Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Nous refusons la mise en berne du corps des conseillers d’orientation

Orientation scolaire -

Par / 18 octobre 2016

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail particulièrement sérieux et, je crois, sincèrement engagé de Guy-Dominique Kennel ; de toute évidence, notre collègue enrichit un débat qui est, de l’avis général, fondamental.

De puissants déterminismes et stéréotypes sont à l’œuvre dans l’orientation scolaire. D’ailleurs, celle-ci est souvent trop réduite à une procédure de tri social des élèves via les trois voies de formation du lycée. Monsieur le rapporteur, ce constat a été bien identifié par la mission d’information, et vous l’avez évoqué avec clairvoyance.

Cependant, malgré l’intérêt de certaines d’entre elles, l’essentiel de vos recommandations visent davantage, selon moi, à réguler les flux d’élèves qu’à s’attaquer à l’origine de l’échec : le poids des déterminismes qui placent nombre d’élèves en difficulté, bien souvent dès le primaire.

Depuis 2005, les politiques publiques, telles qu’orientées par la stratégie de Lisbonne, tendent à promouvoir une conception de l’éducation tournée principalement vers un objectif d’employabilité, s’appuyant sur les difficultés objectives de notre système. Ainsi, malgré les précautions oratoires que vous avez prises dans votre exposé, monsieur Kennel, votre rapport d’information fait de l’insertion professionnelle non pas l’un des objectifs du système éducatif, mais un objectif au cœur de ce système ; c’est en tout cas ce que nous ressentons.

De fait, vous proposez des outils destinés surtout à gérer et à calibrer les flux d’élèves, comme une sélection à l’entrée à l’université, selon des prérequis, pour les formations à effectifs limités ; nous en débattrons la semaine prochaine lorsque nous traiterons de la réforme des masters.

Vous avancez aussi l’idée d’une carte des formations plus « réactive » aux besoins locaux et en plus forte adéquation avec les entreprises. Très bien, mais je ne suis pas sûr que ce soit la préoccupation la plus importante à prendre en compte, d’autant que les entreprises sont bien souvent dans l’incapacité d’anticiper leurs besoins à une échéance en rapport avec le temps nécessaire pour former un jeune. Sans compter que, comme l’on sait, un tiers des emplois qui existeront dans dix ans ne sont même pas connus aujourd’hui… (Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, opine.)

Certes, l’insertion professionnelle est une question fondamentale posée au système éducatif ; mais ce n’est pas le seul défi que celui-ci doit relever. La complexification des savoirs, du travail et de l’organisation de celui-ci implique une élévation du niveau des connaissances, pour permettre à tous les élèves d’être en mesure de s’adapter. Ne pas le prendre en compte, c’est accepter que certains élèves, les moins en connivence avec l’institution scolaire, demeurent cantonnés à une orientation par l’échec, tandis que d’autres seraient destinés, a priori, à la poursuite d’études : ceux que certains nomment « les plus méritants ». Quid, alors, madame la ministre, du « tous capables » inscrit dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ?

C’est pourquoi mon groupe s’interroge et interroge sur le principe d’un allongement de la scolarité obligatoire à 18 ans,…

M. Jacques Grosperrin. Pourquoi pas 25 ans ?

M. Patrick Abate. … avec une orientation plus tardive, afin de penser et d’agir au sein de l’école pour offrir la remédiation nécessaire aux élèves qui en ont le plus besoin.

La mission d’information préconise de confier le pilotage de l’orientation scolaire à la région via la régionalisation des CIO, en contradiction avec la loi du 5 mars 2014, qui a réaffirmé le rôle de l’État en la matière. Que deviendrait, dès lors, le principe fondamental qui sous-tend le service public de l’éducation nationale : une réponse égalitaire dans le droit et l’accès à l’éducation sur tout le territoire ? De fait, on ne peut ignorer le risque d’un creusement des inégalités, alors que les collectivités territoriales voient leurs moyens réduits et que la répartition des richesses sur le territoire n’est – c’est le moins que l’on puisse dire – pas tout à fait égale.

Par ailleurs, le rapport d’information minore, à mon sens, l’importance des processus psychologiques et sociaux dans l’orientation. En effet, l’élaboration d’un projet d’avenir chez un adolescent ne se résume pas à une simple question d’information sur la réalité des métiers et sur les formations offertes. Ce projet doit aussi être en lien étroit avec le développement de la personnalité du jeune et la construction de son identité – je n’ai pas dit un gros mot. S’agissant d’élèves du secondaire, singulièrement de collégiens et de collégiennes, qui commencent leur construction d’adulte et de citoyen, la question devrait être posée davantage en termes de développement individuel, de reconnaissance, d’estimation de soi et d’émancipation.

Parce que cette approche implique que les élèves bénéficient de l’accompagnement d’une pluralité de professionnels, nous refusons la mise en berne du corps actuel des conseillers d’orientation-psychologues ; il faut certes qu’ils travaillent en collaboration avec les enseignants, mais ceux-ci ne sont pas formés pour assurer les missions de ceux-là. Du reste, je m’interroge vraiment sur l’utilité, en tout cas sur l’efficacité, d’un stage obligatoire en entreprise censé permettre aux enseignants de maîtriser les enjeux du monde du travail.

En ce qui nous concerne, nous soutenons la démarche engagée au niveau du ministère pour créer un corps unique de psychologues de la maternelle à l’enseignement supérieur. Nous considérons, madame la ministre, qu’elle devra s’accompagner de recrutements, pour que cesse la situation inacceptable de conseillers d’orientation-psychologues responsables de 1 400 à 1 600 élèves sur deux ou trois établissements.

Enfin, la réforme du bac professionnel en trois ans, dont les écueils sont pourtant reconnus, n’est pas réinterrogée dans le rapport d’information, ce qui est dommage. Il est proposé de favoriser la mixité des publics et des parcours : très bien, mais son efficacité sur la réussite des élèves n’est pas questionnée, non plus que ne sont prises en compte les difficultés pédagogiques et organisationnelles qu’elle entraîne.

Au total, monsieur Kennel, même si votre rapport d’information est intéressant, je ne partage pas l’essentiel de ses conclusions. Certaines des propositions qu’il comprend ont déjà été portées sous le précédent quinquennat et, à notre sens, il ne soulève pas suffisamment le problème des moyens, tant humains que financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

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