Les questions orales
Lutte contre les addictions
Par François Autain / 11 juin 2008Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au lieu du mot : « addictions », j’aurais préféré que soit employé le beau terme : « assuétudes », ...
M. Nicolas About. Pourquoi pas ?
M. François Autain. ... qui a la même signification mais présente l’avantage d’appartenir depuis longtemps à la langue française. Malheureusement, ce terme, comme beaucoup d’autres, a perdu la bataille, et nous devons donc nous aligner sur le vocabulaire anglo-saxon.
M. Nicolas About. Le terme « addictions » a été mis aux voix et adopté !
M. François Autain. Les addictions, quelles que soient leurs formes, constituent un problème majeur de santé publique auquel sont confrontés tous les pays occidentaux. Nos sociétés modernes sont très « addictogènes », si je puis me permettre ce néologisme.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Vous aggravez votre cas, monsieur Autain ! (Sourires.)
M. François Autain. Une liste exhaustive des addictions serait d’ailleurs impossible à établir, et ce d’autant plus, comme l’a très bien dit M. Nicolas About, que de nouvelles addictions apparaissent périodiquement sans faire disparaître les anciennes.
Parmi ces addictions, l’une des plus importantes et des plus inquiétantes est la cyberdépendance, qui englobe toutes les addictions comportementales véhiculées par Internet. Je n’insisterai pas, car M. About a bien posé le problème tout à l’heure. Le massacre survenu récemment au Japon, s’ajoutant à ce qui s’est passé aux États-Unis et en Finlande, ainsi que les suicides collectifs de jeunes cybernautes au Pays de Galles, témoignent de la gravité de ce phénomène et de l’urgence de sa prise en compte par les pouvoirs publics.
Je ne suis pas certain que le plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention des addictions, présenté en novembre 2006 dans le cadre des états généraux de la prévention par votre prédécesseur, madame la ministre, et qui a pour but de renforcer les consultations spécialisées de soins et d’accompagnement des patients, ait pris la mesure de ce phénomène nouveau. C’est pourquoi je salue l’initiative de M. About, qui nous donne fort opportunément l’occasion de faire le point sur la mise en œuvre de ce plan.
Mais avant d’en arriver là, je souhaiterais faire quelques remarques préalables.
Le traitement des addictions doit avoir pour objectif de sortir de leur dépendance les personnes qui y sont assujetties en leur permettant d’accéder à la pleine maîtrise d’elles-mêmes. À cet égard, la prescription de substituts médicamenteux ne saurait être satisfaisante à long terme puisqu’elle tend à remplacer une addiction par une autre. Même si celle-ci est légale et médicalisée, elle n’en constitue pas moins une addiction guère différente de celle à laquelle on voulait mettre un terme.
L’exemple de la méthadone, dont on mesure aujourd’hui les limites, vient immédiatement à l’esprit. Mais je souhaite insister sur le cas d’un autre médicament, la varénicline, plus connue sous le nom commercial de Champix. Il s’agit d’un dérivé nicotinique utilisé pour favoriser le sevrage tabagique, mis sur le marché sans qu’aient été effectués de tests préalables sur les personnes âgées de moins de dix-huit ans, les femmes enceintes et les patients atteints de maladies cardiovasculaires. Avec le recul, on s’aperçoit que ce médicament n’est pas dénué d’effets indésirables graves, qui s’amplifient en cas d’association avec la nicotine, c’est-à-dire si l’on continue à fumer. De ce fait, il apparaît que le Champix est plus dangereux que la nicotine à laquelle on le substitue. Dans ces conditions, si l’on doit prescrire un médicament pour cesser de fumer, autant préférer la nicotine, mieux évaluée et disponible dans de multiples présentations et dosages. La place des médicaments dans le sevrage tabagique reste d’ailleurs marginale, l’essentiel reposant sur la motivation du fumeur et le soutien psychologique dont il bénéficie. (M. Nicolas About acquiesce.)
J’aurais également pu évoquer le cas du rimonabant, un médicament destiné à lutter contre la boulimie, maladie qui peut-être considérée comme une addiction alimentaire susceptible de provoquer l’obésité.
La dépendance à certains médicaments, comme les somnifères, les antidépresseurs ou les anxiolytiques, est un phénomène très répandu, reconnu par tous les experts. Il touche notamment les personnes âgées, lesquelles sont soumises à des prescriptions massives en raison souvent des polypathologies dont elles souffrent, mais aussi de pratiques abusives des prescripteurs. Sur ce point, toutes les études démontrent que la brièveté de la consultation du médecin généraliste, qui découle souvent de la multiplication des actes à laquelle il peut être conduit pour compenser une rémunération insuffisante, accroît les prescriptions. Autrement dit, la quantité de médicaments prescrits est inversement proportionnelle à la durée de la consultation.
Dans notre pays, les prescriptions représentent aujourd’hui quatre fois le montant des honoraires d’un généraliste, principal prescripteur de psychotropes, on le sait. Une mesure simple à mettre en œuvre pour contribuer - je ne dis bien sûr pas que ce serait suffisant - à la lutte contre les addictions à ces substances médicamenteuses serait d’augmenter la rémunération du généraliste à un niveau comparable à celle d’un spécialiste. Elle serait d’un coût à terme nul pour l’assurance maladie, puisqu’elle aurait pour effet, par l’allongement de la durée de la consultation, de diminuer les prescriptions et d’opérer un simple transfert de charges des prescriptions vers les honoraires.
