Les questions orales
Code des marchés publics et mission des scènes nationales
L’interprétation du Code des marchés publics que le préfet a privilégiée risque d’avoir des conséquences graves sur l’emploi -
Par Michel Billout / 14 novembre 2006Question orale sans débat n° 1132S de M. Michel Billout (Seine-et-Marne - CRC publiée dans le JO Sénat du 5 octobre 2006- page 2515 et posée au Ministre dans l’Hémicycle le mardi 14 novembre 2006 .
M. BILLOUT. - En avril 2006 le Conseil général de Seine-et-Marne décidait, par voie de délibération, de l’organisation d’un festival départemental à caractère culturel confié aux scènes nationales de Sénart et de la Ferme du Buisson.
Quatre mois plus tard, le préfet de Seine-et-Marne déferait cette décision devant le tribunal administratif pour non-respect du Code des marchés publics, ce dernier estimant en effet que l’organisation d’une telle manifestation devait s’analyser comme un marché de prestation de services.
Cette décision a bien évidemment suscité une grande émotion dans le département..
La scene nationale de Sénart et la ferme du Buisson remplissent depuis de nombreuses années, et avec succès, des missions de service public et d’aménagement culturel du territoire de Seine-et-Marne. Celles-ci se réalisent dans le cadre contractuel et partenarial qui est celui de la convention d’objectifs de développement culturel, de création artistique et d’insertion sociale de ces actions sur ces territoires. Elles apparaissent donc comme le partenaire naturel du conseil général pour l’organisation d’un festival départemental d’Art et de Culture. Il ne s’agit donc pas d’une simple « prestation de service ».
L’article 30 du Code des marchés publics prévoit d’ailleurs que la personne responsable du marché peut décider qu’une mise en concurrence, du fait des caractéristiques du marché, est inutile voire impossible.
Le décret n°2005-1008 publié au Journal officiel le 25 août 2005 mentionne l’hypothèse (alinéa 3 de l’article 30 du CMP) où les caractéristiques du marché permettraient de déroger à cette règle. Cette éventualité fait notamment référence « aux marchés qui ne peuvent être confiés qu’à un prestataire déterminé pour des raisons notamment « artistiques ».
Pourtant, cette lecture particulière du code des marchés public risque d’avoir des conséquences graves :
d’une part, de supprimer des emplois, ce festival prévoyant l’intervention de plusieurs centaines d’intermittents du spectacle sur tout le territoire Seine-et-Marnais, ainsi que sur l’organisation d’un chantier d’insertion.
et d’autre part, à terme, de soumettre à la concurrence l’ensemble des missions de service public des associations et établissements publics culturels, mais également « les spectacles musicaux, de danse, de théâtre, de représentation artistique, de cirque, des artistes amateurs ou professionnels »
Je souhaiterai savoir, monsieur le ministre, si vous n’êtes pas inquiet de la jurisprudence ainsi créée à l’initiative du préfet de Seine-et-Marne, au regard de ses implications sur l’avenir des scènes nationales et des missions de service public qui leur sont confiées. Je serai également particulièrement intéressé de savoir si vous la jugez conforme à l’adoption de la convention de l’Unesco.
En effet, avec l’adoption de la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le 20 octobre 2005, la France a fait sienne, avec 147 autres pays, une définition de la culture comme un bien de l’humanité, à l’opposé des conceptions qui prévalent à l’OMC où l’AGCS qui donnent la culture comme un produit marchand.
La réponse du Ministre
M. DONNEDIEU DE VABRES, ministre de la Culture et de la Communication. - Il y a là une question de principe. Le conseil général de Seine-et-Marne a passé convention avec les scènes nationales de Sénart et de la ferme du Buisson. Le juge des référés du tribunal administratif de Melun a prononcé la suspension des conventions d’objectifs, estimant qu’il y avait un doute sur la légalité des décisions, qui se rapporteraient selon lui à des marchés publics de services soumis aux procédures du Code des marchés publics. Le Conseil d’État n’ayant pas tranché, je reste très prudent sur l’analyse juridique.
Toutefois, je ne souhaite pas que les missions de service public soient remises en cause pour les subventions que nous attribuons, conjointement avec les collectivités territoriales, au spectacle vivant.
Pour clarifier les choses, le Premier ministre a annoncé, lors de la première conférence de la vie associative, la mise en place d’un groupe de travail associant des représentants du Conseil d’État et de la Cour des comptes. Il travaillera à préciser ces notions de subvention, de commande publique et de délégation de service public.
La culture n’est pas un produit marchand ; et la France était à la manœuvre, à l’Unesco, pour faire adopter la convention sur la diversité des expressions culturelles. Celle-ci devrait entrer en vigueur en décembre, grâce à l’adhésion de pays de l’Union européenne.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas question d’admettre une paralysie du secteur du spectacle vivant. Le Conseil d’État tranchera.
M. BILLOUT. - Je remercie M. le ministre de cette réponse. Je comprends qu’elle ne soit pas complète dans la mesure où la justice est saisie de ce dossier.
Néanmoins, la problématique du secteur artistique et culturel doit absolument être clarifiée. Il convient que ce secteur soit distinctement placé en dehors du champ de l’activité marchande et concurrentielle, afin d’éviter au représentant de l’État dans certains départements de faire preuve d’un zèle excessif.
En effet, avant que le tribunal administratif soit saisi de l’affaire, il a bien fallu qu’une démarche soit engagée pour contester la validité de la délibération du conseil général. Et c’est, en l’occurrence, le représentant de l’État qui a été à l’origine de cette démarche.
Il est donc important que tout soit parfaitement clair afin d’éviter la paralysie du secteur et la mise au chômage de centaines d’intermittents du spectacle.