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Les débats

Un déclassement social des populations au sein des États européens

Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019 -

Par / 2 avril 2019

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quelle que soit l’issue des négociations en cours à Londres ou à Bruxelles, quelles que soient les conditions de la sécession du Royaume-Uni, avec ou sans traité, avec ou sans accord commercial, au sein ou à l’extérieur de l’Union douanière, le moment que nous vivons est historique et nous devons nous interroger, en toute honnêteté, sur les conséquences de cette scission pour une Europe qui se questionnait, jusqu’à présent, sur les conditions de ses élargissements successifs.

Il serait trop simple et trop commode d’expliquer ce repliement par l’isolationnisme atavique d’une nation insulaire ou, comme je l’ai entendu dans cette enceinte, par l’irrationalité d’un peuple et de sa classe politique offrant à une Europe sage et raisonnable le spectacle du « suicide d’une nation ».

Je suis consterné aussi par les déclarations de celles et de ceux qui souhaitent que cette sortie de l’Union pénalise le peuple qui s’est détourné du droit chemin, et je déplore que le marasme attendu dissuade, à l’avenir, toutes nouvelles tentations de séparatisme. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la situation que d’opposer aux Britanniques la fameuse formule d’une de ses dirigeantes : « Il n’y a pas d’alternative. » M. Jean-Claude Juncker en propose une autre formulation quand il déclare : « Il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens. »

Dans l’esprit et la parole de ces contempteurs se déploie l’idée pernicieuse selon laquelle, finalement, le problème de la démocratie serait le peuple et que tout deviendrait plus simple et plus efficient si la politique était l’affaire des seuls spécialistes. Aux passions barbares et irrationnelles des multitudes incapables d’apprécier la justesse des moyens destinés à leur prospérité, il faudrait substituer le gouvernement des experts, détenteurs de la seule vérité et agissant pour le seul bien de l’humanité selon des règles économiques inspirées du seul bon sens.

En comparaison, la rationalité d’un peuple est peut-être sommaire. Elle n’en repose pas moins sur la perception quotidienne de ses moyens d’existence, sur l’appréciation de ses conditions de vie et sur l’espoir d’offrir à ses enfants un monde meilleur. Tels étaient d’ailleurs les desseins constitutifs du traité de Rome de 1957. Je vous en rappelle deux motifs, issus de son préambule.

Les États membres déclarent avoir pour but essentiel « l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi de leurs peuples », et ils souhaitent « renforcer l’unité de leurs économies et en assurer le développement harmonieux, en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées ».

Les États de 1957 formaient un ensemble relativement homogène par les niveaux de vie de leurs populations et les objectifs sociaux qu’ils s’étaient imposés au sortir de la guerre. L’élargissement de l’Europe à la Grèce, à l’Espagne, au Portugal et à l’Irlande a été accompagné par des aides structurelles destinées à renforcer la cohésion économique et sociale de ce nouvel espace. Cette ambition a été abandonnée lors de l’adhésion des pays de l’est de l’Europe, alors même que leur situation économique et sociale aurait exigé un accroissement considérable de ces politiques de développement.

Au contraire, dans ce nouvel ensemble très hétérogène, les disparités économiques et sociales ont entretenu des processus de mise en concurrence des individus, des entreprises et des territoires qui ont, in fine, considérablement accru ces inégalités.

Tout s’est passé comme si les mécanismes économiques déstabilisateurs inhérents au processus de la mondialisation avaient été introduits au sein de l’Union européenne. Soumises à ces pressions intérieures et extérieures, des régions entières de l’Europe ont subi un déclassement social et économique sans précédent ; ce sont leurs populations qui, au Royaume-Uni, ont voté massivement pour la sortie de l’Union.

Ainsi, la rationalité du peuple britannique s’est exprimée pour condamner une dégradation de ses conditions d’existence, qu’elle attribue à l’Europe, parce qu’elle a bien perçu que sa logique économique obéissait aux mêmes dogmes que celle que leur avaient imposée les gouvernements de Margaret Thatcher. Le Président de la République a bien résumé cette profonde désaffection en déclarant, le 6 novembre 2018 : « Il faut entendre les peurs face à une Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre. »

Ce que nous disent aujourd’hui ces peuples qui se dressent contre l’Europe et dont nous devons absolument entendre les appels de détresse, c’est que les promesses du traité de Rome n’ont pas été tenues et que les engagements pris alors devant les nations ont été progressivement abandonnés. En réclamant le retour des frontières, ils souhaitent confusément que l’Europe, refondée sur son projet initial, organise notre espace commun sur d’autres règles que celles que tentent de nous imposer les États qui nous livrent une guerre commerciale totale.

Nous ne pourrons poursuivre la construction de l’Europe contre les peuples. Les habitants de Stoke-on-Trent, près de Stafford, ont voté à plus de 60 % pour la sortie de l’Europe. Leurs raisons sont multiples, mais tous partagent le même désespoir devant la fermeture des dernières industries et le déclin inexorable de leur territoire. Il est grand temps d’entendre leur souffrance si nous voulons continuer à espérer dans l’Europe.

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