La réduction du coût du travail est votre unique boussole
Déclaration de politique générale -
Par Éliane Assassi / 16 juillet 2020Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, le 12 mars dernier, une prise de conscience transparaissait dans les propos d’Emmanuel Macron : s’opposer à la loi du marché qui domine tous les secteurs de la vie, y compris la santé ; faire sauter les verrous budgétaires libéraux qui, jusqu’à la dernière loi de finances et à la présentation du projet de loi sur les retraites, étaient les marqueurs du discours présidentiel.
La crise sanitaire, violente, a cruellement mis en évidence le grand désordre suscité par la mondialisation financière.
Le capitalisme, dans une fuite en avant cupide et inhumaine, a porté une lourde part de responsabilité dans les difficultés de notre pays à faire face à l’épidémie. Nos concitoyens ont découvert avec stupeur la délocalisation massive de la production de médicaments, de masques et de réanimateurs.
Voilà pourtant des années que certains, dont nous étions, soulignaient les ravages des délocalisations, cette absurdité sociale au service du profit des actionnaires. Leur terrible impact, appliqué au système de santé, a convaincu une grande majorité de nos concitoyens qu’il fallait changer de logiciel pour notre économie et, sans doute, pour notre société.
Monsieur le Premier ministre, ni le Président de la République, qui voulait se réinventer, ni vous-même ne nous avez convaincus de votre volonté de rompre avec un système, dans lequel l’argent roi prévaut sur l’humain.
La crise économique est là ; elle aussi est violente. Bien sûr, vous mettez l’orthodoxie budgétaire dictée par les règles européennes entre parenthèses car vous avez besoin de sommes considérables pour faire face au choc actuel.
Néanmoins, sur le fond, vous gardez ensemble le cap. Et ce cap, c’est l’adaptation de notre pays à la mondialisation financière fondant le système auquel vous adhérez – en dépit, monsieur le Premier ministre, de vos références à un gaullisme social désuet.
On peut parler de désuétude, car la puissance publique a été dévorée par le marché, année après année, privatisation après privatisation !
J’ai cette impression fugace, mais bien détestable : pour vous, « il faut que tout change pour que rien ne change », comme en atteste l’atterrissage, emblématique, du Ségur de la santé. (M. Julien Bargeton proteste.)
Oui, vous gardez le cap ! M. Macron, dans un exercice de repentance bien appuyé, reconnaissait s’être trompé, avoir porté des mesures injustes. Mais, en même temps, il vantait les mérites de sa politique, dus, selon lui, au projet qui a justement dressé le peuple contre lui. Réforme de la SNCF, réforme du travail, politique fiscale : voilà les bons points qu’il s’est distribués le 14 juillet dernier.
Le cap, c’est le libéralisme sans frein. La réforme des retraites est, à ce titre, symbolique. Vous l’exhumez à nouveau, monsieur le Premier ministre, mais nos concitoyens, qui sont très intelligents, ne sont pas dupes…
Ils ont bien compris que le système par point équivalait à la soumission aux marchés financiers, contrôlés par des vautours comme BlackRock, et que votre ambition pour équilibrer les régimes sociaux consistait, non pas à trouver de nouveaux financements – de fait, il y en a –, mais à faire travailler plus longtemps les salariés.
Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de renoncer à ce projet dogmatique, suscitant des inquiétudes parmi nos compatriotes déjà meurtris par la crise que nous traversons.
Votre label, c’est l’État et les territoires. Bien ! Mais jamais hier je n’ai entendu évoquer les raisons profondes de la détresse de nombre de nos communes, départements et régions : la disparition, l’effondrement du service public et l’étranglement financier.
Vous évoquez même le retour du commissariat au plan. Il y a du Cervantès dans cette conviction ! Comment planifier alors que tout a été cédé aux actionnaires ?
Monsieur le Premier ministre, pour planifier la reconstruction de notre économie et de notre industrie, pour mettre l’écologie et l’emploi, et non le profit financier, au cœur des préoccupations, il faudra plus d’État. Certes au plus près du peuple, de ses agents et des élus, mais il faudra plus d’État !
M. Macron a parlé du fret, des trains de nuit, des petites lignes ferroviaires, qu’il voulait pourtant achever avec ses bus éponymes voilà cinq ans. Mais avec quel outil agira-t-il ? Avec le privé, en cédant la SNCF au plus offrant comme ce fut le cas pour Alstom ?
