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Les débats

Un débat aux dangereuses visées politiciennes et électoralistes

Politique migratoire de la France et de l’Europe -

Par / 9 octobre 2019

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, l’immigration n’est pas un tabou, mais bien votre totem. À preuve, avec près de vingt réformes en trente ans, un an après que la loi Asile et immigration de M. Collomb a été promulguée, nous voici de nouveau à débattre de la politique migratoire de la France et de l’Europe : il n’y a pas besoin de trouver un justificatif pour ce débat.

Alors, on peut s’interroger. Que s’est-il passé depuis le vote de la dernière loi ? Pourquoi proposer un débat sous ce format précis ? Est-ce pour revenir sur les dispositifs les plus graves de la loi Collomb, telles que la suspicion généralisée à l’égard des demandeurs d’asile et la multiplication du recours à l’enfermement administratif, y compris d’enfants, ou encore les expulsions vers des pays en guerre ? Est-ce pour améliorer les conditions d’accueil dans les préfectures ?

Monsieur le Premier ministre, je vous ai écouté lundi à l’Assemblée nationale et cette après-midi au Sénat : visiblement, ce n’est pas le cap voulu. En résumé, la dernière loi adoptée en matière d’immigration était déjà très dure, et vous venez aujourd’hui nous expliquer comment être encore plus dur.

Je ne m’y attarderai pas longtemps, mais les visées politiciennes et électoralistes évidentes que recèle ce débat sont dangereuses : comme on l’a encore entendu il y a quelques secondes, elles ouvrent les vannes de logorrhées haineuses, violentes, vulgaires, mêlant sans vergogne religion et nationalités, de la part de négationnistes et de personnages condamnés pour propos racistes.

Mais revenons à notre sujet. La crise économique, sociale et environnementale que traverse notre pays est profonde. Elle provoque colère et angoisse, à l’origine en particulier du mouvement des « gilets jaunes ». Pourtant, le fameux Grand débat national nous aura au moins enseigné ceci : les questions migratoires sont loin d’être parmi les premières préoccupations des Français (M. Alain Richard manifeste sa circonspection.) ; de ces Français que le Président de la République essaie d’opposer aux immigrés, bien sûr responsables de tous les maux des classes populaires, qui en seraient les victimes, les bourgeois étant exonérés de tout soupçon raciste...

Au-delà du mépris indécent que révèlent de tels propos, ce discours est pour le moins simpliste, les immigrés constituant aussi le tissu social des classes populaires.

S’il voulait se soucier des classes populaires, le Président de la République ferait mieux d’agir pour développer les services publics, pour améliorer d’urgence les conditions de vie, en termes de logement, de santé, de transports par exemple, et pour lutter contre la précarité et le chômage dans nos territoires, notamment en Seine-Saint-Denis. Je l’invite d’ailleurs à venir y constater que, malgré des conditions de vie quelque peu difficiles, le « vivre », le « ensemble », le « vivre ensemble » subsistent.

M. Stéphane Ravier. Si peu !

Mme Éliane Assassi. C’est aussi cela, « regarder en face ». L’immigration est un vrai sujet, mais, pour moi, ce n’est pas un problème.

Pour relancer ce débat, vous agitez et manipulez les chiffres du droit d’asile. François Héran, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire migrations et sociétés, considère pour sa part que, s’il y a problème, c’est parce que le diagnostic initial est faux : la France est loin, très loin d’être le premier pays d’Europe pour la demande d’asile. « Raisonner en chiffres absolus n’a aucun sens quand il s’agit de comparer des pays de taille inégale et de richesse variable. » Ainsi, en passant des chiffres bruts aux chiffres relatifs, les 400 000 demandes enregistrées sur notre sol depuis janvier 2015 ne représentent que 10 % du total européen ; et, dans l’hypothèse où toutes les personnes concernées seraient restées en France, elles n’auraient accru notre population que de 0,6 %, contre 2 % en Allemagne et 0,8 % en moyenne dans l’Union européenne.

Aussi, à l’échelle de l’Europe, vu notre population et notre économie, on se fourvoie quand on imagine que des facteurs d’attraction exceptionnels, comme l’aide médicale de l’État ou le regroupement familial, placeraient notre pays en première ligne.

