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Les questions orales

L’ensemble des questions orales posées par votre sénatrice ou votre sénateur. Au Sénat, une question orale peut, suivant les cas, être suivie d’un débat. Dans ce cas, chaque groupe politique intervient au cours de la discussion.

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Indépendance énergétique de la France

Par / 8 février 2005

par Michelle Demessine

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

On ne peut être que surpris, étonné même, de l’inscription à l’ordre du jour de cette question orale avec débat sur l’indépendance énergétique de la France.
Non qu’une telle question serait sans intérêt ou qu’elle manquerait de pertinence… Bien au contraire ! elle est plus que pertinente. Notre indépendance énergétique - résultat du volontarisme politique de l’après seconde guerre mondiale n’aura jamais, autant qu’aujourd’hui, été remis en cause voire contesté. A maints égards, cette question sur notre indépendance énergétique est donc opportune. Mais elle apparaît quelque peu provocatrice venant de votre part.
Alors que cet été nous avons entamé dans la plus grande précipitation et confusion la discussion d’un projet de loi qui concerne précisément ce sujet : le projet de loi d’orientation sur l’énergie.

Dans la plus grande précipitation, en effet je le rappelle, puisque quelques jours à peine après son adoption à l’Assemblée nationale, le 1er juin, il était déjà inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Alors que nous ne disposions encore que de la petite loi, il nous a fallu, en un temps record, en moins d’une semaine :

- d’abord tenter d’apprécier les véritables intentions du gouvernement sur un projet loi qui devait engager l’avenir énergétique de la France sur le long terme ;

- ensuite analyser les modifications introduites par l’assemblée nationale

- enfin tenter de comprendre les raisons des désaccords sérieux entre les commissions des deux chambres, désaccords relatifs à l’intégration ou non dans le corps du texte des 21 pages annexées au projet de loi.

Pour ajouter à la confusion, l’on s’interrogeait encore récemment pour savoir si, au final, ce projet de loi ferait ou non l’objet d’une seconde lecture ou resterait déclaré d’urgence.
L’on parle aujourd’hui du mois de mai pour la seconde lecture au Sénat, soit pratiquement un an après son inscription à l’ordre du jour de la Haute assemblée !
Pourquoi, après tant de précipitation, un si long délai ? Peut-on avoir d’ailleurs confirmation qu’il y aura bien une seconde lecture de ce projet de loi.

Cette question orale avec débat est donc la bienvenue si elle permet au gouvernement de revoir sa copie pour n’en pas rester à des déclarations d’intention ! En l’état, nous continuons de penser que ce projet de loi d’orientation manque de souffle et de réel volontarisme politique.
Si nous apprécions la décision de relancer le programme civil nucléaire, nous ne pouvons que constater que les efforts dans les autres directions, en matière d’énergie renouvelable, de maîtrise des dépenses d’énergie et de réduction de notre dépendance à l’égard du pétrole, font défaut.

Nous sommes très réservés quant aux certificats d’énergie dont nous doutons de la réelle efficacité. En matière d’énergie verte, les récentes statistiques produites par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) sont particulièrement alarmantes.
La France est en effet loin de pouvoir respecter ses engagements européens de porter à 21% en 2010 la part d’énergie renouvelable. Alors qu’elle représentait 18% en 1990, cette part n’a cessé de se réduire pour atteindre seulement 13,5% en 2003.

L’effort en recherche et développement est indispensable pour renforcer les énergies propres, comme le photovoltaïque par exemple. Cela suppose, vous le savez, des moyens financiers et la programmation d’investissements. Une autre question : qu’en sera-t-il du sort réservé à l’hydraulique dans le projet de loi sur l’eau ?
Le projet de loi d’orientation sur l’énergie ne nous propose pas un réel programme de développement à long terme de notre secteur énergétique et de nos services publics de l’électricité et du gaz, au contraire !

