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Les débats

Un monde où les bénéfices des multinationales l’emportent trop souvent sur l’intérêt général et le service public

Avancée des négociations du traité transatlantique -

Par / 10 juin 2015

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’évidence, on ne peut que saluer l’initiative de nos collègues du groupe parlementaire Les Républicains d’avoir demandé la tenue en séance publique de ce débat, car il permet de mettre en lumière l’avancée des négociations sur le traité transatlantique, plus connu sous les acronymes TAFTA – Transatlantic Free Trade Area – ou TTIP – Transatlantic Trade and Investment Partnership.

Depuis un certain nombre de mois, plusieurs partis politiques et organisations non gouvernementales luttent pour rendre publiques ces négociations et favoriser leur relais auprès des médias. Aujourd’hui, celles-ci manquent de transparence et se déroulent dans une trop grande opacité, au mépris des droits des citoyens et des élus qui les représentent.

Pour justifier un tel secret, les négociateurs invoquent le caractère stratégique et sensible des discussions relatives au traité, Washington refusant catégoriquement de rendre publiques ses positions.

La seule concession, qui a été récemment accordée aux membres du Parlement européen, a consisté à les autoriser à accéder aux documents relatifs aux négociations dans des reading rooms spéciales, sans toutefois qu’il leur soit permis d’en obtenir une copie ou même de prendre des notes.

Mes chers collègues, alors qu’un débat sur le déficit démocratique lié à la construction européenne s’est tenu ici même il y a quelques mois, les négociations sur le TTIP sont une illustration assez spectaculaire d’un tel déficit !

Pourtant, ces négociations nous concernent tous, tant elles touchent à l’architecture et aux futures règles concernant les relations commerciales entre l’Europe et les États-Unis, et ce dans des domaines de la vie quotidienne aussi essentiels que les produits pharmaceutiques, les dispositifs médicaux, le textile, les cosmétiques, l’ingénierie, la chimie, l’alimentation, l’automobile, etc.

Il m’est impossible, compte tenu du temps très limité dont je dispose et sur un sujet aussi fondamental, de développer en détail tous les enjeux des thématiques concernées par les négociations en cours. Cependant, au-delà de son manque de transparence et malgré les timides progrès enregistrés à la suite de la mobilisation constante d’acteurs civils et politiques, il nous semble indispensable d’évoquer le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, le fameux ISDS.

Lorsque la Commission européenne a lancé l’an dernier une consultation publique sur ce volet précis, 97 % des 150 000 citoyens européens y ayant participé ont exprimé leur stricte opposition à ce mécanisme de règlement des conflits ! Il s’agit d’un score sans appel !

Aujourd’hui, les conflits qui opposent les entreprises et les États ne sont pas uniquement virtuels : ils correspondent déjà à une réalité au sein de l’Union européenne.

C’est ainsi qu’un fonds britannique contrôlant l’entreprise de distribution d’eau de Tallin a porté plainte contre l’Estonie et obtenu des dommages-intérêts pour avoir été empêchée d’augmenter ses tarifs. C’est encore un géant néerlandais du secteur de l’assurance qui, mécontent de ne pas avoir pu distribuer des dividendes grâce aux profits qu’il avait réalisés en Slovaquie, a fait saisir trente millions d’actifs slovaques au Luxembourg. C’est, enfin, un groupe énergétique suédois, propriétaire d’une centrale à charbon à Hambourg, qui s’en est pris avec succès à l’Allemagne pour ne pas avoir été autorisé à rejeter ses eaux usées dans l’Elbe.

C’est décidément un monde où les bénéfices des multinationales l’emportent trop souvent sur l’intérêt général et le service public. Aussi, nous ne pouvons que nous féliciter du courrier que le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, M. Matthias Fekl, a récemment envoyé aux parlementaires et dans lequel il fait état des propositions concrètes de la France en matière de règlement des différends.

Ce courrier précise que notre pays a émis, dès le début des négociations, des réserves sur l’insertion de ce mécanisme. Des propositions concrètes ont été adressées le 1er juin dernier à Mme Cecilia Malmström, commissaire européen au commerce. Des principes fondamentaux y sont identifiés : protection du droit à réguler, création d’un mécanisme d’appel, relations entre le mécanisme de règlement et les juridictions nationales ou fonctionnement interne des instances. Cette lettre insiste également sur la nécessité d’un rééquilibrage des droits en faveur des États et réaffirme la traduction concrète des principes démocratiques.

Enfin, il est proposé de créer une cour permanente multilatérale qui pourrait agir dans le cadre des futurs traités de l’Union Européenne.

Pour autant, nous sommes convaincus, madame la secrétaire d’État, qu’il n’existe pas de communauté de vues à ce sujet entre tous les parlementaires français, et a fortiori entre tous les parlementaires européens. À cet égard, les rapports de force ne manqueront pas de jouer, comme c’est le cas actuellement.

Afin de déterminer les secteurs économiques concernés par le futur traité transatlantique, la Commission européenne a mis en place une procédure dite de « liste négative ». Dans cette approche, tous les services peuvent potentiellement être privatisés, à l’exception de ceux qui sont explicitement écartés par l’accord multilatéral. Il s’agit d’un renversement radical par rapport à la logique qui consisterait à ce que l’Union européenne établisse spécifiquement la liste des seuls secteurs pour lesquels elle autorise l’ouverture à la concurrence !

Le Parlement européen a donc l’occasion de lever toute ambiguïté sur la question des services publics. Pour notre part, nous défendons une approche différente, celle d’une « liste positive » qui délimiterait précisément les services concernés par le TAFTA, et définirait une garantie « horizontale » permettant aux autorités de reprendre le contrôle sur les services publics déjà libéralisés.

Mes chers collègues, la décision prise hier par M. Martin Schulz au Parlement européen, de reporter sine die le vote de la résolution sur le traité transatlantique, nous appelle à la plus grande vigilance quant à l’inconditionnel respect dû à la démocratie. N’oublions pas que le poids des lobbies est considérable dans l’espace économique de concurrence libre et non faussée dans lequel nous vivons !

Pour conclure, je ferai un bref rappel historique en évoquant les propos de John Fitzgerald Kennedy, alors président des États-Unis, qui, envisageant une vaste alliance transatlantique géopolitique et commerciale entre l’Europe et les États-Unis, déclarait au mois de juillet 1962 : « Tout cela ne sera pas achevé en un an, mais que le monde sache que c’est aujourd’hui notre but ! ».

Transparence, démocratie et défense de l’intérêt général sont, à nos yeux, les trois piliers majeurs de la démarche qui doit guider notre pays dans ces négociations.

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