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Les questions orales

L’ensemble des questions orales posées par votre sénatrice ou votre sénateur. Au Sénat, une question orale peut, suivant les cas, être suivie d’un débat. Dans ce cas, chaque groupe politique intervient au cours de la discussion.

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Il est temps de sortir de la seule approche répressive dirigée contre les personnes prostituées

Situation des personnes prostituées -

Par / 11 mai 2010

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Mme André d’avoir pris, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, l’initiative de ce débat, qui nous permet d’aborder aujourd’hui, alors que la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause nationale de l’année 2010, la question de la prostitution dans notre pays. Je me réjouis que, grâce à la mobilisation des associations, la prostitution ait été mentionnée explicitement, dans la charte adoptée le 23 janvier 2009, comme l’une des violences faites aux femmes.

En effet, la prostitution, parce qu’elle s’inscrit toujours dans un rapport de domination, ne doit plus être considérée comme une question marginale, et nous nous devons, par respect pour les femmes et les hommes qui en sont les victimes, d’envisager ce sujet sous un angle autre que celui de la répression et de la sanction des personnes prostituées. Nous devons nous intéresser à leur sort, à la manière dont les pouvoirs publics peuvent les aider à se libérer de cette forme d’exploitation qui réside dans la marchandisation du corps humain. Force est de constater que, en la matière, beaucoup reste à faire.

Il y aurait aujourd’hui entre 13 000 et 20 000 personnes en situation de prostitution. L’estimation est bien difficile à réaliser, car elle repose presque exclusivement sur les chiffres fournis par les associations qui accompagnent les personnes prostituées, en matière tant de prévention que d’aide juridique et psychologique.

Pourtant, lors de la discussion de la loi pour la sécurité intérieure, contre laquelle nous avions voté, le Gouvernement s’était engagé, au travers de ce qui allait devenir l’article 52 de cette loi, à remettre chaque année un rapport au Parlement.

En 2005 déjà, par le biais d’une question écrite, j’avais interrogé le ministre de l’intérieur de l’époque sur l’absence de tout rapport, particulièrement regrettable compte tenu de l’importance du sujet. Le ministre avait justifié cette lacune par des retards dus aux services du ministère de la santé. Le rapport prévu par la loi n’aura été remis qu’à une seule reprise, en 2006. Un tel manque de suivi nous fait craindre que les dispositions inscrites dans la loi pour la sécurité intérieure, qui étaient exclusivement répressives, n’aient qu’une efficacité toute relative…

De deux choses l’une, monsieur le ministre : soit la loi, et plus particulièrement les mesures concernant le délit de racolage passif, n’est pas efficace pour lutter contre la traite des personnes humaines, et il faut alors l’abroger, comme nous le demandons, avec les associations ; soit il est impossible de tirer tout bilan, tant sur le plan judiciaire qu’en matière d’accompagnement social des personnes prostituées, et il faut alors le dire.

La culture du chiffre, que des syndicats de la police nationale dénoncent eux-mêmes en parlant de « course aux quotas de PV et de gardes à vue », empêche les forces de l’ordre de faire autre chose que de la répression. Pis encore, d’après les associations qui accompagnent au quotidien les personnes prostituées, les arrestations et les placements en garde à vue, dont l’augmentation du nombre, on le sait, est exponentielle, se multiplieraient, ce qui permet d’accroître le taux d’affaires élucidées et le nombre de faits « révélés par l’action des services », c’est-à-dire sans plainte préalable d’une victime.

Autrement plus grave, monsieur le ministre, les associations de terrain affirment toutes que le principal effet pervers de l’application de la loi pour la sécurité intérieure a été l’éloignement des personnes prostituées des lieux qu’elles avaient l’habitude de fréquenter et où elles pouvaient trouver aide et accueil.

En 2002, M. Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur, disait vouloir « faire cesser la prostitution qui envahit nos villes et nos boulevards » et reconduire à la frontière les prostituées étrangères. Dans les faits, les personnes prostituées sont contraintes de quitter les principaux boulevards – de ce point de vue, l’objectif pourrait être considéré comme atteint ! –, mais elles sont toujours aussi nombreuses. Elles se trouvent reléguées dans des appartements, où elles vivent isolées, les contacts avec les clients s’effectuant par le biais d’internet, ce qui rend leur identification, leur rencontre et leur protection plus difficiles. Cet isolement leur fait courir de très graves dangers, pouvant aller jusqu’à des violences mortelles, et les prive de l’accès aux moyens de prévention des maladies sexuellement transmissibles, notamment le sida.

Lors de nos débats sur le projet de loi pour la sécurité intérieure, nous avions dénoncé la stigmatisation des prostituées, ainsi d’ailleurs que celle des jeunes et des gens du voyage. J’avais personnellement déposé une proposition de loi relative à l’exploitation sexuelle et à la protection de ses victimes dont l’orientation était bien différente de celle du texte du Gouvernement.

Aujourd’hui, les faits nous donnent malheureusement raison. Pour notre part, nous restons convaincus que, en pénalisant et en stigmatisant les personnes prostituées, le Gouvernement se trompe de cible. Nous le réaffirmons : ce ne sont pas les prostituées qu’il faut mettre en prison ; le trottoir en est déjà une, qui leur est imposée par leur proxénète.

