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Les débats

Les violences conjugales continuent d’être un véritable fléau, avatar d’une société patriarcale

Lutte contre les violences conjugales -

Par / 22 novembre 2016

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour de la tenue de ce débat.

Je tiens tout d’abord à dire que j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce rapport, aux côtés de la présidente, Chantal Jouanno, et de mes collègues corapporteurs.

Il me semble que ce rapport peut être utile. J’en ai fait personnellement l’expérience en le présentant à un certain nombre de professionnels et d’élus de mon département du Val de Marne – je pense, en particulier, au président du TGI, à la juge aux affaires familiales, à la bâtonnière, ainsi qu’à la vice-présidente du conseil départemental, en charge de l’observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes, et bien sûr aux associations de terrain. Comme nous, ils ont tous ressenti le besoin de disposer d’un bilan de notre arsenal législatif assez complet, qui comporte quatre plans interministériels de prévention et de lutte – demain verra le lancement d’un cinquième plan – et plusieurs lois traitant de cette problématique.

Ensemble, nous avons besoin de comprendre pourquoi, malgré tous ces dispositifs, les violences conjugales continuent d’être un véritable fléau, avatar d’une société patriarcale.

Les chiffres ont été rappelés. Je regrette fortement que les médias en fassent essentiellement état dans la semaine du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) Las, dès le lendemain, les violences ne font plus partie de l’actualité et sont traitées comme de simples faits divers, souvent sous la rubrique des crimes passionnels.

M. Roland Courteau. C’est malheureusement vrai !

Mme Laurence Cohen. C’est la raison pour laquelle je souhaite que ce moment de restitution puisse aider le législateur que nous sommes à améliorer la politique de prévention, de sensibilisation, d’éducation et de sanction des coupables.

Je voudrais centrer mon propos sur quatre points qui me paraissent particulièrement importants à la suite de nos auditions et de nos déplacements.

Je veux tout d’abord souligner le caractère innovant de l’ordonnance de protection qui peut être obtenue indépendamment du dépôt d’une plainte par la victime. Toutefois, cinq après sa mise en place, le bilan de ce dispositif nous semble assez mitigé. Bien évidemment, cela n’enlève rien au caractère particulièrement innovant de cette procédure. La question qui se pose est celle des conditions de sa mise en œuvre : d’une part, sa montée en puissance est assez limitée ; d’autre part, le dispositif soulève certaines difficultés, tant pour les magistrats que pour les victimes.

Dans l’esprit du législateur de l’époque, cette nouvelle mesure visait des objectifs très ambitieux : elle devait permettre de mettre à l’abri, dans les meilleurs délais, une femme en danger sans présager la culpabilité de l’auteur des violences, tout en organisant provisoirement les modalités de la séparation. Mais comme le souligne très justement Luc Frémiot, avocat général à la cour d’appel de Douai, l’application des ordonnances de protection varie « d’un TGI à l’autre », ce qui risque d’aboutir, à terme, à une disparité de traitement entre les justiciables ».

Ensuite, même si la loi de 2014 prévoit la délivrance de ces ordonnances dans les meilleurs délais, force est de constater que cela peut également varier d’un département à l’autre : en moyenne, il faut trente-six jours en Seine-Saint-Denis entre le dépôt de la demande au tribunal et la décision du magistrat ; en Val-de-Marne, il faudrait compter environ trois semaines. Ces délais sont longs et peuvent évidemment s’expliquer par un contexte de pénurie des effectifs et d’une justice en souffrance. À quand des moyens dignes d’une justice du XXIe siècle ?

En résumé, ce dispositif est essentiel, mais il faut encore en améliorer la mise en œuvre. Je vous renvoie, faute de temps, à la recommandation n° 1 que nous avons faite.

Le bilan dressé montre que le dispositif de téléprotection grand danger permet de sauver des vies. Il répond réellement à des situations d’urgence, ce que ne fait pas, comme nous venons de le voir, l’ordonnance de protection.

