Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Nous proposons d’encadrer les pouvoirs exorbitants et destructeurs des grands groupes

Situation et avenir de l’agriculture -

Par / 6 octobre 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais l’angoisse du lendemain n’a été si forte pour nos agriculteurs et les 800 000 emplois du secteur agricole. Leur combat est juste et légitime.

Si nous ne sommes pas capables de défendre et de promouvoir ce secteur vital, notre pays risque de connaître un avenir bien sombre. Lait, viande bovine, porc : voilà trois secteurs essentiels gravement touchés, qui pourraient enregistrer une perte d’au moins 10 % du nombre d’éleveurs, soit plus de 20 000 au total.

Monsieur le ministre, malgré les aides de la PAC couplées qui ont été maintenues grâce à vous, l’abandon des quotas, auquel vous étiez opposé, menace des filières agricoles entières. Victimes de la dégradation rapide des prix d’achat des productions, les agriculteurs ne s’en sortent plus.

La déréglementation des relations commerciales entre producteurs, abatteurs et distributeurs et la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente ont ruiné bon nombre de producteurs.

Les grandes centrales concentrent désormais plus de 90 % des achats. Jamais elles n’ont été aussi puissantes. Les Bigard, Cooperl, Lactalis, Savencia, Carrefour, Intermarché, Auchan, Leclerc, etc., poursuivront leur politique de prix bas, l’État se contentant visiblement d’un rôle d’observateur, certes à l’écoute, mais impuissant, car aucune mesure d’encadrement des relations commerciales n’est prévue. À Plérin, j’ai vu Cooperl et Bigard refuser de participer au marché au cadran pour montrer à quel point ils sont puissants et ne se soucient pas de l’État.

Les marges pour les producteurs sont en régression, alors qu’elles éclatent pour la grande distribution. En 2014, le résultat net du groupe Carrefour, par exemple, s’élevait à 1,2 milliard d’euros. Pourtant, aucune mesure législative n’a été proposée, alors que nous attendions la remise en cause de la loi Chatel.

L’urgence est de garantir un prix de vente rémunérateur pour l’ensemble des producteurs. Je trouve anormal qu’un éleveur disposant d’un cheptel de cinquante bovins ne gagne que l’équivalent du SMIC, comme on l’a vu récemment à la télévision.

Nous proposons d’encadrer les pouvoirs exorbitants et destructeurs des grands groupes. Nous demandons depuis des années l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits agricoles périssables. Ainsi, un lien direct entre le prix payé au producteur et le prix vendu au consommateur serait créé.

Toutefois, ce n’est pas suffisant. Il faut des mécanismes de régulation permettant aux interprofessions de définir des prix minimums indicatifs pour chaque filière agricole, dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs, les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles.

Au Québec et aux États-Unis, un tel mécanisme existe, garantissant une juste rémunération aux producteurs. Le gouvernement américain subventionne l’écart entre le prix du marché et le prix objectif, qui tient compte des coûts de production.

En France, le coefficient multiplicateur est inscrit dans la loi pour les fruits et les légumes, mais il faudrait l’actionner. Ce serait un filet de sécurité pour une profession en détresse !

De plus, au fil des années les outils de gestion des marchés ont été supprimés. Le libéralisme effréné provoque la course sans fin à l’agrandissement des exploitations, à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvre la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.

Tout au long de l’été, monsieur le ministre, vous avez multiplié les déplacements et les annonces de moyens chiffrés comme remèdes. Cependant, lors du débat sur le dernier projet de loi de finances, nous avions dénoncé les coupes budgétaires qui relativisent les aides ponctuelles apportées aujourd’hui aux éleveurs.

Les aides européennes sont utiles dans l’urgence, mais probablement pas dans la durée, car, comme vous l’avez dit tout à l’heure, des réformes structurelles s’imposent. Quelque 600 millions d’euros d’aides supplémentaires sur trois ans, cela vaut mieux que rien, mais cela ne réglera pas la crise. En effet, les problèmes sont non pas conjoncturels, mais structurels.

