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Les questions orales

L’ensemble des questions orales posées par votre sénatrice ou votre sénateur. Au Sénat, une question orale peut, suivant les cas, être suivie d’un débat. Dans ce cas, chaque groupe politique intervient au cours de la discussion.

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Libertés et responsabilités des universités

19 mars 2009

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors des débats consacrés à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités au cours de l’été 2007, j’avais eu l’occasion, au nom du groupe CRC, de souligner les graves insuffisances de ce texte, qui contrevenait aux grands principes essentiels au bon fonctionnement de notre système d’enseignement supérieur et de recherche : respect de la démocratie interne, de la collégialité, de l’indépendance des enseignants-chercheurs et de l’évaluation par leurs pairs.

Nous avions également déploré le manque d’ambition de cette loi, qui n’engageait pas l’État à débloquer des moyens substantiels permettant aux universités de parvenir à une réelle autonomie.

En outre, nous avions dénoncé le manque de concertation pour la préparation d’une loi censée réformer en profondeur l’université française et présentée par le Premier Ministre comme « la plus importante de la législature ». Faut-il rappeler qu’elle avait été examinée en urgence, votée à la hussarde et promulguée au cours de l’été 2007 ?

À tous ces travers, à cette absence de dialogue, s’ajoutent les propos arrogants, brutaux et méprisants du Président de la République à l’égard d’une communauté scientifique présentée comme frileuse face au changement et hostile à toute forme d’évaluation de son travail. Cette accumulation, cette méfiance, cette défiance ont engendré le mouvement de fronde actuel, inédit par son ampleur.

Il est vrai que toutes les orientations politiques actuellement mises en œuvre témoignent d’un véritable mépris pour la connaissance et d’une volonté de disqualifier le savoir. Toutes les activités, de l’hôpital à l’université, du tribunal aux structures culturelles, sont appréciées et évaluées au travers d’un utilitarisme forcené à courte vue. Les critères de rentabilité imposés aux services publics ignorent les logiques et la nature même du service public, ainsi que le temps nécessaire à l’accomplissement de missions diverses très souvent complexes. L’immédiateté prend le pas sur toute vision prospective, l’organisation comptable s’impose à tous les types d’activités. Dès lors que les objectifs quantitatifs ne sont pas atteints, des mesures sont prises pour supprimer les postes dans une fonction publique perçue comme pléthorique et peu efficace.

Dans ce contexte, comment les scientifiques peuvent-ils accepter les déclarations du Chef de l’État selon lesquelles l’enseignement supérieur et la recherche de notre pays seraient « inadaptés aux défis de la connaissance et de la croissance du xxie siècle » ? Comment peuvent-ils entendre que la France se trouve en queue de peloton, quand notre pays, malgré une dépense publique par trop insuffisante, se maintient au sixième rang mondial et dispose d’un Centre national de la recherche scientifique fort d’une première place européenne pour les publications ?

La méthode est bien connue : qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage ! Derrière ce tableau outrancier, délibérément noirci, de la réalité universitaire, s’exprime une volonté de « casser » le dispositif public d’enseignement supérieur et de recherche. L’exécutif s’efforce de remettre en cause la philosophie même de la connaissance : la conception actuelle fondée sur la réflexion critique et l’échange devrait ainsi disparaître, au profit d’une conception répondant aux principes de concurrence et de résultats immédiats. Ainsi la production et la transmission des connaissances doivent-elles être soumises aux règles managériales et satisfaire aux pratiques d’étalonnage des performances, selon la logique de l’Espace européen de la recherche et de la stratégie de Lisbonne.

Concurrence et performance à tous les étages : tel est le mot d’ordre qui sous-tend la politique mise en œuvre par le Gouvernement, qui ne peut s’accommoder de la liberté des scientifiques, des échanges, partenariats et collaborations actuellement mis en œuvre au niveau des établissements et des laboratoires de recherches. Le slogan « Publish or perish » - « Publie ou crève » -, d’inspiration anglo-saxonne, semble être l’un des principaux impératifs auxquels nos enseignants-chercheurs et chercheurs devraient désormais répondre. En substance, c’est le message que le Chef de l’État a adressé à la communauté scientifique le 22 janvier dernier.