Pour notre part, nous proposons de remettre la collectivité publique au cœur du redressement, en nous appuyant sur une nouvelle voie : celle d’une transition écologique solidaire et du retour à une souveraineté nationale industrielle, qui permette à notre peuple de retrouver la certitude d’un avenir.
Oui, les collectivités locales, qui sont au cœur de l’organisation des différents territoires de notre pays, ont un rôle décisif à jouer. Nous serons vigilants sur ce point, mais, je le précise, le Sénat n’est pas la chambre des territoires ; il assure la représentation des collectivités territoriales dans la République. C’est pourquoi, aussi, nous refusons ce concept de différenciation, source de rupture d’égalité et d’émiettement de la République.
Toutefois, qu’en est-il de ces collectivités, si elles n’ont plus de service public, plus de bureau de Poste, de gare de chemin de fer, d’école, d’hôpital, de maternité ? C’est là que le bât blesse dans votre propos, monsieur le Premier ministre ! Vous affichez un déterminisme et un verbe dignes des Trente Glorieuses, mais les acteurs et les outils de cette période ont disparu, ou presque !
Le cap est maintenu quand on entend M. Macron accepter, justifier la baisse des salaires contre la préservation de l’emploi. Du bout des lèvres, il appelle les entreprises à modérer le versement des dividendes. Mettre sur le même plan ces deux éléments dans une forme de donnant-donnant est inacceptable !
D’un côté, on réduit le revenu des salariés, souvent modestes, qui devront sacrifier des éléments essentiels de leur vie ; de l’autre, on suggère à des fortunes de limiter une part marginale de leurs revenus.
Monsieur le Premier ministre, nous divergeons au moins sur deux points essentiels : il n’y aura pas de reconstruction sans répartition des richesses et sans un nouveau partage du travail.
L’appellation de « Président des riches », qui colle à M. Macron tel un sparadrap, est liée au péché originel de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, dans sa partie liée aux revenus financiers, accompagnée de l’instauration d’une flat tax portant sur les dividendes et d’une paralysie continuelle de la lutte contre l’évasion fiscale.
S’agissant du partage du travail – l’autre grand chantier d’une nouvelle politique exigée par les failles, révélées par la crise, du système actuel –, comment pouvez-vous affirmer sans sourciller, alors que 800 000 à 1 million de chômeurs supplémentaires sont attendus d’ici à la fin de l’année, qu’il faut « travailler davantage », qu’il faut user et abuser des heures supplémentaires, qu’il faut rallonger l’âge de départ à la retraite ?
La crise, mais aussi les évolutions technologiques et la recherche fondamentale de l’épanouissement humain exigent de changer de logiciel, de cesser l’exploitation à outrance du travailleur, tout en laissant de côté celui qui n’a pas d’emploi. Pour cela, il faut permettre au plus grand nombre de travailler, en faisant en sorte que l’on travaille moins ou mieux.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Éliane Assassi. Nous portons, bien au contraire, le projet de la retraite à 60 ans et de la semaine à 32 heures. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. C’est beaucoup !
Mme Éliane Assassi. Nous vous demandons dès aujourd’hui d’agir avec fermeté contre les entreprises qui licencient, alors qu’elles touchent des aides massives ou qu’elles réalisent des profits boursiers. Allez-vous sanctionner celles qui ont bénéficié du dispositif de chômage partiel, tout en continuant à produire ?
Bien évidemment, nous approuvons l’idée de ne pas laisser sur la touche les 800 000 jeunes arrivant sur le marché de l’emploi en septembre prochain. Mais pourquoi utiliser systématiquement les vieilles recettes des exonérations de cotisations sociales ou autres allégements fiscaux, qui grèvent le budget de la sécurité sociale ?
Le coût du travail est, toujours et encore, votre unique boussole ; jamais, ô grand jamais, le coût du capital ! Nous ne pouvons l’accepter, monsieur le Premier ministre, et nous ne cesserons de nous battre contre cette politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Vous nous dites qu’un nouveau monde est possible… Certainement pas, monsieur le Premier ministre, en utilisant les vieilles recettes d’un ancien monde, détenues par une infinie minorité, au détriment de l’intérêt général !
Bien sûr, nous observerons votre action, mais nous constatons d’emblée que, avec Emmanuel Macron, vous avez rebroussé le chemin !