Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Le silence, la peur, la honte, le tabou ne doivent plus régner

Violences sexuelles : aider les victimes à parler -

Par / 2 février 2017

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens moi aussi à remercier le groupe écologiste, notamment Esther Benbassa, d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Le sujet est difficile et grave. S’il nous faut, bien entendu, l’aborder avec beaucoup d’humanité, c’est aussi en tant que législateur que nous devons l’appréhender, pour améliorer la prise en charge des victimes, pour mettre fin à ces violences.

Nous devons donc étudier les obstacles sociaux et juridiques qui font qu’aujourd’hui, dans notre société, les victimes, adultes comme enfants, ont tant de mal à dénoncer leurs harceleurs et leurs agresseurs.

Quelques langues se sont déliées récemment pour rompre avec la loi du silence et du tabou. Je pense notamment aux collaboratrices parlementaires et élues ayant fait l’objet de harcèlement sexuel ou d’agressions sexuelles. Je songe aussi à l’animatrice Flavie Flament, qui a témoigné du viol dont elle a été victime. Toutefois, au regard de la réalité, rares encore, trop rares sont les victimes qui dénoncent leurs agresseurs, osent parler.

Permettez-moi de faire un « focus » sur le viol, forme la plus extrême de ces violences, en reprenant les chiffres des ministères de l’intérieur et de la justice.

En France, chaque année, 84 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol. Moins de 10 % de ces femmes déposent plainte, et seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation. Au total, 51 % des femmes victimes de viol ou de tentative de viol ne font aucune démarche, ni auprès des forces de police ou de la gendarmerie, ni auprès de médecins, psychiatres et psychologues, ni auprès des services sociaux, associations ou numéros d’appel.

Ce sont là des chiffres, hélas ! relativement constants, qui ne diminuent pas au fil des années, malgré les politiques publiques déployées jusqu’à présent, notamment par vous, madame la ministre. Ce débat est donc bienvenu pour nous permettre de réfléchir ensemble aux mesures urgentes qu’il faut prendre, par le législateur comme par l’État.

On ne peut analyser ces violences qui gangrènent notre société sans insister sur le caractère « genré » de ce fléau : la très grande majorité des victimes sont des femmes. Malgré les luttes menées par les féministes et les progressistes, le patriarcat est un système de domination qui continue d’imposer sa loi.

Je tiens à dénoncer un premier obstacle qui empêche les femmes victimes de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle de parler, ou d’ailleurs de toute forme de violence : la honte, la culpabilité de ne pas avoir réagi et de devoir affronter incompréhension et jugement réprobateur.

L’expertise en matière de mémoire traumatique de Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue, peut nous être utile. Les victimes de violences sexuelles, majeures ou mineures, sont en état de sidération, ce qui empêche toute action. Je pense bien sûr ici au cas de Jacqueline Sauvage, dans lequel cette dimension n’a été que trop peu prise en compte.

Les travaux de Muriel Salmona démontrent également que les violences sexuelles accroissent fortement les risques de détresse psychologique et d’apparition de symptômes liés à un état de stress post-traumatique.

Avec la torture et les situations de massacre, les violences sexuelles font partie des violences les plus traumatisantes. Muriel Salmona préconise la mise en place d’un plan Marshall en santé publique pour former les professionnels de la santé et créer des centres de soins pluridisciplinaires de prise en charge des victimes de violences sexuelles. Je soutiens totalement cette demande.

Il faut en finir avec la présomption de responsabilité des victimes,…

Mme Michelle Meunier. Oui !

Mme Hélène Conway-Mouret. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. … avec le fameux « elle l’a bien cherché », « elle n’a pas vraiment dit non », qui pèse systématiquement sur les femmes. Il faut inverser la culpabilité et mettre un terme à cette forme de tolérance sociale des agressions sexuelles. Pour reprendre le slogan de l’association Osez le féminisme !, « la honte doit changer de camp ».

Le second obstacle est le traitement que la justice réserve aux violences faites aux femmes, et singulièrement aux violences sexuelles.

Comment ne pas dénoncer la longueur des procédures judiciaires ? Comment ne pas s’indigner que la parole des femmes soit remise en cause et que les faits soient le plus souvent minimisés ? Comment ne pas constater la défaillance du service public de la justice ?

Une femme ne peut pas se reconstruire si la justice n’a pas condamné son agresseur, si la justice ne lui a pas reconnu le statut de victime.