Je m’arrêterai quelques instants sur la réforme annoncée de l’aide médicale de l’État. Le fait que ce débat ressurgisse est largement révélateur de la logique politique suivie : stigmatiser encore et toujours la figure du migrant, jusqu’à la caricature.

Après le « shopping de l’asile », La République En Marche et le Gouvernement nous ont parlé de « tourisme médical ». Mais sachez que toute mesure qui contribue à réduire l’accès de toutes et tous à la santé est contraire au respect des droits fondamentaux et porte atteinte à la dignité individuelle.

De plus, ces choix soulèvent d’importantes questions en matière de santé publique. La ministre, Mme Agnès Buzyn, se veut rassurante sur le sujet, mais, quand même, ne soyons pas dupes : les conclusions des rapports demandés aux inspections concernées seront remises, précisément, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale… Nous veillerons aux mesures qui seront alors adoptées.

Tous ces reculs proposés à l’échelle nationale ne sont bien sûr que le reflet de la politique migratoire européenne en vigueur.

L’approche uniquement sécuritaire de l’immigration défendue par l’Union européenne n’est plus à démontrer : elle est parfaitement assumée depuis la création de l’agence Frontex, que vous n’avez de cesse d’encenser, sans parler des accords avec la Turquie, conclus à la suite de la crise syrienne.

Dans ce cadre, deux points doivent être soulevés à l’échelon européen.

Premièrement, la définition des « pays d’origine sûre » doit être revue. Je pense évidemment au prétendu détournement du droit d’asile, dont vous parlez en boucle, par les Albanais et les Géorgiens. L’asile n’a été accordé qu’à 8 % des Albanais et à 5 % des Géorgiens pourchassés bien souvent pour des raisons de vendetta, d’orientation sexuelle ou même d’engagement politique, comme le rappellent la Cimade ou l’association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour, l’Ardhis. Mais d’autres pays bien peu sûrs figurent sur cette liste : je songe par exemple au Bénin. Qu’en pensez-vous ?

Deuxièmement, le règlement de Dublin, dont vous appelez de vos vœux le renforcement, est obsolète. Un autre système doit le remplacer.

À plusieurs reprises, le Défenseur des droits a appelé le Gouvernement à suspendre l’application de ce règlement pour permettre à des personnes extrêmement fragilisées par des mois d’errance de demander l’asile. Il rappelle qu’il existe, « en Europe, plusieurs centaines de milliers de personnes dont le retour dans le pays d’origine – du fait de leur nationalité – est impossible mais qui, en application de ces règles, ne trouveront jamais d’issue juridique et humaine à leur situation. » Or, en 2017, la France s’est révélée la championne européenne des refus d’entrée aux frontières terrestres, renvoyant massivement des personnes en quête de protection vers l’Italie.

Quoi qu’il en soit, la question de l’immigration se posera de nouveau très rapidement, et dans des termes internationaux. Il nous faudra alors défendre une interprétation plus large des critères de la convention de Genève, notamment pour tenir compte des nouvelles causes d’exil forcé, qui affectent des groupes entiers de personnes, comme les conséquences du dérèglement climatique.

Le fait de renforcer les opérations de police aux frontières et la politique d’expulsion ne changera rien à cet état de fait, pas plus que l’instauration de quotas révélateurs d’une vision néocolonialiste et assez étroite de nos frontières.

Au contraire, je vous invite à prendre connaissance de l’Éloge des frontières de Régis Debray, pour qui « la frontière rend égales, tant soit peu, les puissances inégales : les riches vont où ils veulent à tire-d’aile, les plus pauvres vont où ils peuvent en ramant, ceux qui ont la maîtrise des stocks […] peuvent jouer avec les flux en devenant encore plus riches, ceux qui n’ont rien en stock sont les jouets des flux. »

M. Bruno Retailleau. C’est bien l’Éloge des frontières !

Mme Éliane Assassi. Plutôt que de se replier sur elle-même, la France s’honorerait à mieux travailler, à faire des propositions à la représentation nationale pour agir efficacement en faveur du développement et pour la réparation de dangereuses décisions géopolitiques, comme en Libye par exemple ; pour mieux accueillir celles et ceux qui ne demandent pas l’aumône, qui ne viennent pas manger notre pain, mais nous demandent asile, aide, respect et dignité, qui participent au développement de notre pays et aussi – ne l’oublions pas – de leur pays d’origine !

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