Les questions d’actualité
L’affaire Cahuzac, Monsieur le ministre, est un symptôme du triomphe du libéralisme en Europe
Crise politique -
Par Éliane Assassi / 11 avril 2013Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.
Une crise politique grave se déroule dans notre pays. (Oui ! sur les travées de l’UMP.)
La démission du ministre délégué chargé du budget ainsi que ses aveux de malversations ont mis en évidence l’imbrication étroite entre la finance et le domaine public, y compris le champ politique. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Les sénatrices et les sénateurs communistes, qui ont déposé il y a près de trois ans, le 1er juillet 2010, une proposition de loi constitutionnelle visant à garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique, approuvent sans réserve les mesures qui permettront d’assurer la transparence et d’éliminer – c’est cela l’objet – l’influence néfaste des financiers et lobbyistes sur les choix politiques, économiques et sociaux.
Un élu ne doit pas tirer un profit personnel de sa fonction. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Un menteur sera toujours un menteur !
Mme Éliane Assassi. La question de la publication des déclarations de patrimoine et d’intérêts se pose, certes. Reste à examiner de quelle manière, pour ne pas tomber dans une surenchère voyeuriste. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Rémy Pointereau. Excellente réaction !
Mme Éliane Assassi. Dans leur immense majorité, les élus, qui se dévouent pour leur population, qui participent au débat politique et idéologique, n’ont rien et n’auront rien à craindre en la matière.
Mme Isabelle Debré. Oui !
Mme Éliane Assassi. Mais ce n’est pas tout. Les hésitations actuelles montrent bien que l’essentiel est ailleurs.
En insistant sur le rôle des banques et la lutte contre les paradis fiscaux, le Président de la République a pointé un fait essentiel : c’est le libéralisme, la libre circulation de l’argent, des capitaux qui est source de dérive, source de corruption. (Exclamations sur certaines travées de l’UMP.)
Trop longtemps, nous avons été seuls, au parti communiste et au Front de Gauche, avec quelques personnalités, à dénoncer l’argent roi, l’argent qui corrompt.
Il est temps aujourd’hui d’affronter le monde de la finance, cet ennemi sans visage hier dénoncé.
Mesdames, messieurs les ministres, montrer du doigt les banques est une bonne chose, car celles-ci profitent de la crise, vampirisent les États et les peuples, mais ce n’est pas suffisant. Il faut s’attaquer au système qui organise leur action. Seul un changement de cap, en France comme en Europe, peut redonner confiance aux peuples ; quelques mesures de transparence ne suffiront pas.
L’affaire Cahuzac est un symptôme du triomphe du libéralisme en Europe. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Rémy Pointereau. C’est plutôt la gauche caviar !
M. Gérard Cornu. Oui, plutôt !
Mme Éliane Assassi. C’est la démocratie qui est moralement atteinte par le pouvoir de l’argent.
Nous vous demandons d’en prendre conscience en stoppant l’austérité maquillée en sérieux budgétaire, en mettant enfin le cap sur la croissance, la politique industrielle durable et l’emploi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances. (Marques de satisfaction sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous m’avez posé une question à tiroirs (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) ...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas une bonne image !
M. Alain Gournac. Parlons plutôt de tiroirs-caisses !
M. Jean-Marc Todeschini. Arrêtez !
M. Pierre Moscovici, ministre. ... à laquelle j’apporterai d’emblée une nuance. Je ne crois pas et je ne peux pas laisser dire ici que nous soyons devant autre chose que la faute grave et impardonnable d’un homme.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Permise par un système !
M. Pierre Moscovici, ministre. Ce mensonge n’est le symptôme d’aucune autre chose ! Il n’est pas plus le symptôme d’une faute du Gouvernement que du libéralisme.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Bien sûr que si !
M. Gérard Longuet. Merci pour le libéralisme !
M. Pierre Moscovici, ministre. Il faut savoir établir les responsabilités au niveau où elles sont.
Il n’en demeure pas moins que cette révélation a incontestablement créé un choc. C’est à ce choc que le Président de la République a voulu répondre hier par un autre choc, un choc de moralisation.
Un sénateur du groupe UMP. Un choc chasse l’autre !
M. Éric Doligé. Vivent les autos tamponneuses !
M. Pierre Moscovici, ministre. C’est la raison pour laquelle il a souhaité que la transparence soit faite sur les patrimoines. Mais la transparence ne suffit pas : il faut aussi le contrôle (Exclamations sur les travées de l’UMP.), à travers une autorité indépendante, présidée par une personnalité incontestable. Et, au-delà de la transparence, il faut aussi la répression.
Madame la sénatrice, vous m’avez également interrogé sur la lutte contre certaines dérives de la finance. Cette lutte, nous avons commencé à la mener ici même. Je pense au vote de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, texte qui, pour la première fois, permet à un pays – et je ne parle pas seulement pour la France – de demander aux banques des informations sur leurs activités, leur chiffre d’affaires, dans tous les pays du monde, y compris dans les paradis fiscaux.
M. Jean-Claude Gaudin. C’est déjà fait !
M. Pierre Moscovici, ministre. Vous savez que le Président de la République a insisté fortement sur ce point.
Il nous faut aller plus loin encore. En proposant, avec mes homologues allemand, italien, britannique et espagnol, l’adaptation d’un instrument qui existe aux États-Unis, le fameux FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act, c’est-à-dire l’échange automatique d’informations, c’est ce que nous faisons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons loin, et même très loin !
Enfin, madame la sénatrice, vous avez également évoqué dans votre question la politique économique que nous suivons. Je répète à la représentation nationale, au Sénat, que, contrairement à ce qui est affirmé ici, cette politique n’est pas une politique d’austérité. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Je combats l’austérité en Europe, parce que je pense, en effet, que si l’Europe n’est qu’une discipline punitive, l’Europe ne convaincra pas ses peuples.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre. En tant que ministre de l’économie et des finances, la politique que je mène, sous l’autorité du Premier ministre et du Président de la République, n’est pas une politique d’austérité. La politique que je mène va au rythme qui s’impose, donne les marges de manœuvre nécessaires et fait jouer les stabilisateurs automatiques quand la croissance est faible. Mais c’est une politique sérieuse qui passe par le désendettement.
Comme l’a souligné le Président de la République hier, il y a un cap, c’est le sérieux ; il y a un objectif, c’est la croissance ; il y a une exigence, c’est l’emploi. Nous n’en dévierons pas !