Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Un diagnostic aujourd’hui encore plus dramatique

La pédopsychiatrie en France -

Par / 8 janvier 2020

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que la Haute Assemblée se préoccupe de la pédopsychiatrie. Une mission d’information sénatoriale, dont j’ai fait partie au nom du groupe CRCE, a publié en avril 2017, sous l’égide de nos collègues Michel Amiel et Alain Milon, un rapport intitulé Situation de la psychiatrie des mineurs en France.

Cette mission a fait un certain nombre de propositions afin d’améliorer la situation de la pédopsychiatrie, mais force est de constater que, près de trois ans plus tard, et après un changement de gouvernement, les choses n’ont guère évolué, ou alors dans le mauvais sens. Le diagnostic est aujourd’hui encore plus dramatique. Les professionnels de santé mentale ont d’ailleurs été, et sont toujours, très mobilisés contre la politique menée par le Gouvernement.

Quand on parle de pédopsychiatrie, on déborde du cadre de la santé stricto sensu, puisque les professionnels de ce secteur sont amenés à travailler avec différents acteurs, dans le domaine social, médico-social, en lien, notamment, avec l’éducation nationale, la justice, leur objectif commun étant la protection de l’enfance.

Je sais que personne ici n’ignore la réalité de la situation. Permettez-moi néanmoins d’évoquer les propos du docteur Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker à Paris, qui se demande ce que va devenir un pays qui ne se donne plus les moyens de soulager la souffrance mentale de ses enfants et adolescents, ou encore ceux du professeur David Cohen, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Pitié-Salpêtrière, qui, à propos de la psychiatrie infanto-juvénile, n’hésite pas à parler de « tiers-monde de la République. »

Cette situation nous conduit à nous interroger, en tant qu’adultes et responsables politiques, notamment sur l’aggravation des difficultés sociales, la fragilisation des repères, la violence économique et symbolique de notre société, les violences intrafamiliales, qui sont des facteurs de troubles psychiques, bien au-delà des simples causes neurobiologiques dans lesquelles certains voudraient enfermer la psychiatrie. Comment ne pas y voir le résultat d’années de restrictions budgétaires à tous les étages ?

Dans leur rapport de 2016, Marie-Rose Moro et Jean-Louis Brison évaluaient à un million le nombre de jeunes faisant appel à la pédopsychiatrie, toutes prises en charge confondues. Ils estimaient même que 25 % des patients de la psychiatrie hospitalière étaient des mineurs.

Au-delà de l’importance de ces chiffres, comment ignorer que les pathologies psychiques de l’enfant ne sont pas celles de l’adulte et qu’elles nécessitent un savoir-faire particulier ? Quand un enfant va mal, il faut qu’il soit vu par un spécialiste de l’enfance.

La pédopsychiatrie est une discipline et une spécialité majeures. Pourtant, en dix ans, le nombre de professionnels s’est réduit de moitié et la durée d’attente d’un premier rendez-vous dépasse parfois les dix-huit mois. Certains départements ne comptent plus aucun pédopsychiatre. Selon les chiffres de 2015 de la DGOS (direction générale de l’offre de soins), il n’y a plus de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie dans dix départements. Certains enfants en grande souffrance sont donc hospitalisés dans des services pour adultes ou loin de leur famille.

Une prise en charge précoce est la clé du mieux-être de la personne, de sa guérison ; or celle-ci est parfois impossible, faute de professionnels et de structures. Ma collègue Michelle Gréaume évoquera la prévention dans son intervention, mais je rappelle d’ores et déjà que la moitié des troubles psychiatriques à fort potentiel évolutif commencent avant l’âge de 15 ans, et pour les trois quarts d’entre eux avant 25 ans.

Il y a quelques années, la France était pionnière et novatrice en matière de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Elle avait notamment créé le secteur pour déstigmatiser les troubles psychiques et sortir de la politique asilaire.

Aujourd’hui, cette politique est mise à mal par l’intégration dans des GHT (groupements hospitaliers de territoire) généraux, au mépris de la spécificité de la psychiatrie, par les regroupements forcés de CMP (centres médico-psychologiques) et de CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques), voire par leur suppression pure et simple. Les patients sont de plus en plus éloignés de ces structures de proximité, parfois laissés en errance médicale et sans soins.

Pour illustrer mon propos, j’évoquerai le cas du CMP de Chilly-Mazarin, en faveur duquel j’étais intervenue afin d’empêcher son transfert dans une autre ville, au sein d’une zone d’activités industrielles difficile d’accès. Malheureusement, cette délocalisation a eu lieu. Elle a mis à mal les liens que les professionnels avaient tissés avec les associations, les partenaires locaux, la communauté éducative, tous indispensables pour accompagner et suivre ces enfants. Elle a également privé les familles d’un accès aux soins de proximité. Cet exemple est loin d’être isolé.

J’évoquerai un autre exemple, lui aussi emblématique. Lors de notre tour de France des hôpitaux et des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), j’ai eu l’occasion, avec mon collègue Pascal Savoldelli, de me rendre en septembre dernier à la Fondation Vallée, qui est un hôpital entièrement consacré à la pédopsychiatrie. Situé à Gentilly, dans le Val-de-Marne, cet établissement renommé connaît lui aussi des difficultés.

Nos échanges avec les organisations syndicales, les usagers et la direction sont tous allés dans le même sens : baisse des dotations, impossibilité de prendre en charge la rénovation de locaux devenus trop exigus et inadaptés à la prise en charge d’un nombre de plus en plus élevé d’enfants et adolescents, aux pathologies qui se complexifient.