Outre ces déclarations du Président de la République, qui sont tout sauf une déclaration d’amour - ne vous en déplaise, madame la ministre ! - la communauté scientifique n’a pu rester passive face aux récentes décisions du Gouvernement l’affectant directement.

Elle ne pouvait se résoudre à accepter le décret bouleversant le statut des enseignants-chercheurs. Car, de fait, celui-ci menace la fécondation réciproque de l’enseignement et de la recherche, pourtant vitale pour le développement des universités et la qualité des enseignements dispensés aux étudiants. Les universitaires ont, à juste titre, rappelé qu’on ne saurait dissocier enseignement et recherche par souci d’économies ou pour valoriser des carrières individuelles.

De même, le projet bouleversant le recrutement et la formation des professeurs des écoles, collèges et lycées a rencontré une vive opposition, y compris au sein de la Conférence des présidents d’université, l’apprentissage et la pédagogie étant purement et simplement sacrifiés. En outre, l’incorporation de la formation des enseignants au sein des universités marquerait la fin du cadre national de cette formation, dont les instituts universitaires de formation des maîtres, IUFM, étaient les garants, chaque université devant dès lors proposer sa propre maquette de mastère. Ainsi, nous assisterions à une véritable balkanisation de la formation des professeurs, ceux-ci n’étant plus formés de manière similaire sur l’ensemble du territoire national.

Ces réformes rétrogrades sont d’autant plus rejetées qu’elles interviennent dans un contexte de suppressions de postes au niveau tant des universités et des organismes de recherche que de l’éducation nationale dans son ensemble. Alors que le caractère prioritaire et primordial de l’enseignement supérieur et de la recherche est sans cesse réaffirmé, il n’est pas concevable de diminuer les emplois statutaires dans un secteur qui n’a jamais souffert de surnombre. Doit-on rappeler que, depuis vingt-cinq ans, l’effectif du personnel universitaire a augmenté de 30 %, quand le nombre d’étudiants croissait de plus de 300 % ? Dès lors, comment s’étonner qu’un grand nombre de jeunes quittent l’enseignement supérieur sans diplômes, en situation d’échec ?

Face à l’absence de perspectives d’emploi, il n’est guère surprenant d’observer que les étudiants ne sont plus attirés par les carrières scientifiques et universitaires. Ce phénomène est pourtant particulièrement préoccupant. Comment les connaissances seront-elles produites et transmises dans un proche avenir ?

Alors qu’il y a urgence à définir un plan pluriannuel de création d’emplois statutaires, les suppressions de postes pour 2009, auxquelles s’ajoutent les annonces de suppressions de postes dans les organismes de recherche, constituent un signal très négatif adressé tant à la communauté scientifique qu’aux étudiants.

De manière plus générale, l’opinion publique désapprouve majoritairement les suppressions de postes dans l’éducation nationale, qui contribuent, elle le sait bien, à affaiblir le système éducatif français.

Madame la ministre, nombreux sont ceux à vous dire qu’il y a urgence à revoir la politique du Gouvernement en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Et tous ne sont pas, loin s’en faut, ce que vous pourriez être tentée d’appeler d’« affreux révolutionnaires » ou les « chantres de l’immobilisme ». Ceux-là mêmes que le Chef de l’État ou vous-même vous plaisiez à citer pour défendre vos projets vous le disent et le répètent : « La politique à courte vue de coupes claires sans discernement dans la recherche et l’enseignement supérieur est suicidaire. » Ces mots sont ceux du physicien Albert Fert, prix Nobel 2007, par ailleurs membre du comité de suivi de la loi LRU, dont vous chantiez les louanges il y a quelques mois encore.

