une consultation avec un professionnel spécialisé en psychiatrie. Or ces difficultés peuvent entraîner des conséquences sur le développement de l’enfant, si elles sont à l’origine d’un trouble de l’attachement, par exemple. Le dépistage, l’accompagnement et la prise en charge incluant un accompagnement au rôle parental paraissent alors essentiels pour infléchir les conséquences à court, moyen et long terme pour les mères et leur enfant.
Pourtant, les services de la protection maternelle et infantile (PMI) dans les maternités, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des futures mères, ont été fermés – c’est le cas dans mon département. C’est un relais de moins pour prévenir et dépister les détresses psychologiques prénatales.
Les familles sont souvent dépourvues de ressources face aux troubles de comportement que présente leur enfant. C’est auprès du médecin généraliste qu’elles vont alors chercher des réponses, dans la proximité. Le médecin les oriente vers les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), qui assurent une prise en charge pluridisciplinaire de qualité et couverte financièrement par l’assurance maladie et qui constituent les pièces maîtresses de la sectorisation.
Les CMP accueillent également les mineurs relevant des services de la protection de l’enfance – en France, ils sont près de 300 000. Parce qu’ils ont subi des maltraitances et/ou des négligences, ces mineurs présentent deux à trois fois plus de risques de souffrir de troubles psychiques que la population générale.
Or, alors que les demandes explosent, ces structures d’accueil voient, elles aussi, leurs moyens réduits comme peau de chagrin et elles subissent des regroupements qui non seulement les éloignent de leurs patients, mais risquent aussi de provoquer des ruptures de soins. La réduction de leurs moyens a un impact sur la qualité des soins et la longueur des délais d’attente fait subir une perte de sens à la démarche, voire une moindre adhésion au dispositif thérapeutique.
Par ailleurs, comme l’a souligné ma collègue Laurence Cohen, le fonctionnement de ces structures se voit de plus en plus menacé par la pénurie de professionnels. En effet, les métiers clés – pédopsychiatres, orthophonistes, psychomotriciens – sont de plus en plus en tension, et ce pour des raisons multiples. En 2016, on comptait en moyenne en France 4 professionnels pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans ; 14 départements ne comptaient aucun pédopsychiatre et l’âge moyen de ces professionnels était de 62 ans. Il est nécessaire de renforcer l’attractivité de ces centres, en réajustant la grille de salaire, peu attractive pour les professionnels de santé.
Quant au rôle de la médecine scolaire dans le dépistage et la prévention des troubles pédopsychiatriques, j’aimerais rappeler que, dans le Nord, l’inspection académique faisait état, en 2018, de 40 postes de médecins scolaires vacants sur un total de 80.
Le manque de pédopsychiatres est lourd de conséquences, tant dans la pratique médicale que dans l’enseignement et la recherche. Si les postes vacants dans les services de pédopsychiatrie sont parfois occupés par des psychiatres pour adultes qui n’ont pas la formation adéquate, la situation est toutefois très problématique en ce qui concerne l’enseignement et la recherche, qui s’en trouvent fortement affaiblis.
Les professionnels de santé s’interrogent sur l’avenir et la pérennité de leur discipline : comment intéresser les étudiants en médecine à une spécialité qu’ils n’étudieront que peu lors de leur cursus général ? Comment faire évoluer les traitements et les prises en charge, alors que les crédits pour la recherche sont en berne ?
Il faut pérenniser les moyens des structures d’accueil, renforcer une politique de santé mentale infantile fondée sur la prévention et le soin. Pour cela, monsieur le secrétaire d’État, il faut arrêter les restrictions budgétaires et débloquer les moyens financiers et humains qui s’imposent. L’urgence est donc de passer du constat aux actes et des paroles aux décisions !
J’espère que ce débat, dont mon groupe est à l’initiative, contribuera à ce que votre gouvernement prenne enfin la mesure de la gravité de la situation de la pédopsychiatrie et mette en place un véritable plan de sauvetage de ce secteur.