Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Les propositions du rapport Duron ne sont pas acceptables

Avenir des trains Intercités -

Par / 9 juin 2015

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRC a donc souhaité l’organisation d’un débat sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, les TET.

En effet, le rapport Duron a soulevé de nombreuses inquiétudes. Il mérite que les représentants de la nation que nous sommes s’expriment à son sujet et soient entendus avant que les décisions soient prises.

Pour bien comprendre les enjeux, il est nécessaire de faire un peu d’histoire.

Auparavant, la SNCF, société intégrée, assurait l’équilibre de ses comptes au travers de l’ensemble de ses activités. Ainsi, la rentabilité ligne par ligne n’était pas le seul critère de jugement. Aujourd’hui, on applique à la SNCF les mêmes recettes que dans le privé : segmentation, massification, externalisation et socialisation des pertes. L’objectif est bien sûr de transférer progressivement les activités rentables au secteur privé et de confier celles qui ne le sont pas aux collectivités, les partisans de ce système affirmant par ailleurs que ces dernières coûtent trop cher…

Depuis 2010, les lignes d’équilibre du territoire font l’objet d’une convention avec l’État, conformément au règlement européen du 23 octobre 2007 « Obligations de service public », dit « OSP », qui définit précisément les obligations de service public devant être assurées par l’opérateur historique, la SNCF, en échange d’une compensation financière de l’ordre de 340 millions d’euros. Sur toutes les travées de cet hémicycle, nous avons défendu nos trains !

Il faut savoir que ce conventionnement relevait essentiellement d’un jeu d’écritures, puisque la SNCF finance de fait ces lignes à concurrence de 96 %. C’est sans doute ce qui l’a poussée à proposer, dans un document sorti dans la presse, une solution radicale, qui fait paraître raisonnables les préconisations du rapport Duron…

SNCF Mobilités se comporte désormais comme une entreprise privée, qui se sépare de ce qui n’est pas financièrement rentable afin de jouer pleinement le jeu de la concurrence. Si cela continue, il faudra la rebaptiser « SIM » : Société internationale de mobilités, sans « N » ni « F » !

Nous partageons le constat sans appel sur la situation de ces trains dressé par le rapport rendu le 26 mai dernier : vétusté du matériel et des infrastructures, qui entraîne retards et inconfort.

En ce qui concerne les propositions, tout le monde considère comme une fatalité l’inconséquence historique de l’État. Lui demander de réparer ses manquements historiques ne semble donc pas être une option. Ce n’est pas l’orientation suivie par ce rapport, qui propose, selon une logique strictement comptable, d’agir à échelle variable, ligne par ligne, pour renforcer l’offre à certains endroits, la limiter à d’autres, transférer parfois des lignes aux régions, mettre en place des cars en remplacement, voire supprimer certaines liaisons.

Ces préconisations sont en contradiction totale avec l’objet même de la convention TET, qui constitue d’ailleurs, selon le Gouvernement et le site du ministère, « une réaffirmation par l’État de l’importance de maintenir le service public ferroviaire, dont les TET constituent l’essence même ». Il est expliqué ensuite que cette convention « s’inscrit dans une politique mettant en œuvre la transition écologique et participe à l’aménagement du territoire ». C’est d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous avez dit ce matin en réponse à ma collègue Laurence Cohen.

En effet, le réseau ferroviaire a toute sa place dans l’offre de mobilité pour des raisons sociales, environnementales et aussi patrimoniales. Nous devrions dès lors parler non pas de concurrence et de rentabilité, mais d’aménagement du territoire. Dans les pays cités en exemple, des pans entiers du territoire ne sont plus desservis aujourd’hui par le rail.

À cet égard, les propositions du rapport ne sont pas acceptables. Les régions souffrant d’enclavement seront encore plus isolées. Cela est particulièrement frappant dans la région Auvergne, où cinq des six lignes TET existantes sont appelées à être supprimées. Dans ma région, la Lorraine, le seul TET existant est menacé, de même que le train de nuit reliant le Luxembourg à la Méditerranée. Je vous assure pourtant qu’il est très fréquenté !

Comment lutter demain contre la désertification des territoires si l’on supprime des dessertes ? À l’heure où notre pays doit accueillir la vingt-et-unième Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite « COP 21 », comment comprendre que l’on privilégie la route aux dépens du rail ? Comment concilier les principes de la transition écologique avec le développement du transport par car ?

Rappelons encore et encore que les entreprises utilisent gratuitement le réseau routier, entretenu par les collectivités, alors qu’elles paient pour utiliser le réseau ferroviaire ! D’ailleurs, les sociétés d’autocars ont bien compris quelle place leur était réservée : elles sont toutes prêtes à faire concurrence aux TET et aux TER en invoquant la nécessité de répondre aux besoins de mobilité des personnes à faibles revenus. Là encore, nous affirmons que la réponse réside dans la hausse des salaires, et non dans le dumping social !

D’ailleurs, comment ne pas souligner les heureux hasards de calendrier conduisant à ce que ces remplacements de trains par des autocars soient envisagés au moment même où la libéralisation du transport par autocar est instaurée par la loi Macron ? Il s’agit d’un mouvement cohérent et global qui favorise la route au détriment du rail.

