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Les débats

Nous ne pouvons plus tolérer que les logiques de marché prévalent sur la santé

Conseil européen des 25 et 26 mars 2021 -

Par / 23 mars 2021

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Balzac écrivait qu’« il ne croyait à aucune vertu, mais à des circonstances où l’homme est vertueux ». Probablement sommes-nous face à de telles circonstances. Alors que le covid-19 continue ses ravages, que le pays est partiellement reconfiné, que la population commence à se désespérer des mesures de privation de libertés, la stratégie vaccinale européenne et nationale doit être considérée avec gravité. C’est sur ce point que je souhaite intervenir.

En de pareilles circonstances, nous ne pouvons plus tolérer que les logiques du marché prévalent sur la santé physique et mentale des citoyennes et des citoyens européens. Des solutions existent et pourraient s’imposer autour d’un principe : la libération des brevets.

Les investissements des laboratoires pharmaceutiques étant financés massivement par de l’argent public, l’argument selon lequel les brevets servent à couvrir ces investissements ne tient pas. Selon la fondation kENUP, les gouvernements des grandes puissances ont mobilisé a minima 93 milliards d’euros d’argent public pour soutenir la recherche et la production d’un vaccin.

La Commission européenne a choisi la méthode des contrats d’achats anticipés. Elle a déboursé 2,1 milliards d’euros, grâce aux fonds de l’instrument d’aide d’urgence de l’Union européenne, pour garantir un stock de 2,5 milliards de doses destiné aux citoyens européens. Or nous savons aujourd’hui qu’aucun stock n’est véritablement garanti, que les États membres sont lésés, que les concurrences demeurent et que l’ambition d’une Europe protectrice relève à ce jour d’une chimère.

Les pertes sociales et humaines pour le plus grand nombre, d’un côté, et les profits pour les grands groupes, de l’autre, cela n’est plus acceptable ! C’est pourquoi les sénatrices et les sénateurs de mon groupe sont partie prenante de la campagne de signatures lancée au niveau européen sur le thème : « Pas de profit sur la pandémie ».

Le Président de la République avait pourtant déclaré, le 4 juin dernier, lors du sommet mondial sur la vaccination : « L’enjeu c’est de faire en sorte dès maintenant qu’un vaccin contre le covid-19, lorsqu’il sera découvert, bénéficie à tous, parce qu’il sera un bien public mondial. »

Ces mots dont nous voulions espérer la mise en œuvre se sont révélés n’être que posture. La France a voté contre l’initiative portée par l’Afrique du Sud et par l’Inde, meneurs d’une coalition d’une centaine de pays militant au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour une dérogation temporaire permettant que chaque pays puisse produire des vaccins.

Le 4 mars dernier, le secrétaire général de l’OMS apportait son soutien à cette volonté de lutter contre la captation des vaccins par les pays riches : 75 % des 200 millions de doses inoculées l’ont été dans 10 pays, quand 130 pays où vivent 2,5 milliards de personnes n’en ont pas reçu une seule.

Les laboratoires pharmaceutiques ne respectent pas leurs engagements contractuels. Malgré leur opacité, certains manquements sont établis. Tout d’abord, les retards d’approvisionnement : je pense évidemment à AstraZeneca, qui ne livrera qu’un tiers des doses promises d’ici à juin. Ensuite, les atermoiements autour du nombre de doses par flacon de vaccin : Pfizer et BioNTech en profitent pour livrer 20 % de doses en moins pour le même prix.

L’objectif doit bien rester que le vaccin devienne véritablement un bien public mondial. Comme le déclarait la présidente de la Commission, en effet, « l’Union européenne ne sera à l’abri que si le reste du monde est à l’abri ».

Pour prendre toute sa part de l’effort réalisé en vue de cet objectif, l’Europe a besoin de reconstruire au plus vite des capacités de recherche et de production souveraines, afin de sortir de la dépendance aux grands laboratoires mondiaux et de faire prévaloir la coopération contre les logiques de la concurrence et des « égoïsmes nationaux » qui en sont le pendant naturel.

La concurrence de tous contre tous crée une inflation des prix et la rareté des flacons. Si l’Europe paie ses doses, aujourd’hui, autour de 2 euros l’unité, l’Afrique du Sud, qui a revendu les siennes, avait déboursé 4,5 euros quand l’Ouganda se ruinait en payant plus de trois fois le prix.

L’initiative Covax était censée permettre de vacciner 20 % de la population de 142 pays ; or ce chiffre devrait n’être que de 3,3 % au premier semestre 2021, et la majorité de la population africaine n’aura pas accès aux vaccins avant 2022. L’Afrique du Sud a déclaré récemment, lors de la réunion du conseil général de l’OMC : « Le problème de la philanthropie est qu’elle ne peut pas acheter l’égalité. […] S’il n’y a pas de vaccins à acheter, l’argent n’a pas d’importance. » En vérité, les pays pauvres constituent donc la variable d’ajustement de l’approvisionnement des vaccins.

Si les pays développés se sont accaparés la quasi-totalité des doses de vaccin, cela ne signifie même pas que les populations européennes sont pour autant bien protégées. Là aussi, en effet, les logiques de marché font des ravages.

Quand 8,9 % seulement de la population européenne a reçu au moins une dose, l’exportation récente de 34 millions de doses interroge. Depuis le début de l’année, 249 demandes d’exportations ont déjà été autorisées vers 31 pays. Parmi ces pays, le Royaume-Uni a bénéficié de 8 millions de doses de vaccin produites aux Pays-Bas, mais aucune dose n’a fait le chemin inverse.

Symboliquement, la Commission européenne a mis en place un « mécanisme de transparence » forçant les entreprises qui produisent des vaccins contre le covid-19 dans l’Union européenne à notifier toute exportation de leurs produits vers des pays tiers, mécanisme utilisé aussitôt par l’Italie pour bloquer 250 000 doses en partance pour l’Australie.

Les stratégies nationales de contournement avaient en réalité débuté, semble-t-il, avec l’Allemagne d’Angela Merkel, qui aurait passé commande à Pfizer et BioNTech de 30 millions de doses supplémentaires de leur vaccin. Plus récemment, le Danemark et l’Autriche ont mis en scène la signature de leur partenariat avec Israël pour la production du vaccin Moderna, via son sous-traitant Teva qui dispose d’usines dans ces pays.

Pendant ce temps, la Hongrie, la République tchèque et la Pologne se tournent vers le vaccin chinois Sinopharm et le vaccin russe Spoutnik V, sans attendre l’avis des autorités sanitaires européennes. L’Union européenne, au lieu d’organiser la coopération entre tous les vaccins, ferme la porte à ces deux vaccins au nom d’un interdit géopolitique et non d’arguments sanitaires.

Le 9 septembre dernier, Ursula von der Leyen avertissait : « Le nationalisme vaccinal met des vies en danger, la coopération en matière de vaccins les sauve. » Force est de constater que la coopération et la solidarité européennes restent à construire. La pandémie révèle au grand jour, en effet, que c’est la matrice même de l’actuelle Union européenne qui est en cause.

L’enjeu sanitaire nous donne l’occasion de changer de logiciel. Allons-nous une nouvelle fois rater la marche ? Cette fois, les Européens ne nous le pardonneront pas.

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