Depuis la première loi de finances du quinquennat, le budget de l’agriculture aura baissé de 756 millions d’euros ! Le projet de loi de finances pour 2016 entérine malheureusement la baisse programmée dans le plan triennal 2015-2017, avec près de 200 millions d’euros de moins qu’en 2015.

Alors que la plupart des filières connaissent des difficultés importantes, il est anormal que l’État ne conforte pas les leviers qui ont vocation à favoriser le redressement de certaines exploitations. Il est urgent de réinvestir dans l’agriculture, par rapport à des politiques budgétairement restrictives.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaitais attirer votre attention sur la filière de la canne à sucre réunionnaise. Les quotas de production, ainsi que le prix garanti, seront supprimés à partir du 1er octobre 2017, mettant en péril près de 20 000 producteurs à la Réunion. Dès lors, quelles mesures comptez-vous prendre ? Encore une fois, on nous parle d’un plan d’aide, mais, vous le savez, ce ne sera pas suffisant. C’est d’un soutien pérenne, de l’ordre de 120 millions d’euros par an de subventions à compter de 2017, que la filière a besoin !

Enfin, la concentration des secteurs de la collecte, de la transformation et de la distribution place les petits et moyens paysans dans un rapport de subordination qui les élimine implacablement. C’est conforme à la logique de la politique européenne, qui a abandonné les mécanismes de régulation pour laisser cours à la « concurrence libre et non faussée », moteur de la compétitivité sans fin qui tire tout vers le bas. Cette logique lamine les travailleurs de la terre et les territoires ruraux.

En matière d’agriculture et d’alimentation, le libéralisme sans limites, à la recherche de toujours plus de compétitivité, nous conduit droit dans le mur. Nous pensons qu’il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes.

Les négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange, mais aussi sur l’accord France-Canada, nous font craindre le pire. L’accord transatlantique de libre-échange nous amènerait loin de l’agroécologie que vous défendez, monsieur le ministre ! C’est pourquoi il faut tracer de nouvelles perspectives pour la grande distribution et prendre des engagements dans la durée pour réinventer notre modèle agricole.

Prenons le cas des restaurants scolaires – cet exemple a été évoqué précédemment – et des cuisines centrales intercommunales, dont les élus locaux ont la charge. Nous pourrions envisager de nouveaux critères, afin de faciliter les appels d’offres, en vue de favoriser l’alimentation bio, l’agriculture raisonnée et les circuits courts, avec une mise valeur de la traçabilité. C’est un gage de la qualité des produits et cela évite toute la logistique du transport des denrées. En effet, pourquoi acheter un poireau à un grossiste en Espagne alors que l’agriculteur de la commune ou de la commune voisine peine à vendre le sien ?

La dernière mutation agricole était fondée sur le « forçage » de la production et entraînait le gaspillage : excès d’engrais, de pesticides souvent et d’irrigation, entre autres. L’évolution actuelle doit modifier complètement cette situation. D’ailleurs, nombre agriculteurs en sont conscients, et il y a eu de nombreuses tentatives visant à changer de logique, afin de recourir aux propriétés de production de la nature elle-même.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y aura pas de développement durable et solidaire sans une orientation nouvelle, construite avec l’ensemble des acteurs. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités pour exiger des prix minimums européens, rétablir les quotas et défendre un modèle agricole vertueux. C’est un changement de modèle qu’il faut opérer d’urgence, avant qu’il ne soit trop tard.

C’est pourquoi le groupe CRC croit en un nouveau modèle d’exploitation, qui devra respecter cinq conditions : favoriser l’installation et le renouvellement des agriculteurs, assurer un revenu décent aux exploitants en activité, répondre aux enjeux alimentaires de la planète, affirmer la double performance économique et écologique et assurer la traçabilité de tous les produits.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Michel Le Scouarnec. Un autre avenir est à construire. Notre devoir est de protéger nos territoires, comme l’a relevé précédemment notre collègue Jacques Mézard, ainsi que nos filières agricoles, tout en assurant un vrai développement durable et solidaire.

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