Un travail remarquable et édifiant a été accompli par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, notamment par Marilyn Baldeck, que la délégation sénatoriale aux droits des femmes a reçue.

C’est un véritable parcours de la combattante qu’une femme victime de harcèlement ou d’agression sexuelle a à affronter. Le documentaire d’Olivier Pighetti, Harcèlement sexuel : le fléau silencieux, en donne un aperçu très émouvant, mais aussi révoltant.

Je tiens à souligner que les harceleurs et agresseurs se retrouvent dans tous les milieux sociaux professionnels, en zone urbaine comme en zone rurale.

Mme Esther Benbassa. Oui !

Mme Laurence Cohen. Bien sûr, il faut encore améliorer et amplifier le travail mené auprès des agresseurs, dans un souci de prévention.

Madame la ministre, au-delà des campagnes de sensibilisation menées par des associations telles que le Collectif féministe contre le viol, qui a créé un numéro vert d’aide aux victimes, pourquoi ne pas lancer, à l’exemple de la campagne de lutte contre le harcèlement dans les transports, qui a rencontré un fort écho, une grande campagne nationale, à la fois pour rappeler que le viol est un crime et pour aider les victimes à porter plainte, à se reconstruire ?

Je souhaiterais que vous puissiez dresser un premier bilan de la mise en place de référents « violences sexuelles » dans les services d’urgences des hôpitaux et nous préciser ce qu’entend faire le Gouvernement pour améliorer l’accueil, la protection et l’accompagnement des victimes par les unités médico-judiciaires.

La formation des personnels de la police, de la justice et de la santé, ainsi que des travailleurs sociaux, me paraît devoir être l’un des axes essentiels. Certes, un article de la loi du 4 août 2014 porte sur cette question, mais peut-être présente-t-il un caractère trop général et manque-t-il un « focus » spécifique sur le viol et les agressions sexuelles.

Tout cela plaide, une nouvelle fois, en faveur de l’élaboration d’une loi-cadre pour les femmes, comme le demande avec force le Collectif national pour les droits des femmes, et pour la création d’observatoires départementaux des violences faites aux femmes, à l’instar du dispositif qui a été mis en place en Seine-Saint-Denis, notamment, sous l’impulsion d’Ernestine Ronai.

De même, il serait utile que le Gouvernement suive un certain nombre de recommandations issues de l’avis rendu public en octobre dernier par la commission « violences de genre » du Haut Conseil à l’égalité des femmes et des hommes, dont je suis membre.

En premier lieu, il faut assurer une prise en charge à 100 % des soins visant à traiter les conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles.

En deuxième lieu, il faut renforcer les dispositifs des articles 222-22 et suivants du code pénal, portant sur la définition des agressions sexuelles, du viol et des éléments constitutifs permettant de qualifier ces actes.

En troisième lieu, comme l’ont souligné plusieurs de mes collègues, il paraît nécessaire de revoir les délais de prescription en matière pénale. À titre personnel, je plaide pour un réel allongement des délais de prescription, voire pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs.

Enfin, exigeons collectivement que l’on cesse de correctionnaliser les viols sous prétexte, prétendument, de désengorger les cours d’assises et d’éviter les délais trop longs. Le viol n’est pas un délit et ne doit donc pas être requalifié en agression sexuelle : c’est un crime, qui doit être jugé en cour d’assises.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est très important !

Mme Laurence Cohen. Tout cela exige bien entendu que des moyens soient accordés à la justice, au ministère des droits des femmes et aux associations de terrain. À cet égard, je ne peux que regretter la baisse des dépenses publiques intervenue au cours de ce quinquennat.

Mes chers collègues, en juillet 2014, la France a ratifié la convention dite d’Istanbul, dont les dispositions sont plus favorables aux femmes que celles du droit français. Il me semble urgent de les transposer dans notre droit.

Le silence, la peur, la honte, le tabou ne doivent plus régner. Mais, on l’a vu tout au long de ce débat, pour les victimes, parler ne relève pas d’une simple injonction. Il faut absolument passer à la vitesse supérieure, notamment en matière de politiques publiques. L’État doit se donner les moyens de débarrasser la société des violences sexuelles et, plus largement, de toutes les violences faites aux femmes. C’est la condition à remplir pour conquérir l’égalité entre les femmes et les hommes. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disait Lénine !

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