Nous ne sommes plus souverains, mais observateurs des décisions bruxelloises
Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? -
Par Eric Bocquet / 10 juin 2021Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons repris nos travaux cet après-midi avec un débat sur la nécessaire revitalisation des centres-villes. Nous vous invitons désormais à vous pencher sur la nécessaire revitalisation du débat budgétaire ! (Sourires.) Julien Bargeton a parlé de la nécessité de lui redonner du tonus, nous voulons y contribuer.
« Peut-on encore considérer que le vote du budget par le Parlement relève d’un acte démocratique lorsque l’on connaît la marge de manœuvre dont il dispose ? » C’est la question rhétorique que se pose Jean-François Kerléo dans un article intitulé « Plaidoyer en faveur d’une réforme de l’article 40 de la Constitution ». La réponse est bien sûr négative. Il faut expliquer à nos concitoyens que leurs parlementaires ne peuvent que très difficilement modifier les ressources publiques et augmenter les dépenses.
Au fur et à mesure, grâce à une forme de résistance, tout en tentant de ne pas trop disconvenir au Conseil constitutionnel, les élus du Parlement ont essayé de se ménager quelques marges de manœuvre. Malgré cela, lors de l’examen du budget, nous ne pouvons toujours pas proposer de créer une dépense publique, ni même d’accroître une dépense qui nous est soumise, sauf à la « gager ».
M. Vincent Delahaye. Heureusement !
M. Éric Bocquet. Cela revient par exemple à prendre 100 millions d’euros au programme « Handicap et dépendance » pour créditer d’autant le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes ».
M. Julien Bargeton. C’est vrai !
M. Éric Bocquet. Cette illustration atteste qu’en réalité nous ne disposons d’aucune réelle initiative sans tomber dans les incohérences, voire les fautes politiques.
Comme l’a fort bien expliqué Pascal Savoldelli, les faiblesses budgétaires du Parlement sont à la fois la cause et la conséquence du rapport totalement disproportionné entre les prérogatives de l’exécutif et les siennes. Au moment de l’avènement de la Ve République, Paul Reynaud, ancien président du Conseil, avait livré la prophétie suivante : « Les parlementaires vont devenir des économes devant un gouvernement dépensier. » La route était tracée !
Les parlementaires eux-mêmes, y compris des architectes de la LOLF, se sont opposés à la réduction de leurs moyens d’expression. La tribune des présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, MM. Migaud et Arthuis, publiée en 2008, est un appel à la libération du droit d’amendement par la suppression de l’article 40 de la Constitution ; nous nous en souvenons.
Il est intéressant de montrer que Jean Arthuis faisait à l’époque confiance à « la responsabilité des élus » pour gouverner les finances publiques. Ayant remis récemment un rapport au Gouvernement pour rappeler l’importance de mener une politique austéritaire, nous ne pouvons que regretter qu’il ait oublié la parole de liberté qu’il portait alors dans les colonnes du Monde.
M. Jérôme Bascher. Excellent !
M. Éric Bocquet. L’article 40 de la Constitution contribue à un affaiblissement des prérogatives du Parlement non seulement pour ce qu’elles sont, mais aussi pour leurs effets sur les finances publiques. Comme l’expliquaient les deux anciens présidents, « l’article 40 est donc devenu à bien des égards une “machine à créer de la dépense fiscale”. Il accrédite au surplus l’idée dangereuse selon laquelle, en matière de déficit public, la dépense fiscale n’aurait pas le même impact que la dépense budgétaire ».
Pour réagir et formuler des propositions, pour remédier à la crise économique et sociale déjà bien installée, il ne reste donc aux parlementaires qu’à retrancher de l’impôt à ceux qui le payent. C’est un cercle vicieux, infernal, qui participe au démantèlement de l’État. Cette règle constitutionnelle produit des effets dévastateurs sur le niveau des ressources du budget général.
Cette entrave vient s’additionner au carcan des règles européennes qui consacrent le Parlement dans un rôle d’observateur des décisions bruxelloises. Nous ne sommes plus souverains dans la définition des taux de la principale recette de l’État, la TVA. Lorsque l’Union européenne ne produit pas de règle contraignante, on lui délègue le soin de valider notre politique économique sur laquelle nous, parlementaires, ne sommes guère consultés. Cette même Europe s’imposerait comme la seule échelle pertinente de toutes les politiques fiscales. Pouvons-nous, devons-nous nous résigner à cette voie de fait ? La question se pose.
Il est grand temps pour le Parlement de restaurer sa capacité d’initiative, pour que le peuple et ses représentants puissent proposer des idées nouvelles et participer à un renouveau de la gouvernance des finances publiques.
Nous pouvons, nous devons restaurer la possibilité de présenter des alternatives budgétaires par la présentation d’amendements en séance publique, comme cela était le cas voilà quelques années.
Nous pouvons alléger considérablement la procédure des irrecevabilités financières. C’est de notre compétence : nous pouvons le faire dès demain, il suffit de le décider !