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Les débats

Sous prétexte de protéger la propriété industrielle, l’UE protège les profits des laboratoires

Conseil européen des 24 et 25 juin 2021 -

Par / 8 juin 2021

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je souhaite évoquer brièvement quatre sujets à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.

La priorité est donnée une nouvelle fois à la pandémie de covid-19, tant mieux ! Cependant, à la veille d’une réunion décisive de l’OMC, la Commission européenne vient d’annoncer qu’elle ne soutiendrait pas la proposition de plus de cent pays en faveur de la levée des brevets sur les vaccins. L’Union européenne reste donc bien calée dans la roue des gros industriels de la pharmacie. Les 36 millions d’euros dépensés chaque année dans le lobbying européen par ces groupes, comme l’a révélé le rapport du Corporate Europe Observatory, ne l’auront pas été en pure perte.

Alors que le développement des vaccins a été largement financé par les États, que la pandémie a déjà fait 3,5 millions de victimes et que la pénurie mondiale de vaccins compromet une sortie réelle mondiale de la crise sanitaire, l’Union européenne, sous prétexte de protéger les droits de propriété intellectuelle, protège en vérité les profits, puisque l’achat des vaccins se fait à des prix de plus en plus exorbitants.

La dérogation transitoire au régime des brevets permettrait pourtant de lever les barrières qui empêchent la majeure partie du monde de stopper la circulation du virus. Si plus de 1,9 milliard de doses de vaccin anti-covid a déjà été injecté dans le monde, selon un décompte de l’AFP, seulement 0,3 % de ce total a été administré dans les vingt-neuf pays les plus pauvres, qui comptent 9 % de la population mondiale.

Pour suivre la ligne de conduite du « ni nationalisme vaccinal ni soumission aux multinationales », nous devrions au contraire développer une nouvelle coopération européenne, sous contrôle public, et soutenir la création d’un pôle public fort du médicament en France. Nous pourrions ainsi réellement promouvoir la logique d’un vaccin « bien public mondial » et non pas, comme nous le faisons aujourd’hui, celle de la charité au compte-goutte de l’Union européenne pour les pays les plus pauvres.

Le deuxième point que je veux évoquer concerne un aspect du financement du plan de relance, à savoir l’accord annoncé sur la fiscalité mondiale. J’entends en effet un concert de louanges, alors que je suis plus circonspect.

Là encore, les pays les plus riches membres du G7 Finances viennent de négocier entre eux un accord avant de le soumettre aux 140 pays membres de l’OCDE.

Le taux de taxe de 15 % sur les profits réalisés par les multinationales à l’étranger, sur lequel le G7 Finances s’est accordé, est présenté par Bruno Le Maire comme une victoire historique. Celui-ci prônait pourtant un taux bien supérieur, et de nombreux économistes, par exemple Gabriel Zucman, fondateur du récent Observatoire européen de la fiscalité, estiment le taux adopté « dérisoire ».

Après les paradis fiscaux, dont rien ne dit à cette heure que l’accord en question signerait la disparition, après les accords de gré à gré comme celui négocié par Google, qui a récemment réglé un contentieux fiscal avec la France pour s’éviter de nouvelles poursuites, voilà donc l’officialisation d’un régime fiscal mondial de faveur pour les multinationales ! En effet, concrètement, cet accord entérine le dumping fiscal des multinationales, en France par exemple, où ce seront toujours les entreprises les plus riches, souvent les moins vertueuses en matière sociale et environnementale, qui paieront le taux d’impôts le plus faible, de 10 %, inférieur aux 25 % toujours acquittés par nos PME créatrices d’emploi, pour financer les dépenses publiques utiles à la collectivité.

L’inégalité fiscale est ainsi légalisée. En plus, rien ne dit que les mécanismes de contournement et d’optimisation de cet impôt minimal ne seront pas à nouveau utilisés par les mêmes. Comptez pour cela sur Amazon et consorts, si vous continuez à leur dérouler le tapis rouge !

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire comment la France peut se réjouir d’un tel accord et comment elle compte agir pour le faire appliquer en Europe où l’évasion fiscale est la règle dans les multinationales ? Pouvez-vous nous dire ce que notre pays attend concrètement de cet accord ? On parle de quatre petits milliards d’euros attendus de recettes fiscales. Rappelons que, dans le scénario d’un taux à 25 %, l’Union européenne envisageait de doubler ses recettes d’impôt sur les sociétés à 510 milliards d’euros, dont 26 milliards d’euros abonderaient le budget de la France, soit plus que le montant de la contribution de la France à l’Union européenne. Voilà de quoi relativiser la prétendue portée « historique » de cet accord !

Le Pacte sur la migration et l’asile, également inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen, est un autre visage des politiques d’inégalités européennes. L’aveuglement et l’inhumanité restent malheureusement la règle. Les logiques déjà largement éprouvées et totalement dans l’impasse, qui sont fondées sur une approche répressive et sécuritaire au service de l’endiguement des migrants et des expulsions, et qui œuvrent au détriment d’une politique d’accueil à même de garantir la dignité humaine et les droits fondamentaux, sont certes révisées, mais pour être renforcées.

L’Europe tourne malheureusement à nouveau le dos aux défis des migrations contemporaines. Encore une fois, des moyens colossaux seront déployés pour financer l’érection de barrières physiques, juridiques et technologiques, ainsi que la construction de camps sur les routes migratoires.

Au sein de ce Pacte, un des nouveaux règlements relatif à la gestion des « situations de crise et de force majeure » prévoit pour la première fois des dérogations aux règles qui s’appliquent en matière d’asile, en suspendant par exemple l’enregistrement des demandes d’asile pour une durée d’un mois minimum.

Cette mesure entérine des pratiques contraires au droit international et européen, à l’instar de ce qu’a fait la Grèce au début du mois de mars 2020 pour refouler les migrants venus de Turquie.

L’Europe foule aux pieds ses valeurs et ne sait décidément plus penser son rapport au monde. Elle pourrait continuer de le payer très cher politiquement, en ouvrant plus grandes encore les portes à la xénophobie.

Enfin, je veux évoquer les relations avec la Turquie, qui figurent aussi à l’ordre du jour du Conseil européen.

Alors que la répression antidémocratique du régime d’Erdogan est plus violente que jamais en Turquie, où l’on recense des milliers de prisonniers d’opinion, et alors que les visées expansionnistes islamistes du régime sont toujours plus revendiquées, que signifie ce titre lu dans Le Figaro, ce matin, « Paris et Ankara jouent la carte de l’apaisement avant le sommet de l’OTAN », à propos de la visite que le ministre des affaires étrangères turc a rendue, hier, à Jean-Yves Le Drian ?

Tout indique notamment que la Turquie cherche à obtenir un feu vert de l’OTAN pour une nouvelle offensive terrestre en territoire kurde, dans le nord de la Syrie et de l’Irak, après la reprise de ses bombardements depuis le mois d’avril dernier. Pourquoi faire silence sur cette question ? Qu’a-t-on donc négocié, à Paris, hier ? Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, réaffirmer clairement votre intention de défendre la solidarité de la France avec les démocrates de Turquie et nos alliés kurdes ?

Le 14 juin prochain, je serai pour ma part à Erbil, aux côtés de nos amis kurdes pour briser ce silence, dénoncer les tractations et réaffirmer notre solidarité.

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