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Les débats

Nous restons insatisfaits devant un « arrangement » négocié dans l’urgence

La France et l’Europe face à la crise au Levant -

Par / 18 octobre 2016

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril dernier, la signature de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie était intervenue sur fond d’inquiétudes et de polémiques : soupçons à l’égard de négociations largement influencées par l’Allemagne ; reproche de céder au chantage de la Turquie en matière de contreparties politiques – libéralisation des visas et relance des négociations d’adhésion –, alors même que la situation des droits fondamentaux dans ce pays ne cesse de se dégrader ; critique du principe d’un renvoi en Turquie de tous les migrants arrivés après le 20 mars, y compris ceux potentiellement éligibles à l’asile ; critique également de l’échange de réfugiés syriens contre d’autres dans le cadre du programme dit « un pour un ». Ajoutons à cela le fait que l’accord n’a pas été soumis à l’approbation du Parlement européen ni à celle des parlements nationaux, malgré ses conséquences budgétaires…

C’est en vue de répondre à ces interrogations que notre mission d’information a été constituée. Si nous restons insatisfaits devant un « arrangement » négocié dans l’urgence, avant tout pour répondre à une situation de crise, un certain nombre de préventions ont pu être levées, en particulier en ce qui concerne la conduite des négociations.

En revanche, concernant la crainte qu’il soit porté une atteinte grave à l’exercice du droit d’asile en Europe au travers de la prise en compte de la notion de « pays tiers sûr », force est de constater que, en pratique, cette tentative de sous-traiter les demandes d’asile à la Turquie ne fonctionne pas, très peu de décisions d’inéligibilité à l’asile ayant été prononcées sur ce fondement. De fait, les migrants ayant besoin de protection obtiennent majoritairement l’asile en Grèce.

Comme l’a rappelé le président de la mission d’information, cet accord, il faut l’admettre, était nécessaire, d’abord et surtout pour des raisons humanitaires.

On peut constater que, sept mois plus tard, l’accord tient et a contribué à l’obtention de l’effet attendu en termes de réduction des flux, malgré les menaces réitérées de la partie turque de le rompre, malgré l’expiration de l’échéance de la fin du mois de juin pour la libéralisation des visas, malgré les soubresauts et des relations plus tendues avec la Turquie au lendemain de la tentative de coup d’État, malgré, enfin, une période estivale traditionnellement propice à l’augmentation du nombre des traversées.

Concernant la situation des réfugiés en Turquie, il faut noter des avancées, qu’il s’agisse des compléments apportés au cadre juridique de la protection internationale ou de la mise en œuvre de l’aide financière européenne, en particulier l’instauration, sous l’égide du Programme alimentaire mondial et du Croissant rouge turc, d’un « filet de sécurité sociale d’urgence » qui permettra à plus d’un million de réfugiés de percevoir une somme mensuelle pour couvrir leurs besoins de base : alimentation, soins, vêtements, logement…

Toutefois, nous ne pouvons pas non plus nier les difficultés : accès insuffisant des enfants réfugiés à l’éducation – 500 000 d’entre eux étant encore non scolarisés –, nombre encore réduit de permis de travail accordés – de l’ordre de 8 000 seulement, selon les derniers chiffres –, qui contraint la majorité des réfugiés au travail clandestin, précarité économique encore vécue par nombre d’entre eux. Mais, précisément, l’aide apportée dans le cadre de l’accord pourra contribuer à améliorer le sort des 3 millions de réfugiés, dont 2,7 millions de Syriens, qui se trouvent en Turquie, premier pays d’accueil au plan mondial.

Le sort des demandeurs d’asile non syriens doit, en outre, faire l’objet d’un suivi attentif en Turquie, car il n’est pas sûr qu’ils bénéficient bien, en pratique, de l’accès à la procédure et de la protection qui leur sont reconnus sur le papier.

Plus préoccupant encore, la frontière entre la Turquie et la Syrie est désormais fermée et des dizaines de milliers de réfugiés s’y entassent.

Par ailleurs, plusieurs hypothèques pèsent sur la mise en œuvre de l’accord, notamment l’engorgement du traitement des demandes d’asile dans les hotspots et les exigences turques concernant la mise en œuvre des contreparties politiques.

Sur ce dernier point, comme l’a indiqué le président de la mission d’information, il n’est pas question de céder au chantage de la Turquie ni d’accepter quelque accommodement que ce soit concernant les critères de la feuille de route, notamment s’agissant de la définition de la lutte antiterroriste. La liberté d’expression, le pluralisme politique, l’État de droit et le respect des droits de l’homme ne sont pas des valeurs négociables.

Dans ces conditions, quelles recommandations faisons-nous ?

Tout d’abord, il est nécessaire de manifester à la Turquie notre détermination à appliquer l’accord dans ses volets exclusivement consacrés aux réfugiés, en accélérant le versement de l’aide financière et en procédant rapidement aux réinstallations. Malgré une accélération ces derniers mois, 1 614 réinstallations seulement avaient été réalisées le 26 septembre, ce qui est bien modeste au regard des 72 000 envisagées par l’accord.

De même, il importe de mettre en œuvre le plan de relocalisation des migrants arrivés en Grèce avant l’accord. Seulement 4 555 relocalisations avaient été effectuées au 27 septembre. Si notre pays mène une action que l’on peut qualifier d’exemplaire sur ce volet, c’est loin d’être le cas de tous nos voisins européens !

Enfin, il faut compléter le soutien apporté à la Grèce par la prise en compte de cette situation dans la négociation sur sa dette et par la mise en œuvre rapide de l’aide humanitaire européenne destinée aux 46 000 migrants arrivés avant la conclusion de l’accord, une priorité absolue devant être, à cet égard, la mise à l’abri dans des conditions décentes des 2 200 mineurs isolés.

Je conclurai, à l’instar de notre rapport, en considérant que ce type d’accord n’a pas vocation à se reproduire et qu’il ne peut trouver sa pleine efficacité que dans le cadre d’une politique migratoire européenne ambitieuse et cohérente que nous appelons de nos vœux. Cela implique de développer une politique partenariale efficace avec les pays d’origine et de transit, comportant un soutien significatif au développement économique, mais également l’ouverture de nouvelles voies légales de migration, indispensables à une gestion maîtrisée des flux, et une véritable mobilisation contre les réseaux de trafiquants et de passeurs qui exploitent la misère humaine et exposent les migrants aux pires dangers sur les routes de la migration irrégulière.

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