Et pourtant, ce dont nous avons besoin c’est d’un projet fondé sur le développement de notre outil industriel à travers une programmation des investissements visant la diversification des sources énergétiques et leur complémentarité à long terme. Nous sommes au regret de constater qu’au lieu de sécuriser à long terme nos approvisionnements énergétiques, l’actuel projet de loi ne vise qu’à prendre des dispositions pour s’adapter et gérer les pénuries futures, voire les dysfonctionnements liés à la régulation par le marché. N’oublions pas la crise californienne et la faillite d’Enron.

- enfin, cette question, posée par vous, est surtout une provocation à l’égard des électriciens et gaziers qui manifestaient récemment dans les rues pour défendre leur outil industriel et leur conception du service public alors que l’ouverture du capital d’EDF et de GDF est déjà avancée !

Qui nierait que le caractère public de ces entreprises est l’une des conditions, sinon la condition de la préservation de notre indépendance énergétique ! Certes, cette condition n’est peut-être pas suffisante car elle suppose que la contrainte soit exercée par le volontarisme politique pour orienter le comportement des entreprises publiques, j’y reviendrai, plus loin.
Car on est au regret de constater - et on a pu aussi l’observer dans d’autres services publics, les services postaux par exemple— , un retrait inquiétant du volontarisme politique au profit d’une régulation purement marchande.

En effet, l’abandon de la maîtrise publique de nos tarifs de l’électricité ou du gaz ne serait-il pas le signe le plus patent de la remise en cause de l’indépendance énergétique que nous avons conquise ?

Nous en savons quelque chose d’ailleurs en ce qui concerne le pétrole. Après le premier choc pétrolier, notre facture pétrolière s’était considérablement accrue, subissant plus particulièrement la politique du dollar fort que la décision des pays de l’OPEP tentant au final à se réapproprier la gestion de leurs ressources fossiles.
Allons nous, à nouveau, être condamnés à revivre cette situation alors que rien n’est réellement fait pour réduire notre dépendance extérieure pétrolière ?
Car, comment pouvez-vous, par exemple, afficher la volonté de renforcer le rail alors que vous appelez de vos vœux sa libéralisation ? Le secteur des transports, outre qu’il constitue l’une des principales sources de pollution, représente, vous le savez, une part très importante de nos importations de pétrole. Réduire notre dépendance pétrolière extérieure suppose une véritable politique en faveur du rail, avec avant tout, les investissements à la clé !

Le débat que nous avons eu ici, le 26 janvier dernier, sur le fret ferroviaire, a montré combien la volonté politique de rééquilibrer le rail face à la domination du tout routier était défaillante ! L’analyse menée à l’occasion de ce débat par mon collègue et ami Michel Billout en est tout a fait probante ! Une réorientation fondamentale de la politique des transports favorisant la complémentarité intermodale plutôt que la mise en concurrence des modes de transport est nécessaire si l’on veut réduire notre dépendance à l’égard des hydrocarbures !
Or, telle n’est manifestement pas l’option qu’a choisi ce gouvernement !
Enfin nous subirions d’autant moins les effets de la volatilité du dollar si l’euro pouvait jouer lui aussi un rôle de monnaie de transaction internationale au sein d’une zone euro. La France, me semble-t-il devrait pouvoir porter une telle ambition en demandant la tenue d’une conférence internationale sur ce thème.

Pour en revenir aux prix de l’électricité, notre pays, grâce au nucléaire et à l’hydraulique disposait jusqu’à maintenant du prix de l’électricité le plus bas et le plus compétitif. Depuis l’ouverture de notre marché énergétique, les prix de l’électricité ont connu une forte envolée augmentant les factures non seulement des usagers domestiques mais aussi de nos services publics comme la SNCF et nos hôpitaux, de nos grandes industries et de nos PME. Cette perte de la maîtrise tarifaire, par un alignement de nos prix intérieurs sur les prix plus volatils fixés par la bourse européenne de l’électricité, est doublement pénalisante.

