Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Notre société doit repenser son approche du handicap

Les droits des personnes en situation de handicap sont‑ils effectifs et respectés ? -

Par / 7 octobre 2021

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de ma collègue Cathy Apourceau-Poly en raison de problèmes de transport. Cette intervention sera donc à deux voix !

À la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, le Sénat a inscrit à l’ordre du jour ce débat sur les droits des personnes en situation de handicap. Il nous a semblé important et utile d’avoir, à six mois de l’élection présidentielle et des élections législatives, une discussion dans notre Haute Assemblée sur l’effectivité et le respect des droits des personnes en situation de handicap.

Nous aurons, le 12 octobre prochain, l’occasion d’aborder une nouvelle fois la question de l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et de débattre avec le Gouvernement de la nature de cette allocation. L’AAH est-elle un revenu minimum de subsistance octroyé par l’État, calculé selon le foyer familial, ou une véritable prestation sociale de compensation du handicap individualisée, selon la situation propre du demandeur ? Pour notre part, la réponse est évidemment la seconde.

Sans la déconjugalisation, que nous sommes nombreuses et nombreux ici à soutenir, il est impossible de sortir d’une situation de dépendance. En effet, notre société enferme en particulier les femmes en situation de handicap qui vivent en couple : 75 % d’entre elles se sentent dépendantes de leur conjoint. De surcroît, on estime que 34 % des femmes en situation de handicap en France ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire ou d’un ex-partenaire.

Tout en abordant la question des aides financières, notre objectif est donc de mener une réflexion globale sur les personnes en situation de handicap, en partant de leurs droits et de leur mise en œuvre effective au quotidien. En effet, la crise sanitaire a mis à rude épreuve notre système de protection sociale. Selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, elle a exacerbé les inégalités des publics vulnérables, tels que les personnes en situation de handicap.

Avant toute chose, il faut rappeler qu’il y a, d’un côté, le handicap et, de l’autre, la personne en situation de handicap. Il ne faut pas les confondre. En France, une personne sur quatre souffre d’une incapacité, d’une limitation d’activité ou d’un handicap.

En ratifiant en 2010 la convention relative aux droits des personnes handicapées, la France s’est engagée, sur le plan international, à sortir d’une approche catégorielle du handicap, fondée sur de simples dispositifs en faveur des personnes en situation de handicap.

Le 14 septembre 2021, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a rendu son rapport sur la mise en œuvre, par la France, de la convention relative aux droits des personnes handicapées. Il a fortement critiqué le système actuel, qui prévoit des réponses isolées pour les personnes concernées et perpétue la méprise selon laquelle les personnes handicapées seraient objets de soins et non pas sujets de droit.

Il est donc indispensable de changer d’approche et de cesser d’estimer que la personne en situation de handicap a des besoins et qu’il faut lui apporter une aide : il faut considérer qu’elle a des droits et qu’ils doivent être rendus effectifs.

L’ONU estime que la France adopte un modèle médical et des approches paternalistes du handicap, qui nuisent à la bonne application des droits des personnes handicapées. L’approche des personnes en situation de handicap ne doit plus être fondée sur leur état de santé. Ces personnes doivent au contraire être considérées comme des sujets de droit : elles ont droit à l’éducation, à un logement, à un travail, aux loisirs, à une vie familiale et sexuelle, à l’accès à la santé et aux transports.

Notre société doit repenser son approche du handicap dans notre pays. Pourtant, la France avait fait un premier pas en ce sens lors de l’adoption de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi reconnaissait pour la première fois la responsabilité de l’environnement dans la production du handicap et traitait de la compensation, par le biais de prestations ou de services, en posant le principe de l’accessibilité à tout, pour toutes et tous.

Malheureusement, depuis 2005, les gouvernements successifs ont été incapables de tenir les engagements inscrits dans la loi. Si des avancées ont pu avoir lieu, nous sommes encore très loin d’une société inclusive. Il suffit de constater l’absence de publication de certains décrets pour se convaincre que l’accessibilité à l’école, à l’emploi ou aux bâtiments publics n’a été que partiellement mise en œuvre.

