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Les débats

Malgré leur rôle incontournable, les associations souffrent d’un manque de soutien concret

Femmes et mineurs victimes de la traite des êtres humains -

Par / 5 mai 2016

Madame la ministre, je souhaite, avec toute la solennité que requiert la gravité de la situation, vous exhorter – permettez-moi ce terme ! – à relayer notre voix auprès du Gouvernement, pour que la France place la question de la traite des femmes au cœur des priorités de son action nationale et internationale.

En ma qualité de corapporteur de la délégation aux droits des femmes, je me suis plus spécifiquement attachée au rôle des associations.

Nous le savons et l’avons encore constaté lors de déplacements à Nice et à Calais, les associations sont des partenaires indispensables, mais parfois esseulés, dans la lutte contre toutes les violences faites aux femmes.

La lutte contre la traite des êtres humains n’échappe pas à ce constat. Les associations effectuent sur le terrain un indispensable travail d’expertise et de proximité, qui leur permet d’accompagner les victimes avec l’humanité que requiert leur situation de très grande vulnérabilité.

En effet, elles leur offrent un accueil et une écoute privilégiés, une information primordiale sur leurs droits, une aide psychologique et sociale et, si nécessaire, elles sont en mesure de les orienter vers des services spécialisés. N’oublions pas que les victimes sont souvent en situation de stress post-traumatique et qu’un accueil purement institutionnel ne suffit pas.

Les associations jouent également le rôle de « lanceurs d’alerte » susceptibles d’identifier les failles constatées sur le terrain dans la politique publique, et de détecter les points d’urgence ou de vigilance particuliers. Elles assurent aussi un travail primordial de formation des professionnels. Ces formations demandent encore à être généralisées.

Pour autant, malgré leur rôle incontournable, leur expertise et leur expérience du terrain, les associations ne sont pas toujours suffisamment sollicitées dans le cadre de la politique de lutte contre la traite des êtres humains.

La délégation aux droits des femmes recommande donc de recourir plus systématiquement à l’expertise du secteur associatif pour définir les outils visant à identifier, à accompagner et à protéger les victimes.

J’en viens au deuxième point sur lequel je souhaite insister : les associations souffrent d’un manque de soutien concret, matérialisé par un déficit de financement public.

Dans un communiqué de presse du 12 octobre 2015, le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains regrettait ainsi que « les moyens financiers pour les associations qui accueillent, accompagnent, soutiennent au quotidien les victimes de traite, pourtant préconisés par le plan, [soient] aujourd’hui dérisoires ».

À cette insuffisance des moyens pour accomplir des missions au nom de l’État s’ajoutent le manque de visibilité et l’incertitude pesant sur les subventions publiques, qui vont jusqu’à remettre en cause les actions et la pérennité des associations. La plupart de celles qui ont été entendues par la délégation au cours des tables rondes du 25 novembre 2015 et du 14 janvier 2016 ont confirmé les inquiétudes existant à cet égard.

Ainsi, le président du Comité contre l’esclavage moderne a indiqué que, tous les ans depuis 2009, se pose la question de la survie de ce dernier, en raison du manque de financement dans un contexte budgétaire extrêmement contraint.

Devant ce constat, la délégation aux droits des femmes a adopté une recommandation plaidant pour une sanctuarisation dans la durée des moyens budgétaires et humains attribués aux associations.

En effet, la mise en œuvre du plan d’action national de lutte contre la traite 2014-2016 engagée par le Gouvernent devait être financée de manière continue et pérenne. Or 4,98 millions d’euros seulement sont inscrits au programme 137 au titre de la lutte contre la traite des êtres humains, 410 000 euros sont consacrés au financement d’associations « têtes de réseaux » et 4,57 millions d’euros sont dédiés au financement d’actions locales en matière de formation des professionnels, de sensibilisation des jeunes, d’organisation de manifestations en direction du grand public, d’accompagnement social.

Les autres sources de financement sont des recettes bien plus aléatoires, voire hypothétiques, car elles sont censées provenir de la confiscation, par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, des biens et produits des personnes et réseaux coupables de traite des êtres humains et de proxénétisme et des sommes qui seront issues de la pénalisation des acheteurs d’actes sexuels prévue par la loi.

Je voudrais m’arrêter un instant sur un exemple dont j’ai eu connaissance la semaine dernière. Il reflète à la fois le manque de moyens des associations et l’insuffisance de coordination qui nuisent à la prise en charge des victimes.

Dans le cadre de la gestion de la crise migratoire sur notre sol, le Gouvernement a confié la prise en charge des migrants et migrantes à des ONG – France terre d’Asile, Médecins du Monde, Terre d’errance, Médecins sans frontières –, dont j’ai pu constater la qualité du travail à Calais.

Ces ONG ont été confrontées aux problématiques de la santé sexuelle et des violences faites aux femmes en transit, qui leur ont fait prendre conscience de la nécessité de mettre en place une approche de « genre » pour penser l’accompagnement de ces personnes et réduire les risques de violences.

Cette approche spécifique, nous en avons bien conscience au sein de la délégation aux droits des femmes, est indispensable pour aborder les violences faites aux femmes et les spécificités de leur accueil et de leur accompagnement : organisation des lieux d’accueil et de soins, des douches, des files d’attente, mais aussi prise en compte des sujets liés à la santé et à la sexualité, comme le recours à l’IVG, difficiles à aborder et donc souvent occultés.

Cet exemple révèle la nécessité de retenir une approche prenant en compte les spécificités de genre.

Le planning familial du Pas-de-Calais a ainsi été sollicité par les ONG pour organiser une formation « genre et migration » à destination des bénévoles et des professionnels en contact avec ces femmes migrantes. Pour financer ces actions de formation, le planning familial a sollicité en vain l’ARS, l’Agence régionale de santé, afin de mettre en place un partenariat. Le planning familial a bien réussi à obtenir un financement du Fonds pour les femmes en Méditerranée, mais aucun de l’État. Je souhaitais vous faire part de cet exemple, qui s’apparente pour moi à un dysfonctionnement tout à fait préjudiciable.

J’espère, madame la ministre, que vous relaierez ces deux recommandations lors des prochains arbitrages budgétaires.

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