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Les débats

Pourquoi ne pas débattre plutôt du recul de l’emploi du français dans de nombreux domaines ?

Écriture inclusive -

Par / 6 mai 2021

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les sénatrices, mesdames les sénateurs, messieurs les sénateurs, chères collègues, chers collègues, « nous voulons que doressenavant tous arrestz ensemble toutes autres procedeures soient […] enregistrez & delivrez aux parties en langage maternel francoys, et non autrement ».

Vous avez reconnu, chers collègues, l’une des prescriptions de l’ordonnance sur le fait de la justice, prise en 1539, à Villers-Cotterêts, par François Ier en un château où il reçut François Rabelais et Clément Marot.

Quatre siècles plus tard, l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 déclare toujours que « la langue de la République est le français », mais, pas plus que l’ordonnance de 1539, la Constitution ne précise de quel français il s’agit. Toutefois, dans sa sagesse, le procureur général du roi avait précisé, en 1539, qu’il s’agissait du français comme langue maternelle, c’est-à-dire de la langue telle qu’elle est parlée dans la diversité de ses pratiques, de ses emprunts et de ses assimilations. Cette langue a beaucoup évolué depuis le XVIe siècle, et ses transformations successives ont accompagné celles de nos sociétés pour qu’elle demeure, en ce début du XXIe siècle, « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ».

Dans le monde, le français est aujourd’hui la langue de près de 300 millions de personnes, qui l’utilisent, la font évoluer et l’adaptent à des réalités sociales en perpétuelles mutations. Ces locuteurs, peut-être parce qu’ils ont une relation avec la langue française moins sacramentelle que la nôtre, lui apportent beaucoup pour qu’elle demeure vivante.

Ainsi, le 28 juillet 1979, la Gazette officielle du Québec publiait une instruction de l’Office de la langue française qui recommandait l’utilisation des formes féminines dans tous les cas possibles, soit à l’aide du féminin usité – une infirmière –, soit à l’aide du seul déterminant – la ministre –, soit par un néologisme – une chirurgienne –, soit par l’adjonction du mot femme : une femme-ingénieur.

On sait qu’une circulaire gouvernementale du même esprit, proposée par Mme la ministre Yvette Roudy en 1986, suscita une vive réaction des geôliers de la langue, qui lui reprochèrent de vouloir « enjuponner le vocabulaire ». Pourtant, l’usage a tranché, et je note que notre assemblée compte quatre-vingt-dix femmes qui ont souhaité se faire appeler « sénatrices », alors que vingt-huit autres demandent qu’on leur donne du « sénateur ». En revanche, je n’ai pas trouvé d’homme revendiquant le titre de « sénatrice ». (Rires sur quelques travées.)

Cette liberté donnée à la pratique de la langue doit être préservée, car elle fait toute sa richesse. Je note, avec malice, que la direction de la séance de notre assemblée n’applique pas à la lettre les rectifications orthographiques du français recommandées par l’Académie française en 1990. Ainsi, dans nos comptes rendus, le mot « événement » garde fièrement ses deux accents aigus, alors que l’Académie préconise de changer le second par un accent grave.

M. Jean-Pierre Sueur. L’Académie laisse la liberté d’utiliser cette orthographe !

M. Pierre Ouzoulias. Néanmoins, ces franchises linguistiques doivent s’exercer dans le respect de l’esprit de la langue et de ses usages afin qu’elle demeurât…

M. Antoine Lefèvre. Oh ! Il fallait le placer !

M. Pierre Ouzoulias. … intelligible et maîtrisable par le plus grand nombre.

S’agissant de l’utilisation typographique du point médian, il nous faut écouter un autre Conseil de la langue française, celui de la communauté francophone de Belgique, qui recommande un « emploi parcimonieux de ces formules » afin de ne pas trop entraver la lecture et l’écriture.

Sans dénier tout intérêt à ce débat, nous eussions préféré qu’il portât plus largement sur le recul de l’emploi du français dans de nombreux domaines de nos activités. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.) Je pense notamment à celui de la recherche, pour lequel les organismes nationaux obligent autoritairement leurs agents à publier dans un volapük vaguement dérivé de l’anglais. Pour la défense et illustration du français, il serait nécessaire, madame la secrétaire d’État, que votre gouvernement appliquât la loi dite Toubon du 4 août 1994.

M. Max Brisson. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Enfin, protéger et promouvoir avec intelligence le français impose de ne point figer son usage par des règles désuètes qui en réserveraient la pratique à une petite caste de scribes.

Sur ce point, je conclus par cette citation d’Ernest Renan dont l’intelligence des relations d’une langue avec la Nation demeure d’une grande actualité : « Les langues sont des formations historiques, qui indiquent peu de choses sur le sang de ceux qui les parlent. » Il ajoute qu’une considération exagérée donnée à la langue a ses dangers : « On se renferme dans une culture déterminée, tenue pour nationale ; on se limite, on se claquemure. On quitte le grand air qu’on respire dans le vaste champ de l’humanité pour s’enfermer dans des conventicules de compatriotes. »

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