Comme en psychiatrie générale, les professionnels dénoncent le poids de la réglementation, des protocoles et de l’organisation, de plus en plus lourd, au détriment du lien avec le patient, du dialogue, de l’écoute, de l’humain.

En Aquitaine, région pilote en matière de pédopsychiatrie, les soignants sont inquiets de l’évolution des directives qui leur sont imposées par l’ARS (agence régionale de santé). Ils dénoncent, ici comme ailleurs, une certaine psychiatrie d’État, qui dicterait aux professionnels les principes et la façon de soigner, le risque étant de ne plus être financés s’ils ne suivent pas les préconisations. Cette pression exercée sur les pratiques professionnelles en vue d’une standardisation des soins, contraire aux besoins des patients, est inacceptable.

Mes chers collègues, la question au cœur de nos débats doit être la suivante : quelle psychiatrie, quelle pédopsychiatrie voulons-nous ?

On sait combien les pratiques sont différentes, entre les partisans d’une approche qui privilégie le traitement des symptômes par une réponse uniquement médicamenteuse et les partisans d’une approche plus centrée sur le psychisme, tout en faisant appel aux sciences humaines pour comprendre la complexité des souffrances individuelles. Ne soyons pas naïfs, certains laboratoires pharmaceutiques ont intérêt à ce que se développe la première approche pour la rendre hégémonique. Cette tendance existe déjà très fortement aux États-Unis dans le traitement de la prétendue hyperactivité des enfants, à base de psychotropes, même avant l’âge de 3 ans, et de Ritaline notamment. Comment ne pas faire le lien avec les attaques contre la psychanalyse, qui sont particulièrement inquiétantes ?

À cet égard, je citerai les propos du docteur Sandrine Deloche, pédopsychiatre, membre du Collectif des 39 : « Nous pourrions chacun clamer un “j’accuse” sans précédent, mais c’est évidemment collectivement que nous devons défendre une solidarité créatrice luttant contre la fabrique d’enfants malades, étiquetés “handicap”, pour laquelle seule l’approche neuro-scientiste serait effective, jetant la psychanalyse aux orties. »

Alors, certes, Mme Buzyn, ministre de la santé, a nommé un délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie et a transféré quelques millions d’euros en faveur de la psychiatrie, notamment après des luttes mémorables telles que celle de Saint-Étienne-du-Rouvray, mais la réponse est loin d’être à la hauteur des enjeux, compte tenu de la gravité de la situation que je viens de décrire.

La réforme du financement de la psychiatrie, telle qu’est prévue dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, va encore aggraver les choses, du fait de l’introduction d’une part de T2A. Quel paradoxe d’ailleurs ! Alors que la ministre a reconnu la nécessité de revoir la tarification à l’activité dans les hôpitaux généralistes, elle l’introduit dans les hôpitaux psychiatriques ! Il est impossible de ne pas faire le lien entre l’austérité dans le secteur de la psychiatrie et la situation plus globale des hôpitaux publics, dont les budgets ont été amputés de 7 milliards d’euros en dix ans.

Avant de conclure mon propos, permettez-moi de faire quelques propositions, qui, je l’espère, monsieur le secrétaire d’État, seront entendues.

Avec les professionnels, il nous paraît urgent d’augmenter le nombre d’heures de psychiatrie au cours de la formation initiale d’infirmiers – ce nombre a drastiquement fondu en quelques années et a quasiment été réduit à néant.

Nous proposons également de maintenir des postes de professeurs d’université pour la formation des jeunes médecins en pédopsychiatrie, sachant que de nombreuses universités en sont totalement dépourvues.

Nous considérons qu’il faut améliorer la reconnaissance des compétences et des qualifications des psychologues, au travers de leur statut et de leurs salaires, lesquels doivent être largement revalorisés. Il faut également augmenter le nombre d’orthophonistes. Il faut en finir avec la précarité de ces professions.

Nous proposons en outre d’améliorer les dispositifs pour éviter les sorties sèches des jeunes majeurs de 18 ans des structures juvéniles, au regard de la saturation dans les structures pour adultes.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, avez-vous un premier bilan à nous communiquer sur les forfaits précoces pour la prise en charge des troubles du neuro-développement et de l’autisme ? Nous avions émis des doutes lors de l’examen du PLFSS pour 2019, et les premiers retours que nous avons concernant notamment les plateformes d’orientation et de coordination justifient nos inquiétudes.

Mes chers collègues, en ce début d’année, permettez-moi de souhaiter que chaque enfant qui en a besoin puisse être correctement pris en charge, ici, en France, et que l’accès à la pédopsychiatrie soit garanti pour tous sur l’ensemble du territoire, dans des structures de soins ambulatoires de proximité, en CMP, en CMPP, en CATTP – les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel – et en milieu hospitalier.

Je terminerai mon propos par une citation de Tony Lainé, précurseur et spécialiste de la pédopsychiatrie, extraite de son livre Éloge de la démocratie : « Il me semble qu’en psychiatrie la loi est, moins qu’ailleurs, à l’abri des dérives et des caricatures. Il faut si peu de choses dans les systèmes clos pour la faire glisser vers des attitudes autoritaires qui ne protègent plus que le pouvoir du chef et entretiennent les autres dans des statuts d’enfants irresponsables. »

J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous aurez entendu cette parole et celle des professionnels de santé, qui manifestent dans la rue jusque sous vos fenêtres.

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