Le discours se veut rassurant. Pourtant, dans les faits, nous constatons la réduction importante des moyens publics. Il s’agit d’une gestion de court terme et, en fin de compte, de l’abandon de l’industrie ferroviaire. L’obsolescence du système ferroviaire a été organisée à force de libéralisation, de privatisation progressive et de désengagement de l’État.

Nous avons d’ailleurs évoqué ces questions lors du débat précédent sur l’avenir de l’industrie ferroviaire ; les politiques d’austérité conduites dans ce secteur ont entraîné une baisse de la production.

Notre modèle intégré bâti autour de l’opérateur public a été progressivement brisé au nom de la libre concurrence promue par Bruxelles. L’opérateur public a été morcelé, démantelé et, dans le même temps, lesté du poids d’une dette trop lourde, de 44 milliards d’euros, à côté de laquelle le déficit des TET n’est rien.

Par ailleurs, depuis 2004, le système a été progressivement régionalisé et une responsabilité de plus en plus importante a été confiée aux régions. Or, après avoir dû consentir un effort important pour remettre à niveau les TER, ces collectivités sont asphyxiées par la baisse des moyens et l’absence de ressources supplémentaires, puisque le Gouvernement a supprimé le versement transport interstitiel, le VTI, que le Sénat avait instauré. La création, demain, des grandes régions fera apparaître de profondes disparités territoriales, alors même que nous sommes attachés à la dimension nationale de ce service public, au regard de la nécessaire unité du réseau ferré et du caractère national du droit à la mobilité. La force de notre nation a été son maillage en réseau.

Les lois successives n’ont pas permis de trouver une solution au défaut de financement du système. Pis, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, a été privée de ressources par des décisions telles que la privatisation des autoroutes ou l’abandon de l’écotaxe.

Mme Fabienne Keller. Absolument !

Mme Évelyne Didier. Tout cela conduit aujourd’hui à abandonner une partie du réseau, dont la rénovation nécessiterait des efforts trop importants.

Certes, le rapport préconise des efforts en matière de renouvellement du matériel. Nous l’approuvons sur ce point, mais il ne répond pas à cette question plus globale : quelles ressources sont nécessaires pour garantir la continuité et la qualité du système ferroviaire, et qui doit payer ?

Il faut ici rappeler que l’État français se situe loin derrière ses partenaires européens en matière d’investissement public dans le ferroviaire. Il ne participe en effet qu’à hauteur de 32 %, contre 50 % en Allemagne, pays que l’on prend toujours en exemple, et bien plus encore dans d’autres pays, la part de l’investissement public pouvant atteindre 90 %.

Nous sommes extrêmement inquiets de constater que le rapport préconise, comme avenir inéluctable pour les TET, l’ouverture à la concurrence, alors même que le quatrième « paquet ferroviaire » n’est toujours pas adopté. Cette préconisation est en cohérence avec l’adoption ici même, à l’occasion de l’examen du projet de loi Macron, de l’ouverture à la concurrence des TER. Là encore, il s’agit bien d’une logique globale.

D’ailleurs, les entreprises ne s’y trompent pas, qui ont d’ores et déjà adressé aux parlementaires des argumentaires louant l’ouverture à la concurrence comme une réponse à l’abandon des lignes non rentables, tout en invoquant l’importance du service public. On marche sur la tête !

L’exemple du fret est parlant. L’ouverture entière à la concurrence, en 2006, de ce secteur d’intérêt général a justifié le désengagement de l’État et de la SNCF des infrastructures, des matériels et de l’activité d’opérateur. Ce secteur est aujourd’hui moribond. Est-ce cela que nous voulons pour les TET ?

Ce qui est visé, derrière tout cela, c’est le statut des cheminots. Nous vivons une époque de grande précarisation du salariat, marquée par la volonté de supprimer toutes les protections sociales, qui sont perçues comme des entraves au libre jeu du marché.

Nous considérons, pour notre part, que les TET, les TER et les TGV constituent des offres de mobilité distinctes et complémentaires. Les TET desservent mieux les territoires et sont moins chers que les TGV. Ils parcourent des trajets plus longs que les TER. Il n’est donc pas vrai que l’existence d’une offre permet d’en supprimer une autre. Cette fragmentation et cette limitation de l’offre risquent de créer des ruptures de lignes, et ainsi de mettre à mal la continuité du réseau ferroviaire.

Pour conclure sur le rapport Duron, il faut dire que son auteur est parti de la feuille de route qui lui a été donnée : limiter les dépenses. Il ne peut donc pas aboutir à une autre conclusion.

Ce rapport a le mérite de faire un diagnostic complet et partagé, et de préconiser des mesures bien plus équilibrées que celles que la SNCF voulait imposer. Mais ces propositions traduisent un manque d’ambition pour le ferroviaire.

Nous sommes au contraire convaincus qu’il importe non seulement de conserver l’ensemble des lignes TET, en améliorant le service rendu aux usagers, mais également de développer l’offre. Nous invitons donc le Gouvernement à financer le développement du ferroviaire en faisant reprendre tout ou partie de la dette par une structure de défaisance, ce qui permettrait de dégager plus de 1 milliard d’euros chaque année pour le chemin de fer.

Tel est l’enjeu de demain pour le rail : trouver de nouveaux financements pour développer l’offre afin de répondre efficacement aux enjeux de mobilité, aux enjeux environnementaux et aux enjeux d’aménagement du territoire.

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