Les questions orales
Avenir des services publics
Par Marie-France Beaufils / 20 mai 2003par Marie-France Beaufils
Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,
Ce qui marque de façon essentielle les services publics depuis 1995 c’est l’accélération du processus de libéralisation suite à l’accord général sur le commerce et les services (AGCS). L’objectif étant d’assurer « un accès effectif au marché » pour le gaz, l’électricité, le service postal, l’organisation du service aérien et le chemin de fer. C’est ce que vous appelez Monsieur le Président, Monsieur le Ministre la « réorganisation en cours ».
C’est ce que nous appelons nous la déréglementation, la dérégulation, en réalité, la tentative de privatisation de secteurs entiers qui pourtant aujourd’hui encore répondent à un objectif de justice sociale. Les Services Publics ont pour mission de garantir à chaque citoyen, dans des conditions d’égalité, quels que soient son niveau de revenu et son lieu d’habitation, l’accès à un ensemble de biens et de services jugés fondamentaux.
Vous savez que l’attachement au service public est fort dans notre pays et que les processus en cours soulèvent de grandes réprobations chez les salariés et les usagers. Les derniers textes que vous avez votés, Mesdames, Messieurs de la majorité sur les transpositions des directives européennes que ce soit Air France, France Télécom, EDF-GDF n’ont pour objectif que la privatisation de ces entreprises publiques alors que les textes européens eux-mêmes ne l’imposaient pas.
L’adaptation « nécessaire » dont vous parlez Monsieur Larcher dans votre question, consiste à faire rentrer, encore plus, les règles de gestion des entreprises capitalistes dans un secteur où la concurrence n’a pas de justification économique. Le libre jeu du marché que vous prônez est en contradiction totale avec la notion même de service public.
– Peut-on imaginer un instant que seuls ceux qui auraient de l’argent pourraient accéder à un service et que son coût serait différent selon que l’on résiderait à Paris ou dans le Limousin.
-Peut-on penser que la concurrence soit la seule règle ce qui suppose la suppression de monopoles publics qui ont jusqu’à aujourd’hui prouver leur pertinence et leur efficacité économiques comme c’est le cas pour le service postal. On doit tous d’ailleurs constater que là où la concurrence existe, le privé tente très vite de constituer un monopole ou deux, exemple de l’eau.
– Peut-on admettre que la seule motivation à la fourniture de biens et de services fondamentaux soit la recherche du profit et la satisfaction des actionnaires.
La question orale posée aujourd’hui est une vraie question de société. Fait-on le choix de la justice sociale, d’un aménagement du territoire respectueux de l’environnement, de l’égalité d’accès de tous à ces services publics. Ce principe d’égalité, un des principes fondateurs de notre République, qui suppose de traiter les inégalités et non remplacer égalité par équité, vous l’avez déjà profondément atténué avec la réforme constitutionnelle.
Les salariés actifs ou retraités qui descendent massivement dans la rue nous rappellent que nos concitoyens sont attachés à ses valeurs et ne sont pas prêts à accepter vos renoncements.
Votre politique néo-libérale contribue à l’affaiblissement et à l’érosion des services publics
Dans les années 80, Madame Thatcher a été à l’origine de la disparition des services et entreprises publiques en Grande Bretagne. Les politiques européennes qui se sont fortement inspirées de cette expérience ont participé à l’érosion des services publics en les ouvrant à la concurrence. Elles ont permis de confortables plus values boursières à leurs actionnaires mais n’ont pas répondu aux besoins des populations.
Aujourd’hui, le marché deviendrait la panacée, le service public ne serait admis que comme une exception tout juste tolérée, une dérogation au principe général de la concurrence.
Nous assistons de la part des opérateurs à une focalisation sur les bénéfices à court terme avec ses corollaires qui sont la suppression des emplois et leur précarisation ainsi que l’offre d’un service privilégié aux « gros clients » au détriment de celui rendu aux particuliers, aux usagers.
La réforme constitutionnelle que vous avez fait voté au Congrès condamne notre République au morcellement ; votre volonté de concentrer les actions de l’Etat sur ses seules missions dites « régaliennes » est un reniement de sa mission de solidarité ; la réduction drastique des dépenses publiques n’est que la confirmation de votre politique d’abandon ; votre attaque brutale contre les retraites qui annonce celle contre la Sécurité Sociale va dans le sens des attentes du MEDEF.
En modifiant l’article premier de notre Constitution vous reniez la première responsabilité de l’Etat qui est d’assurer l’égalité des citoyens dans tous les domaines de l’action publique. Vous voulez permettre à l’Etat de se défausser en reportant les dépenses publiques sur les collectivités afin de respecter les critères de Maastricht.
Vous renvoyez aux collectivités territoriales, sans leur en donner les moyens, la responsabilité de répondre aux besoins fondamentaux comme l’éducation, la santé, l’économie, l’environnement, le logement, la lutte contre l’exclusion et biens d’autres expérimentations possibles.
Sans ressources suffisantes transférées vers les collectivités territoriales, compte tenu de la disparité de leurs richesses, c’est la porte ouverte à la prise en charge par les citoyens eux-mêmes de leurs besoins.
L’heure n’est donc pas seulement, comme vous le proposez, Monsieur Larcher, à rechercher comment « remettre à plat la carte d’accès aux services publics », mais quels moyens l’Etat est prêt à consacrer à une véritable dynamique de tous les territoires de notre pays.
