Les questions d’actualité
La crédibilité du ministre de l’Intérieur, qui a manipulé l’opinion, est aujourd’hui entachée
Pitié-Salpêtrière -
Par Éliane Assassi / 7 mai 2019Le droit constitutionnel de manifester dans le respect est essentiel dans une démocratie.
M. Jean Bizet. Sans casser !
Mme Éliane Assassi. Pourtant, il a été bafoué à Paris, le 1er mai.
Les victimes des interventions violentes et répétées dues, pour l’essentiel, aux forces de l’ordre (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) furent les dizaines de milliers de manifestants réunis ce jour, et non les Black Blocs, dont nous condamnons tous les actes. Cette violence fut déclenchée dès le départ de la manifestation, et – fait inédit – les cortèges syndicaux furent la cible de tirs de grenades et se retrouvèrent noyés dans un nuage de gaz lacrymogène. J’y étais, monsieur le Premier ministre, et j’ai été le témoin de cette agression irresponsable contre des manifestants.
À la télévision et sur Twitter, M. Castaner a d’abord évoqué une « attaque » contre l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et a même affirmé que nos « forces de l’ordre [étaient] intervenues pour sauver le service de réanimation ». Or les faits et rien que les faits démontrent le contraire.
Monsieur le Premier ministre, vous n’avez pas employé les mêmes termes, mais vous avez indiqué, le lendemain, que le « fait d’entrer dans un hôpital alors qu’on est en train de manifester est idiot et, au fond, scandaleux. »
Je ne qualifierai pas ici l’intelligence des propos de M. Castaner, mais pouvez-vous enfin reconnaître aujourd’hui qu’émettre, lorsqu’on est ministre, des mensonges ou des contrevérités, même si l’on modifie ultérieurement son propos, pour salir le mouvement social relève du scandaleux et de l’inacceptable ? Où est la République de la responsabilité, souvent convoquée par le Président de la République ?
Je le dis avec force, tout cela n’est pas qu’une question de sémantique. La crédibilité du ministre de l’intérieur, qui a manipulé l’opinion, est aujourd’hui entachée, et il devrait, pour le moins, être entendu par les commissions des lois du Parlement.
Trop de blessés, y compris parmi les policiers, trop de violence devraient vous inviter à revoir votre doctrine de maintien de l’ordre, monsieur le Premier ministre.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Éliane Assassi. Allez-vous enfin répondre à cette exigence ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la présidente Assassi, vous m’interrogez sur la journée du 1er mai dernier, sur les évènements qui se sont déroulés ce jour-là et sur la polémique qui s’en est suivie.
Vous commencez votre question en indiquant votre attachement au droit de manifester. Sur ce point, nous sommes d’accord ; la liberté de manifester est une liberté républicaine, c’est une liberté publique, à laquelle nous sommes attachés ; c’est une traduction de la liberté de pensée et de la liberté d’expression.
Cette liberté est organisée, dans le droit français, comme toutes les libertés publiques, et, comme toutes les libertés publiques, elle s’exprime dans le respect du droit.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’observe que, depuis le début de ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement des gilets jaunes, des gens qui se réclament de la liberté de manifester prennent un soin infini à ne pas respecter les règles posées par les parlementaires et par la jurisprudence sur le droit de manifester. Je ne dis pas que c’est condamnable en soi, mais je dis qu’il faut remettre dans cette perspective la totalité de ce qui se passe depuis.
Que s’est-il passé le 1er mai, madame la présidente Assassi ?
Nous le savons, depuis quelques années, le 1er mai n’est plus seulement un jour très symbolique au cours duquel on manifeste – les organisations syndicales et bien au-delà – en mémoire de la lutte qui a permis de passer à la journée de huit heures.
M. Martial Bourquin. C’est mieux que ce que disait le Président de la République…
M. Édouard Philippe, Premier ministre. En effet, vous le savez parfaitement, madame la présidente Assassi, depuis quelques années, viennent se greffer à ces manifestations des femmes et surtout des hommes dont l’objet est non pas du tout de conjuguer leurs efforts pour cette commémoration et pour cette manifestation, mais bien de casser, de provoquer, de profiter de la manifestation pour faire bien autre chose.
Mme Éliane Assassi. Nous en sommes les victimes !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela s’est traduit, le 1er mai 2017, par des images d’une très grande violence ; j’ai notamment en tête le souvenir de ce CRS en flammes – en flammes ! J’ai aussi en tête le souvenir des très grandes violences qui ont eu lieu le 1er mai 2018, au tout début du cortège syndical. Je me souviens également de ce que m’ont dit les responsables d’organisation syndicale, qui demandent eux-mêmes que l’on circonvienne ces casseurs, sans quoi c’est la liberté de manifester qui en pâtit.
M. Pierre Laurent. Nous sommes d’accord !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’est ce que nous avons fait,…
Mme Éliane Assassi. Non !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … en donnant des consignes et en organisant les choses de telle façon que les Black Blocs, comme vous les appelez à juste titre, ne puissent pas venir se mélanger, ne puissent pas priver de leur droit ceux qui veulent manifester dans le respect des règles.
C’est évidemment un exercice difficile ; tous ceux qui se sont occupés d’ordre public savent que c’est un exercice difficile. Néanmoins, je veux le dire, et nous avons un point de désaccord à ce sujet, madame la présidente Assassi, je considère que, de ce point de vue, la journée du 1er mai dernier a été remarquablement tenue. En effet, le ministre de l’intérieur, le préfet de police, l’ensemble de la chaîne de ceux qui sont intervenus en matière d’ordre public ont permis d’éviter les débordements qui étaient pourtant annoncés, prévus et qui allaient faire de Paris, le 1er mai, la capitale de l’émeute. Eh bien, tel n’a pas été le cas ! Je m’en réjouis, et, au fond, je pense que nous nous en réjouissons tous.
Mme Éliane Assassi. On a volé le 1er mai aux travailleurs !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. En second lieu, vous évoquez dans votre question le cas de cette intrusion violente dans l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Mme Laurence Cohen. Elle n’était pas violente !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’était, à l’évidence, une intrusion et, à l’évidence, un certain nombre de gens qui étaient présents sur les lieux ont d’abord dit que cette intrusion violente leur avait donné le sentiment que le fonctionnement normal du service de réanimation – lequel est évidemment sensible, je pense que vous en conviendrez – serait mis en cause ; cela aurait pu avoir des conséquences catastrophiques.
Compte tenu de ces informations, le ministre de l’intérieur a fait une déclaration. Très rapidement, le lendemain, il a indiqué que, compte tenu ce qu’il savait, il avait utilisé une expression qui n’était pas adaptée. Je vais dire une chose très simple, madame la présidente Assassi : avoir, quand on est un responsable public, un mot qui n’est pas adapté, cela arrive, c’est courant. Cela m’est arrivé, et peut-être, un jour, cela vous arrivera-t-il.
Mme Éliane Assassi. Ça m’est arrivé…
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le corriger, en assumant d’avoir utilisé un terme qui n’était pas adapté et en revenant à un terme qui l’est parfaitement, fait honneur à celui qui le fait, c’est une bonne chose et cela me semble à la hauteur de ce que doit faire un responsable politique. Je veux donc, à cette occasion, redire toute ma confiance en M. le ministre de l’intérieur.