On ne peut circonscrire les campagnes à l’immobilité
Mobilités dans les espaces peu denses -
Par Gérard Lahellec / 3 mars 2021Monsieur le secrétaire d’État, j’articulerai mon intervention autour de trois observations.
En premier lieu, je relève que la loi d’orientation des mobilités a fixé un certain nombre d’ambitions visant à ne laisser aucune zone sur le bord de la route, si je puis dire. Très bien ! En même temps, la LOM pousse les intercommunalités à se saisir de la compétence mobilités et laisse le soin aux régions dites « chef de file » d’assumer la compétence là où les intercommunalités ne le feraient pas. Pardonnez-moi, mais ma grand-mère aurait appelé cela l’art de gérer les restes. Or il n’y a rien de plus compliqué à faire, du point de vue économique, que de gérer ce qui reste. Voilà une véritable difficulté à laquelle nous sommes confrontés ; se pose donc forcément la question des moyens qui seront donnés à ceux qui ont pour ambition de gérer ces restes, précisément pour qu’il n’y ait pas de restes !
Deuxièmement, nous savons tous ici ce que sont les territoires peu denses ; nous connaissons les désertifications qu’ils subissent. Je ne m’étendrai donc pas sur ce sujet, mais je ferai remarquer que la régionalisation des transports ferroviaires a tout de même été une bonne chose du point de vue de l’usage de ces lignes dans nos territoires, même si tout le nécessaire n’a pas été fait. En effet, cette régionalisation s’est traduite par l’affirmation d’une grande ambition publique ne laissant aucun territoire sur le bord de la route. Il eût été bon qu’on en tirât quelques enseignements !
Or, aujourd’hui, quand je défends des petites lignes ferroviaires, des lignes dites « d’aménagement », ou « de desserte fine » du territoire – je crois que c’est ainsi qu’on les désigne désormais –, on me rétorque que nous sommes en train de désendetter la SNCF. Certes, mais on le fait en lui interdisant d’investir, ce qui revient à lui faire payer le prix de son désendettement. Voilà la vérité ! Dès que vous décrétez que, sur telle ou telle petite ligne, il est interdit d’investir plus de 8 %…
Mme la présidente. Il va falloir conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Lahellec. J’aurais voulu prendre comme dernier exemple tout ce qui se passe dans nos campagnes. Tout simplement, celles-ci souhaitent pouvoir accéder à tout : on ne peut donc pas se contenter de circonscrire un périmètre de mobilité qui interdirait à tous ces territoires d’accéder à l’Europe, au monde et au-delà !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Lahellec, vous indiquez en introduction de votre propos que vous allez devoir gérer les restes, mais des exemples sont nécessaires.
Comme je l’évoquais tout à l’heure, pour ma part, j’ai créé une AOT de deuxième niveau, à une époque où c’était possible, mais tout de même très difficile. Je l’ai fait, tout simplement, parce qu’un certain nombre de sujets n’étaient pas pris en compte par l’autorité de niveau supérieur. Cette autorité, qui était départementale à l’époque et serait régionale maintenant, appliquait des critères selon lesquels un village de cinq enfants à scolariser n’avait pas droit au transport scolaire. C’est pourquoi une intercommunalité a fait le choix d’assurer ce service, estimant qu’elle devait le faire si elle voulait conserver des enfants sur son territoire. Ajoutons qu’il s’agissait d’une zone qui connaissait un problème de gestion des flux de circulation – flux tout à fait considérables –, laquelle gestion aurait été impossible si nous n’avions pu limiter la casse en organisant la venue de véhicules de transport public sur ces zones, qui sont souvent écologiquement très sensibles, notamment dans les différents parcs.
Alors, il ne s’agit pas, selon moi, de gérer les restes, mais de faire en sorte que, quand une intercommunalité prend une initiative, on en tire les conséquences qui s’imposent sur ses rapports avec les autorités régionales qui géreront, dans les faits, tout ce qui ne sera pas proposé par les autres collectivités. Cela permettra d’ailleurs, peut-être, de modifier un certain nombre de critères appliqués au niveau régional d’une manière dont la mise en œuvre serait plus intéressante sur des territoires peu denses.
Sachez quand même une chose, monsieur le sénateur : nous suivons une logique de confiance aux territoires. Ceux-ci ont des besoins de transport, qui peuvent être effectivement exprimés par une volonté de mise en œuvre, au niveau local, de solutions spécifiques. Il s’agit par ailleurs souvent de solutions alternatives au transport public lourd ordinaire ; à mon avis, de telles initiatives enrichiront le dialogue entre l’autorité régionale et les autorités locales, dans le cadre de la décentralisation.