D’abord, parce qu’elle nous prive d’un instrument de politique industrielle : comment éviterons nous la délocalisation de nos entreprises électro-intensives si nous sommes privés de notre politique en matière de prix ? C’est aussi à ce niveau là que se mesure le degré de notre indépendance énergétique, dans la marge de manœuvre dont nous disposons en matière de politique industrielle.

Avouez que les mesures incitatives d’exonérations fiscales des pôles de compétitivité que vous proposez ne pèseront pas lourds par rapport à cette variable là. A la fin des années quatre-vingt, Péchiney n’aurait certainement pas installé une nouvelle usine d’électrolyse s’il n’avait pas eu la garantie de bénéficier de tarifs de l’électricité préférentiels ! A la clé il y avait la création de 550 emplois directs !
Ensuite parce qu’elle nous prive aussi d’une politique sociale nous permettant d’agir sur la facture d’électricité des usagers dans un sens visant l’équité sociale et l’accès de tous à un prix le plus bas possible, à ce bien de première nécessité qu’est l’électricité.

Avec la privatisation d’EDF et de GDF, vous nous privez des outils industriels nous permettant de consolider nos acquis en matière d’indépendance énergétique. C’est aussi à ce niveau là que réside le caractère provocateur de ce débat.

Mais, vous ne pouvez pas, en tout cas, monsieur le ministre, recourir à l’alibi européen pour justifier de l’abandon du statut public d’EDF et de GDF. Comme l’a souligné, cet été, Mario Monti, alors commissaire européen à la concurrence, les traités européens n’obligent aucunement à privatiser nos services publics de l’énergie !
Pourquoi voudriez-vous, monsieur le ministre que les intérêts de l’actionnariat privé, actionnariat dont on doit reconnaître, dans le contexte actuel de mondialisation, qu’il est de plus en plus nomade ou apatride et finalement, lui aussi, volatile coïncide avec l’intérêt national ou avec l’intérêt général de nos populations ?

Il est presque absurde de discuter aujourd’hui de l’indépendance énergétique de la France au moment où précisément le gouvernement, en ouvrant le capital de nos deux entreprises publiques énergétiques, prive le pays des instruments et moyens de mise en œuvre d’une politique visant la sécurité de nos approvisionnements.
Car, c’est précisément le statut public des EPIC comme EDF et GDF qui aura permis à la France de se donner non seulement les moyens de devenir indépendant sur le plan de l’électricité mais aussi d’accroître son taux global d’indépendance énergétique de 26% à 50%, en une trentaine d’années !
Je continue de penser qu’aujourd’hui il est nécessaire de créer un pôle public de l’énergie, autour d’EDF et de GDF, pôle capable de faire émerger toutes les synergies possibles et les économies d’échelle pour contribuer à la sécurité de nos approvisionnements.
En effet, qu’est-ce qui nous garantit qu’en toute circonstance, desservir les usagers et clients éligibles sur notre territoire national demeurera la priorité d’une entreprise comme EDF, avec un actionnariat privé ?

Que ce soit pour EDF ou GDF, nous nous sommes prononcés contre la séparation des activités de transport et leur filialisation. Aujourd’hui on veut aller plus loin encore, vers une indépendance totale de la gestion des réseaux, autrement dit vers une séparation patrimoniale via la cession d’actifs.
Déjà, la filialisation des activités de transport et l’ouverture du capital de RTE risque de contribuer à des ruptures de continuité entre production et distribution d’électricité, à des dysfonctionnements remettant en cause notre sécurité d’approvisionnement.
Dans cette conception libérale, les réserves de capacités de production d’électricité qui, comme on a pu le montrer lors du débat de cet été, permettent de réguler les flux et de faire face aux pointes de demandes seront-elles préservées ?

