Rien ne doit filtrer !
Accords de libre-échange -
Par Eric Bocquet / 23 octobre 2014Avant tout, je tiens à saluer l’excellente initiative de nos collègues du groupe UMP, qui ont proposé que cette question fondamentale des accords de libre-échange soit abordée aujourd’hui dans l’hémicycle. Espérons que cette séance de questions permettra de sortir ce débat de l’obscurité dans laquelle il est plongé, loin des yeux et loin des têtes.
Rappelons ici que l’accord de partenariat transatlantique, qui, sous son acronyme anglais « TAFTA », pour Transatlantic Free Trade Agreement, est peut-être un peu moins inconnu, représente un enjeu majeur. En effet, il prévoit que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant ou d’une réparation de l’ordre de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants.
Ces dispositions visent à brader des pans entiers du secteur non marchand. Or les discussions et les négociations autour de cet accord se déroulent derrière des portes closes. Les délégations américaines comptent plus de six cents consultants mandatés par les multinationales, qui disposent d’un accès illimité tant aux documents préparatoires qu’aux représentants de l’administration. Et rien ne doit filtrer.
À cela s’ajoute une autre préoccupation de taille, dont plusieurs de nos collègues se sont déjà fait l’écho.
Le texte stipule d’ores et déjà que les pays signataires assureront « la mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures avec les dispositions du traité ». En cas de non-respect de cette clause, les États pourraient être poursuivis devant les tribunaux d’arbitrage, spécialement créés pour trancher les litiges entre les investisseurs, d’une part, et les États, de l’autre. Le cas échéant, ces instances pourraient même prononcer des sanctions commerciales à leur encontre.
Chacun le sait, il y va de nos intérêts économiques, mais aussi de la démocratie et de la souveraineté des États.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre afin de créer, dans notre pays, les conditions d’un large débat, transparent et démocratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Bariza Khiari et M. Joël Guerriau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Monsieur Bocquet, j’ai déjà eu l’occasion d’apporter un certain nombre d’éclairages sur cette question. Je vais tenter d’être plus précis encore.
Dans le cadre des négociations menées au titre de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis, la France a des exigences précises, qui doivent être entendues.
La transparence est une nécessité absolue. Nous avons progressé dans cette direction, et nous irons encore plus loin. À ce titre, nous pouvons nous féliciter de la publication du mandat de négociation donné à la Commission européenne : voilà qui permet à tout un chacun de se forger un jugement quant aux objectifs visés en la matière.
C’est une étape très importante. Je le répète, nous voulons aller plus loin. Matthias Fekl réunira le comité stratégique de suivi les 28 et 29 octobre prochains. Cette instance réunit, d’une part, des représentants de la société civile, et, de l’autre, des élus.
Au sujet du mécanisme de règlement des différends, le fameux ISDS, vous le savez, la France a exprimé des réserves. Dans le cadre de l’accord avec les États-Unis, l’utilité de ce dispositif n’est pas avérée.
Par ailleurs, les critères de transparence et d’impartialité ainsi que le respect du droit des États à réguler sont pour nous des lignes rouges.
Il faudra respecter la consultation publique lancée par la Commission ; nous en connaîtrons les résultats en novembre. Je précise, à ce propos, que plus de 150 000 réponses ont été envoyées, dont 10 000 françaises.
Enfin, je rappelle que, pour la France et les autres États membres de l’Union européenne, les accords conclus avec les États-Unis et le Canada sont mixtes, et qu’ils devront, en cette qualité, être soumis à la ratification des parlements nationaux, donc au débat démocratique.
Monsieur Bocquet, sur toutes les travées de cet hémicycle, et notamment sur celles du groupe auquel vous appartenez, s’expriment des inquiétudes et des appréhensions. Elles sont très largement légitimes. Néanmoins, il faut valoriser les préventions qui sont les vôtres pour en faire une force dans la négociation. On ne peut se satisfaire de l’idée selon laquelle on ne pourrait pas avancer !
Le Gouvernement en est persuadé, il est possible d’obtenir des avancées, tout en restant ferme sur un certain nombre de principes. Nous sommes ouverts : ni contraints d’accepter nécessairement cet accord, ni contraints de le refuser ! C’est ce qui, à mon sens, fait la force de la position du gouvernement français.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de reconnaître que l’enjeu économique de cet accord est énorme, mais, vous en conviendrez, l’enjeu démocratique l’est tout autant.
Lors d’une conférence de presse tenue au cours de sa visite officielle aux États-Unis, en février dernier, le Président de la République a eu cette phrase très surprenante : « Nous avons tout à gagner à aller vite, sinon nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. » Nous avons pu évoquer, lors de cette séance, ce sujet essentiel pour notre avenir commun, mais nous pensons qu’il exigerait, à lui seul, plusieurs heures de discussion en séance publique – la possibilité reste ouverte, du moins je l’espère, monsieur le président !
L’un de nos collègues députés l’a récemment souligné, cet accord négocie des règles qui sont autant de choix de société. Souvenons-nous du mot de Condorcet : « Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. »