La décentralisation, c’est aussi dans la lignée des plans sociaux qui se succèdent, la disparition de plusieurs milliers d’emplois publics. Les conditions des transferts de compétences vont favoriser la privatisation de certains services, la précarisation des recrutements et des statuts ; les personnels de l’éducation nationale, de l’équipement ne sont pas prêts à accepter d’emblée des décisions élaborées sans aucune concertation et, je ne peux que les approuver.
Quand nous disons cela, nous ne disons pas que tout doit rester en l’état, comment gérer les Entreprises Publiques, comment les démocratiser ?
C’est en fait le vrai débat que nous devrions avoir.
Nous pensons quant à nous qu’il serait souhaitable, que le secteur public puisse échapper en France et en Europe à la régulation par le marché et par la concurrence, échapper à la contrainte de la rentabilité financière. Il doit au contraire contribuer à développer des droits nouveaux d’intervention, de contrôle et de gestion pour les agents, les usagers et les élus au travers de leurs organisations.
Pour cela il faut envisager de renverser la démarche et entreprendre des réformes qui permettent de se dégager des marchés financiers. Le rôle de l’Etat reste essentiel mais des changements d’orientation sont nécessaires :
– le desserrement des contraintes qui pèsent sur le budget national, en premier lieu l’abandon du carcan que constitue le Pacte de stabilité européen.
– l’inversion des priorités au bénéfice des dépenses sociales.
– la réforme de la fiscalité avec une imposition des revenus spéculatifs et des grandes fortunes, une réforme en profondeur des finances locales. Ainsi, des ressources nouvelles seraient dégagées pour une augmentation significative des budgets publics.
Se soustraire à la domination des marchés financiers c’est aussi éviter les risques liés à leur volatilité. Souvenons-nous de la fuite des fonds de pension américains en 1998 qui détenaient 40% du capital d’ Alcatel et de la crise qui s’en suivie.
Pour réussir, il faut mobiliser les ressources gérées par le système bancaire et de crédit. Cela suppose la création d’un pôle public bancaire rassemblant les banques et les institutions publiques et semi-publiques, à but non lucratif, à vocation mutualiste ou coopérative (la Caisse de Dépôts, la Caisse d’Epargne, le service financier de la Poste… pourraient le permettre).
Les 16,6 milliards d’Euros des actuelles aides publiques à l’emploi pourraient alimenter un Fonds national décentralisé chargé de la distribution de crédits bonifiés, accordés à des projets d’investissements, en fonction de leur contribution à la création d’emplois et à la croissance réelle de l’économie. Cela sous le contrôle des salariés, des populations et de leurs élus.
La concurrence est synonyme de suppressions d’emplois, de gâchis de ressources naturelles, d’inégalités de développement, de sources potentielles de conflits, elle est devenue un principe inhumain ; il est temps aujourd’hui de penser d’autres modes de relations économiques fondés sur d’autres valeurs en favorisant la coopération. Le secteur public pourrait avoir en la matière un rôle moteur.
Par exemple, aujourd’hui, une bonne desserte de nos territoires ne suppose-t-elle pas que l’on recherche plus la complémentarité, l’intermodalité dans le domaine des transports.
Il serait possible également d’envisager des coopérations public-privé pour développer des complémentarités et des synergies, transférables également au niveau international où les besoins à satisfaire sont colossaux, notamment dans les pays du tiers-monde et de l’est européen.
Quelle est la place des usagers dans les services publics :
Aujourd’hui ils sont exclus des processus de décision nous proposons qu’ils aient réellement les moyens de participer aux choix :
Pour cela les structures de direction doivent :
– s’ouvrir aux usagers, aux élus,
– doivent être décentralisées avec des structures ayant délégation pour traiter des questions d’ordre régional ou local tout en gardant le statut national des entreprises ainsi que celui des personnels.
C’est ainsi que l’on pourra véritablement apporter une réponse pertinente aux besoins, sur tous les territoires.
Pour mener à bien leur tache, les salariés qu’ils soient du secteur public ou privé ont besoin de plus de dignité fondée sur la citoyenneté dans l’entreprise, corollaire de la citoyenneté dans la cité. La recherche permanente de baisse des coûts salariaux, que vous traduisez par la remise en cause des statuts des personnels des services publics, ne peut y contribuer.
Le secteur public, minoritaire dans notre économie, soumis aux critères de gestion des entreprises privées doit, au contraire de ce que vous faites, s’étendre, se moderniser et se démocratiser. Il faut développer de véritables pôles publics avec un réseau d’entreprises autour de secteurs fondamentaux : la communication et l’audiovisuel, les transports de voyageurs, la gestion de l’eau et des déchets, l’énergie, le crédit et les institutions financières.
Dans votre conception de la société la concurrence, le marché prédominent. Pour notre part, une société fondée sur l’intérêt des êtres humains, est la réponse attendue aux défis de notre temps. Les entreprises publiques ont un rôle décisif dans cette conception.
Monsieur le Ministre, tous les actes de votre gouvernement ont depuis votre arrivée au pouvoir le même objectif : mettre en place une société libérale en vous attaquant à la moindre parcelle démocratique et aux acquis sociaux des citoyens. C’est pourquoi les services publics sont en plein dans votre cible.
Monsieur le Ministre, nous avons préféré, à l’occasion de cette question orale et, compte tenu des textes en préparation vous faire part de notre conception des services publics et, vous demander comment vous comptez intervenir pour que tous les domaines concernés par l’AGCS soient retirés de la négociation de l’OMC.