En ce qui concerne le gaz, nous avions eu l’occasion de souligner que l’activité de transport contribue de manière fondamentale à la sécurité de nos approvisionnements. Elle regroupe, dans un tout cohérent, les activités de réseaux de transport, de stockage et les terminaux méthaniers. La filialisation de ces activités, avec à terme le risque d’une séparation patrimoniale, compromet leur intégration au sein de l’entreprise et est préjudiciable à la sécurité de nos approvisionnements et à la continuité de la fourniture.

Quant à nos capacités de stockage, tant enviés de certains de nos partenaires européens, nous savons combien elles participent à la régulation de nos flux et sont essentiels à la sécurité de nos approvisionnements et à l’équilibre de nos réseaux de transports. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en juillet dernier nous nous étions opposés à la décision de la commission des affaires économiques de permettre l’accès des tiers aux stockages de gaz dans des termes qui, en plus, ouvraient la voie à leur dissociation, par le biais de leur filialisation, et à terme à leur possible autonomisation. Nous savons qu’en 2003 des tentatives de marchandage des capacités de stockages de gaz du futur terminal de Fos 2 avaient eu lieu entre GDF et Eon-Ruhrgas. Voilà, avec la privatisation, ce qui nous attend, Monsieur le ministre alors que nous ne possédons pas de gaz et que ces capacités de stockage sont un élément important de la sécurité de nos approvisionnements !

Enfin, si nous nous félicitons que la Commission européenne ait finalement renoncé à remettre en cause les contrats de gaz à long terme, nous demeurons néanmoins inquiets face au recours de plus en plus important au marché spot pour notre approvisionnement.

De fait, le recours plus important à ce type de marché ces derniers mois —de l’ordre de 11%— n’est-il pas, en effet, significatif de ce que notre sécurité d’approvisionnement en gaz risque d’être déjà entamée ?
Jusqu’à maintenant l’approvisionnement sur ce marché à court terme demeurait limité à l’équivalent de 1 à 2% de nos besoins. Il faut savoir que les prix sur ce marché sont actuellement de l’ordre de deux à trois fois plus chers que ceux des contrats à long terme.

Il semble que nous devons cette situation, et c’est là que le bât blesse, Monsieur le Ministre, à l’accident du terminal méthanier Skyda qui a fait perdre un tiers des approvisionnements de l’Algérie, soit près de 8% de l’approvisionnement de la France. Ceci est particulièrement inquiétant car, en cas de défaillance d’une source d’approvisionnement, la solution pour la France est-elle de s’approvisionner sur le marché spot ?
Quelle est, réellement, la capacité d’absorption des chocs du marché spot ? C’est in fine notre sécurité d’approvisionnement en gaz qui est ici, à travers cet exemple, encore remise en cause !

Dans le contexte géostratégique actuel où aucune hypothèse ne peut a priori être exclue, que se passera-t-il, par exemple, si la source d’approvisionnement défaillante était la Russie, qui représente actuellement 25% de nos approvisionnements ? Doit-on rappeler que l’article 4 du décret du 19 mars 2004 précise que Gaz de France « doit être en mesure d’assurer la continuité de fourniture », notamment en cas « de disparition pendant six mois au maximum de la principale source d’approvisionnement », cette situation représentant environ 25 à 30% du marché.

Une telle défaillance se traduirait par une saturation du marché spot et par une envolée de prix fortement préjudiciable à notre économie. Comment exclure une telle éventualité, qui rend compte de la fragilité actuelle de notre sécurité d’approvisionnement en gaz et ce d’autant plus dans le contexte actuel de libéralisation ?

Pour conclure, Monsieur le Ministre, je dirais que notre politique énergétique a besoin d’être consolidée et rénovée pour faire face aux nouveaux défis posés par le développement durable. Sans une politique volontariste en la matière, nous risquons de remettre en cause notre indépendance énergétique et la sécurité de nos approvisionnements en électricité et en gaz.

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