Christel Prado, présidente de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), posait justement la question dans un rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE) de 2014 de l’opportunité de concevoir une société où les biens et services sont accessibles à toutes et à tous et où toutes les citoyennes et tous les citoyens peuvent faire valoir leurs capacités en exerçant leurs droits fondamentaux.

Dans un rapport du mois d’août, la Défenseure des droits a, elle aussi, fait état d’un bilan contrasté s’agissant de l’effectivité des droits des personnes en situation de handicap. Ainsi, en 2020, le handicap est, pour la quatrième année consécutive, le premier motif de saisine de la Défenseure des droits en matière de discrimination, ce motif représentant 21 % des réclamations.

Pendant la crise de la covid-19, les personnes en situation de handicap et leurs proches ont subi, comme souvent dans leur quotidien, hélas ! l’absence d’aide, de soutien et de répit.

Face à ces constats alarmants, construire une société inclusive et solidaire s’impose, c’est-à-dire une société qui reconnaisse à chaque personne des droits humains inaliénables et universels – civils, politiques, économiques, sociaux, culturels – et s’assure de la réalité de ces droits et de leur mise en œuvre effective dans la vie quotidienne.

Une telle société suppose des politiques d’aménagement et de développement durable qui prennent mieux en compte l’empreinte sociale, économique et environnementale, des politiques qui combattent les préjugés et les discriminations, qui s’opposent à toute logique d’exclusion et d’injustice sociale, qui garantissent et défendent la participation sociale de chacune et chacun, quelles que soient ses capacités. Il s’agit d’affirmer que chaque personne a sa place et doit respecter celle des autres.

En matière de droit à l’éducation, les enfants et les jeunes en situation de handicap sont particulièrement concernés par cette école qui ne s’adapte pas. Il est temps de prendre les mesures nécessaires pour aller vers une éducation véritablement inclusive et émancipatrice, respectueuse des droits humains. Les enfants et jeunes en situation de handicap connaissent de nombreux décrochages et ruptures de parcours, dus à l’inadaptation de la pédagogie.

Des moyens financiers et du personnel d’encadrement formé sont nécessaires pour garantir la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. Il faut rendre accessibles tous les lieux d’accueil, d’activités et d’enseignement, mais également former et soutenir les professionnels de l’éducation et de l’enseignement. Il faut enfin soutenir des structures adaptées, car tous les enfants en situation de handicap ne peuvent intégrer une école dite « ordinaire ».

En matière de droit au travail et à la formation, notre pays connaît un terrible retard. Est-il concevable que, en Île-de-France, Pôle emploi ne dispose que d’une seule personne référente sur ces questions ? Pour favoriser l’accompagnement en milieu ordinaire, des moyens supplémentaires doivent être apportés pour recruter et former des conseillers. Je rappelle que, en plus des contraintes budgétaires, le nombre de places disponibles en établissements ou services d’aide par le travail (ESAT) est gelé depuis 2013.

En matière d’accessibilité, les retards dans la mise en œuvre des normes, y compris dans les transports publics, doivent être rattrapés au plus vite, afin que ce droit soit enfin effectif.

En matière de droit au logement, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a lui-même signalé les reculs dans le droit français consécutifs à l’adoption de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN). Il recommande « d’abroger les dispositions de la loi réduisant le seuil des exigences en matière d’accessibilité pour le logement neuf ».

En conclusion, la personne en situation de handicap est aujourd’hui considérée non pas comme un sujet de droit, mais comme une personne ayant des incapacités. C’est ce paradigme qu’il convient de changer en adaptant notre législation.

Je terminerai en citant cette phrase de Gabriel Garcia Marquez : « J’ai appris qu’un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider à se lever. »

Je souhaite, madame la secrétaire d’État, que vous entendiez, dans mon propos et lors du débat qui va suivre, les exigences des personnes en situation de handicap et que vous puissiez faire mieux dans les six mois à venir. Je souhaite enfin que ce débat permette de faire avancer les droits de ces millions de femmes et d’hommes qui n’aspirent qu’à une seule chose : le respect.

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