Les mesures qui ont été prises vont à l’encontre du travail qu’effectuent les associations dans ce domaine. En effet, elles visent à sanctionner les seules prostituées, l’objectif annoncé étant d’atteindre ainsi indirectement les proxénètes. Les personnes prostituées se trouvent privées de fait de leur statut de victimes pour devenir au mieux co-auteurs d’infractions, au pire responsables de leur situation. Pourtant, il faut le dire et le redire pour faire pièce à certaines affirmations, on estime que de 85 % à 90 %, voire 95 %, d’entre elles sont sous le joug de proxénètes ou de réseaux de proxénétisme. C’est donc sur ces derniers, et non sur les prostituées, qu’il faut concentrer les efforts de répression. Cela exigerait de changer radicalement de regard sur la prostitution et sur celles et ceux qui en sont les victimes.

À cet instant, je rappellerai les propos tenus par le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy en 2002 : « C’est une tartuferie que de considérer les prostituées comme des victimes, de dire que le racolage actif est un délit, et, dans le même temps, de fermer les yeux sur le racolage. » Il nous reste encore un long chemin à parcourir, tant cette façon de voir les choses est répandue !

Aujourd’hui, devant l’échec de la loi pour la sécurité intérieure, je suis consternée de constater que la solution mise en avant est la réouverture des bordels – disons le mot ! Les propos tenus par Mme Chantal Brunel, présidente de l’Observatoire de la parité, qui se dit favorable à l’examen d’une telle possibilité, les maisons closes étant renommées au passage « maisons ouvertes » – et si possible autogérées ! –, me choquent et m’irritent.

Hélas, quelle que soit la terminologie employée, il ne s’agit toujours que de lieux d’exploitation ! Autoriser la réouverture de tels établissements, sous le prétexte fallacieux de garantir aux personnes prostituées de meilleures conditions d’exercice, c’est renoncer par avance à mettre un terme aux violences dont les femmes sont victimes. Quelle aubaine pour le business de la prostitution, extrêmement lucratif, comme chacun sait, qui ne cesse de réclamer la réglementation du travail sexuel en France. Voilà la solution qu’on voudrait nous faire accepter, cahin-caha !

Le groupe CRC-SPG est convaincu que tout doit être mis en œuvre pour faire reculer la prostitution jusqu’à son abolition. C’est pourquoi j’ai déposé, le 8 février dernier, une nouvelle proposition de loi relative à l’exploitation sexuelle et à la protection de ses victimes, qui vise notamment à abroger l’article 225-10-1 du code pénal instaurant le délit de racolage passif.

En effet, il est temps de sortir de la seule approche répressive dirigée contre les personnes prostituées, pour rechercher et sanctionner en priorité les responsables de réseaux qui organisent la traite des êtres humains. Cette mesure, attendue par l’immense majorité des associations, a récemment fait l’objet d’une recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, selon laquelle « la convention de 2005 comme le droit pénal français prévoient que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte ». La CNCDH rappelle avec raison que « les victimes de traite ou d’exploitation contraintes à commettre des crimes ou des délits doivent être considérées avant tout comme des victimes de délinquance forcée et doivent être exonérées de responsabilité pénale pour avoir commis de tels faits », comme y invite d’ailleurs l’article 6 du protocole de Palerme. C’est pourquoi il nous semble très important d’abroger le délit de racolage, tant actif que passif.

Par ailleurs, la possibilité prévue par la loi actuelle d’accorder un titre de séjour temporaire aux personnes prostituées en situation irrégulière qui dénonceraient leurs proxénètes ne nous semble pas acceptable. Avec cette mesure, la loi conditionne, pour la première fois, un droit fondamental, celui à la sécurité juridique, à la participation à une enquête judiciaire. Là encore, dans son avis de décembre 2009, la CNCDH recommande de « délivrer de plein droit à tout étranger, y compris les ressortissants communautaires soumis à un régime transitoire, à l’égard duquel des éléments concordants (récit circonstancié de la personne, suivi par une association spécialisée ou un syndicat, indices recueillis par les autorités ou tout autre élément disponible) laissent présumer qu’il est victime de traite ou d’exploitation ». C’est ce que prévoit la proposition de loi que j’ai déposée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de conclure cette intervention en évoquant ce qui nous semble constituer une priorité pour faire reculer durablement la prostitution, à savoir la prévention et l’éducation. Il est de notre responsabilité de réaffirmer ici, et partout où cela est possible, que la situation prostitutionnelle est contraire à ce qu’il est légitime de revendiquer au nom de la liberté individuelle, à savoir une sexualité libre et choisie, fondée sur le désir partagé. Oui, la prostitution est une violence exercée à l’encontre des femmes et des hommes prostitués.

De la même manière, au rebours des politiques menées ces dernières années et tournées vers la répression des personnes prostituées, nous souhaiterions qu’émerge une véritable politique de prévention et de responsabilisation des clients. Ils doivent avoir conscience de la portée de leurs actes et du fait que, en achetant des services sexuels, ils perpétuent une forme de domination assise d’abord et avant tout sur l’argent. Les personnes prostituées sont les victimes de la marchandisation d’une activité qui ne relève pas du domaine marchand mais est néanmoins très lucrative, puisque l’exploitation sexuelle d’une personne rapporterait entre 75 000 et 150 000 euros par an.

Tel est le sens des dispositions que j’ai inscrites dans ma proposition de loi. Le client est un acteur à part entière du système prostitutionnel, on ne peut l’ignorer. S’il ne paraît pas aujourd’hui opportun de pénaliser le client de personnes prostituées majeures – cela pourrait même être contre-productif –, il me semble indispensable de se donner les moyens de changer le regard de la société sur la prostitution, ainsi que, plus largement, sur les rapports de genres.

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