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Les débats

Personne ne quitte son pays de gaieté de coeur, qu’on en soit chassé par la guerre ou la misère et l’exploitation économique

Dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés -

Par / 1er mars 2016

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Réfugiés : l’Europe se désintègre », titrait Le Monde de ce week-end.

L’Autriche et les pays des Balkans ont décidé unilatéralement de filtrer les entrées sur leur territoire. La Grèce a rappelé son ambassadeur à Vienne. La justice a autorisé l’évacuation de la « jungle » de Calais. La Belgique a rétabli des contrôles à la frontière française.

Incapable de surmonter la crise des migrants, comme en témoigne la réunion houleuse des ministres de l’intérieur qui a eu lieu jeudi dernier, l’Union européenne laisse se jouer une tragédie humaine redoutable. C’est dans ce contexte que nos collègues du groupe Les Républicains nous invitent à débattre de l’accueil des réfugiés.

Le mot « réfugié » recouvre une définition juridique précise.

L’article 1er de la convention de Genève de 1951, ratifiée par 145 pays, définit un réfugié comme une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle, et qui, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques, craint avec raison d’être persécutée et ne peut se réclamer de la protection de ce pays ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Pour les États, seuls habilités à accorder le droit d’asile, est considérée comme réfugiée une personne qui a déposé une demande d’asile et a obtenu le droit d’asile après avoir apporté la preuve que sa vie est sérieusement menacée dans son pays.

Tout réfugié serait donc un migrant, mais tout migrant ne serait pas réfugié…

Mme Éliane Assassi. Eh oui !

M. Christian Favier. Pourtant, la pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tout comme les demandeurs d’asile ont des raisons économiques de fuir leur pays, il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution. Par exemple, l’esclavage existe toujours en Mauritanie.

Les discours politiques et médiatiques qui s’acharnent à distinguer différentes catégories de migrants relèvent souvent d’une vision discriminante.

Aujourd’hui, le tri entre « bons » réfugiés et « mauvais » migrants s’effectue en Grèce dans les quatre hotspots, ou « centres d’accueil », désormais opérationnels. Ce constat a été rappelé : en 2015, ce pays a accueilli plus de 856 000 migrants, soit 82 % de l’ensemble des personnes arrivées en Europe. En outre, entre 1 200 et 3 000 réfugiés continuent d’accoster chaque jour dans les îles de la mer Égée. Environ 40 % d’entre eux sont aujourd’hui refoulés et voués à rester bloqués en Grèce.

Mercredi dernier, le Premier ministre grec Alexis Tsipras a menacé de refuser tout accord européen si le fardeau de la crise migratoire « n’est pas partagé d’une manière proportionnelle » par les pays membres de l’Union européenne.

Mme Esther Benbassa. Bien sûr !

M. Christian Favier. M. Tsipras a ajouté : « Il faut le plus large consensus politique sur cette question. Nous n’allons pas accepter que notre pays se transforme en un entrepôt d’êtres humains. »

Au même moment, l’Autriche réunissait les pays des Balkans pour y coordonner la fermeture des frontières.

Le gouvernement français a le devoir d’apporter son soutien à la Grèce et à son Premier ministre.

Mise en œuvre via deux décisions du Conseil de l’Union européenne des 14 et 22 septembre 2015, la procédure de « relocalisation », qui consiste dans le transfert de demandeurs d’asile à partir de la Grèce et de l’Italie vers d’autres États membres de l’Union européenne, doit être revue et rendue véritablement effective.

Dans un premier temps, l’Europe s’est engagée à « relocaliser » 120 000 personnes en deux ans. Puis, on a évoqué le chiffre de 160 000 personnes. Mais, à l’heure actuelle, cette politique des quotas se solde par à peine quelques centaines de relocalisations effectives en France. Parallèlement, en 2015, 80 000 demandeurs d’asile se sont manifestés dans notre pays.

Je rappelle, puisque cela semble nécessaire, que personne ne quitte son pays par plaisir. Toutes les migrations de populations dépendent de l’ordre économique mondial établi et des rapports de force politiques entre les États.

Les guerres civiles, l’effondrement d’États, la barbarie née de vingt ou trente années de conflits ont provoqué une crise humanitaire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.

En conséquence, chacun doit prendre ses responsabilités.

Pour l’heure, la priorité est d’assurer la sécurité de ces réfugiés, en les libérant de l’exploitation des passeurs et des réseaux mafieux.

Si cet accueil relève de la compétence régalienne de l’État en matière de droit d’asile, sa mise en œuvre concrète repose pour beaucoup sur les collectivités territoriales.

La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation l’a souligné en octobre dernier : l’accueil des réfugiés en France doit faire l’objet d’une coproduction territoriale, ce qui nécessite notamment d’établir un diagnostic des collectivités et des moyens qu’elles peuvent déployer pour contribuer à l’effort national. Dans le même temps, les collectivités territoriales attendent un soutien accru de l’État.

Par le passé, le département dont je suis l’élu, le Val-de-Marne, était déjà fortement sollicité pour l’accueil des mineurs étrangers isolés. L’expulsion engagée de la « jungle » de Calais, où 326 mineurs isolés ont été identifiés, va rendre cette question encore plus urgente. Elle exigera des négociations beaucoup plus serrées avec le Royaume-Uni, pour permettre aux mineurs concernés de bénéficier du regroupement familial.

En septembre dernier, l’État a sollicité les collectivités de notre département, dans la perspective d’un fort afflux de réfugiés syriens. Très rapidement, dès le 23 octobre, nous avons mis à sa disposition, bien entendu à titre gratuit, un bâtiment de la commune de Fontenay-sous-Bois regroupant plusieurs logements, pour l’hébergement provisoire de réfugiés. Malheureusement, le bilan des réalisations est loin d’être concluant.

La convention signée avec l’État, pour six mois, arrive à échéance très prochainement. Or seule une famille syrienne de cinq personnes a été accueillie,…

Mme Esther Benbassa. Exact !

M. Christian Favier. … sur les quarante-sept personnes relogées, lesquelles sont principalement évacuées des squats de Paris. Bien entendu, tel n’était pas le projet initial.

L’exemple du Val-de-Marne est révélateur d’un fait désormais avéré : si l’État peine à relocaliser les réfugiés, c’est parce que ces derniers, dans leur grande majorité, ne veulent pas rester en France.

Les campagnes de stigmatisation et de peur de l’étranger, largement alimentées par la propagande de l’extrême droite, ont fortement terni l’image de la patrie des droits de l’homme.

Pourtant les chiffres le montrent, l’idée d’une « invasion », sur laquelle le Front national continue d’appuyer sa propagande, relève bel et bien du fantasme. Elle trahit un mépris insupportable à l’égard d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent un drame épouvantable.

Monsieur le ministre, la France est encore loin de prendre toute sa place dans l’accueil de réfugiés qui sont poussés à l’exil au péril de leur vie. Or, à l’instar de l’Union européenne et des États-Unis, notre pays porte sa part de responsabilité dans le chaos que nous connaissons en Syrie, en Irak ou en Libye.

Ces réfugiés ne disparaîtront pas par la répression et la fermeture des frontières. Seuls le rétablissement d’une paix durable et l’anéantissement de Daech permettront d’envisager leur retour. Mais, dans l’immédiat – c’est bien entendu sur ce point que se mobilisent les élus du groupe CRC –, il est de notre devoir de les accueillir avec dignité et humanité.

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