Au-delà du décret sur le statut des enseignants-chercheurs, de la mastérisation des concours et de la refonte de la formation des futurs enseignants, c’est l’ensemble de la loi LRU qu’il convient de revoir en profondeur, car elle met à mal l’indépendance des universitaires. Ceux-ci sont en effet privés de la mission de définition de la politique scientifique des universités, confiée dorénavant aux conseils d’administration au sein desquels figurent des représentants étrangers à l’université. De même, l’indépendance des enseignants-chercheurs est remise en cause par les prérogatives confiées aux présidents d’université sur le plan du recrutement, de la rémunération, de l’évaluation ou de la définition des services de leurs personnels. La mise en place d’un « système “présidentiel” avec confusion des pouvoirs », pour reprendre les termes d’un universitaire, doit être abandonnée au profit d’institutions collégiales.

L’autonomie des universités suppose donc de réaffirmer la pertinence de principes contredits par la loi LRU : démocratie, collégialité, indépendance des universitaires, évaluation par les pairs sont indissociables de l’autonomie.

De même, toute réforme des universités devrait tenir compte de la spécificité des disciplines, chacune ayant sa propre temporalité, ses propres critères de recrutement, ses propres pratiques pédagogiques. Ainsi, l’autonomie des universités devrait-elle s’accompagner d’une forme d’autonomie dans chaque discipline, au niveau tant de la recherche que de l’enseignement.

Une véritable réforme n’est en outre légitime que dans la mesure où la qualité des formations est assurée, d’où l’exigence d’un recrutement des enseignants-chercheurs sur la base de critères objectifs et d’une offre de parcours de formation diversifiés adaptés aux différents publics accueillis par l’université.

De plus, il est indispensable que l’État débloque des moyens inédits pour chaque université, afin que chacune d’entre elles puisse devenir pleinement autonome. Alors que toutes ne disposent pas des mêmes atouts, il s’agit de rétablir une équité entre elles, non pas en retranchant des moyens financiers et humains à celles qui sont les plus avancées, mais, au contraire, en portant les moyens des plus modestes au niveau des établissements universitaires d’excellence. Ce n’est qu’à ce prix que l’autonomie des universités pourra s’affirmer.

Il importe de réaffirmer que, plus que jamais, l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche est une dépense d’avenir. Alors que la crise s’amplifie, il est pressant d’investir dans le futur en améliorant le système éducatif, de la maternelle à l’université. C’est un devoir que nous avons envers nos enfants et nos jeunes. Il est à noter que ce discours est aujourd’hui partagé par quelques chefs d’entreprise éclairés, tel l’ancien président du groupe Intel.

Pour reprendre les slogans entendus dans les amphithéâtres ces dernières semaines, que mon collègue David Assouline vient de rappeler, « l’université n’est pas une entreprise » et « le savoir n’est pas une marchandise ». Il est grand temps de réinscrire l’enseignement supérieur, la recherche, l’éducation et la culture au cœur d’un projet de société humaniste donnant corps aux valeurs de la République. En ce sens, il est nécessaire de revoir l’ensemble des projets en cours et de substituer à la loi LRU une authentique réforme encourageant la créativité ainsi que l’audace des enseignants-chercheurs, et assurant une réelle égalité des chances à tous les étudiants.

Madame la ministre, il vous appartient désormais de sortir de cette crise par le haut. Nous vous exhortons à répondre à l’appel de la Coordination nationale des universités, qui demande instamment l’ouverture d’États généraux de l’enseignement supérieur et de la recherche associant l’ensemble des organisations syndicales et associatives. Le Gouvernement ne peut continuer à mettre en œuvre des projets auxquels la communauté scientifique est opposée.

Il y a urgence à restaurer la confiance, à engager un véritable dialogue avec l’ensemble des personnels des universités et des organismes de recherche et avec les étudiants. Car, loin d’être les tenants de l’immobilisme, ils sont porteurs de propositions concrètes à même de donner un nouveau souffle à l’université et à la recherche françaises.

Je vous le dis très solennellement, ne manquez pas cette occasion ; ne méprisez pas cette main tendue !

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