Au moment de l’élaboration de ce rapport d’information, on nous avait dit que l’objectif était d’atteindre 500 appareils en circulation sur l’ensemble du territoire national d’ici à la fin 2016. Je souhaiterais savoir, madame la ministre, si cet objectif sera atteint. Je relaie ici l’une de nos recommandations, à savoir la généralisation de ce dispositif et l’augmentation du nombre de boîtiers existants.

La prise en compte globale du phénomène des violences passe par la prise en charge de l’auteur de ces mêmes violences. Cela apparaît indispensable pour notre groupe de travail, aussi bien en tant que mesure de soins que de prévention de la récidive. Malheureusement, les centres d’accueil pour hommes violents sont très rares en France, contrairement au Canada.

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Laurence Cohen. Je voudrais insister sur un dernier point que je considère comme l’une des recommandations les plus fondamentales, à savoir le besoin de sensibilisation et de formation de tous les professionnels concernés : magistrats, avocats, ensemble des auxiliaires de justice, professionnels de santé, policiers, gendarmes, travailleurs sociaux, associations, personnels de l’éducation nationale – comme cela a été souligné, les enfants sont aussi très souvent les victimes collatérales des violences conjugales.

La délégation a notamment proposé, dans cet esprit de formation renforcée pour les professionnels, qu’un juge référent « violences » soit présent dans chaque cour d’appel.

Ce besoin de formation est apparu particulièrement criant lors du procès de Jacqueline Sauvage, montrant, d’une part, que les dispositifs existants ne sont pas forcément adaptés au vécu de ces femmes, et, d’autre part, que les relais extérieurs – alors que plusieurs signalements avaient été faits – n’ont pas su, pas pu, pas voulu accompagner jusqu’au bout cette femme et ses enfants avant qu’elle ne commette son acte.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Laurence Cohen. Cette logique a abouti au prononcé d’une peine plus que disproportionnée aux yeux de bon nombre d’entre nous. Il en est résulté cette forte mobilisation pour que le strict cadre légal ne soit pas appliqué et que Mme Sauvage puisse enfin retrouver la liberté.

Je vous invite à consulter les travaux de Muriel Salmon sur la dimension de la mémoire traumatique afin de mieux comprendre la complexité de ce qui se joue pour ces victimes.

Je termine en disant que nous avons également conclu à la nécessaire généralisation des observatoires des violences envers les femmes à l’ensemble des départements, ainsi qu’au renforcement des effectifs de la MIPROF.

Je lance un appel solennel en faveur des associations, obligées de mettre la clef sous la porte, car privées de subventions. Je pense particulièrement à l’association Regain, structure d’hébergement d’urgence, à laquelle le conseil départemental du Bas-Rhin vient de supprimer son aide financière.

Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux !

Mme Laurence Cohen. Les moyens doivent être à la hauteur, car, au-delà de l’intérêt, disons « social », d’endiguer les violences conjugales, leur coût s’élève à 2,5 milliards d’euros par an selon un rapport intitulé Où est l’argent pour le droit des femmes ? du Haut Conseil à l’égalité, de la fondation des femmes et du Conseil économique, social et environnemental, notamment. J’en profite pour rappeler que ce même rapport souligne la faiblesse du budget consacré aux droits des femmes – le plus petit budget de tous les ministères – qui ne représente que 0,006 % du budget général. Même en ajoutant les budgets transversaux concernés, on est bien loin du compte !

Je conclus de façon plus personnelle en rappelant que le groupe CRC a déposé au Sénat, en 2013, une proposition de loi très complète, rédigée en lien avec le collectif national des droits des femmes pour lutter contre toutes les violences faites aux femmes. Il s’agit d’adopter une loi-cadre, à l’instar de l’Espagne.

J’espère, mes chers collègues, que nous allons contribuer, à travers ce rapport, à faire reculer le fléau des violences conjugales et que nous serons nombreuses et nombreux à nous rendre à la manifestation nationale du 25 novembre, à l’appel des associations féministes et des organisations syndicales et politiques progressistes. Nous devons être mobilisés au niveau institutionnel, mais aussi dans la rue.

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