M. Nicolas About. Chiche !
M. François Autain. Cette mesure, pour être réellement efficace, devrait s’accompagner de campagnes d’information auprès du public et des médecins, comme cela a déjà été le cas à titre expérimental dans le Nord-Pas-de-Calais avec des résultats encourageants.
Venons-en à présent à la mise en œuvre du plan 2007-2011de prise en charge et de prévention des addictions. Je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions à son sujet, madame la ministre.
Dans le cadre de ce plan, la Haute autorité de santé a rédigé plusieurs recommandations à destination des professionnels et des institutions. Ces recommandations, rendues publiques en mai 2007, préconisaient notamment « d’inciter chaque établissement de santé, public ou privé, à s’organiser pour effectuer des sevrages thérapeutiques [...] en particulier dans le cadre d’unités de soins addictologiques ». Cette recommandation a-t-elle été suivie ?
Des équipes de liaison ou de consultations en addictologie ont-elles été mises sur pied dès 2007 dans tous les hôpitaux, comme cela avait été promis ?
À ce propos, j’ai appris que la décision pourrait être prise par les directions des hôpitaux et les agences régionales de l’hospitalisation, les ARH, de diminuer de moitié l’enveloppe de crédits destinée à ces équipes hospitalières de liaison pour l’année 2008. Pouvez-vous me le confirmer ? Cela ne risque-t-il pas de nuire à leur bon fonctionnement ?
Le plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention des addictions prévoit la création de cinq pôles d’addictologie en 2007, ainsi que celle de quatre centres de soins d’accompagnement et de prévention. Cela a-t-il été fait ?
En outre, la commission compétente de la Haute autorité de santé a rappelé la nécessité de renforcer les formations initiale et continue des professionnels dans la prise en charge des addictions. Ces formations devraient s’inscrire dans le cadre de l’adaptation du contenu des enseignements universitaires, comme le préconise le plan Addictions 2007-2011. Madame la ministre, comment comptez-vous mettre en œuvre cette mesure ?
Je remarque enfin que la part nouvelle accordée à la prévention dans le plan Addictions 2007-2011 reste faible. Elle consiste, pour l’essentiel, en des actions publicitaires. J’attire votre attention, madame la ministre, sur la nécessité de mettre en œuvre une véritable politique d’éducation pour la santé de terrain.
J’espère également que vous prendrez en considération, dans la réforme des agences régionales de santé que vous comptez mener, la spécificité des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA. Ceux-ci, pour fonctionner correctement, doivent rester à taille humaine afin de permettre un accompagnement de proximité. Il ne doit pas être question de les faire disparaître dans de grandes structures impersonnelles qui saperaient leur efficacité.
De manière générale, il ne faut négliger ni l’importance ni la spécificité du secteur médico-social en termes de lutte contre les addictions. C’est lui qui est présent sur le terrain. C’est lui qui se tient aux postes de consultation avancés, y compris dans les déserts médicaux.
Avant de conclure, il me semble nécessaire d’évoquer, madame la ministre, un fait d’actualité récent, qui amène à s’interroger sur la cohérence de la politique gouvernementale en matière de protection de la santé de nos concitoyens. II s’agit de l’autorisation de mise sur le marché accordée à la boisson Red Bull par la ministre de l’économie et des finances.
Pendant treize ans, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, s’était opposée à la distribution en France de cette boisson, composée notamment de caféine à forte dose, de taurine et d’une substance sécrétée naturellement par le foie, la glucuronolactone.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est le Guronsan !
M. François Autain. Je sais, madame la ministre, que vous êtes parfaitement au courant des effets indésirables soulignés par l’AFSSA, effets qui plaident en faveur du maintien de son interdiction : neurotoxicité, effets sur le système cardiovasculaire, troubles neuropsychiques.
Dans un courrier adressé au Premier ministre au mois d’août 2007, courrier qui a été divulgué par la presse, vous évoquiez à juste titre « un faisceau d’indices en faveur de l’existence d’un risque, notamment des suspicions de décès ». Cela reste encore aujourd’hui tout à fait justifié. Deux études récentes démontrent, de surcroît, que la boisson Red Bull n’est pas sans lien avec la dépendance à l’alcool, et ce en particulier chez les jeunes.
Madame la ministre, vous avez souligné le 22 mai dernier que « l’alcool est la première addiction chez les jeunes » tout en constatant, pour le déplorer, « un changement des conduites d’alcoolisation des jeunes, avec des phénomènes d’alcoolisation massive, brutale ».
Avec l’arrivée sur le marché français du Red Bull, puis certainement bientôt de ses concurrents, nous sommes au cœur de ce problème. La première étude que j’évoquais à l’instant démontre que, dans les pays où le Red Bull ou d’autres boissons du même type sont commercialisés, leur « consommation associée à l’alcool est importante », ce type de boisson ayant pour effet de « diminuer la perception, mais pas la réalité de l’intoxication alcoolique ».
La seconde étude, menée en Caroline du Nord et publiée le mois dernier, prouve que les jeunes consommateurs de produits énergisants type Red Bull présentent au moins deux fois plus de risques de développer une dépendance à l’alcool nécessitant le recours à des cures de désintoxication que ceux qui en sont préservés. J’ai appris par la presse que la commercialisation du Red Bull pourrait être assortie d’un suivi réalisé par l’Institut de veille sanitaire, l’INVS.
Je ne vois pas en quoi cette décision permet la protection des adolescents et des jeunes adultes des risques qu’ils encourent. En négligeant le principe de précaution pourtant inscrit dans la Constitution, le Gouvernement prend là, madame la ministre, une très lourde responsabilité.
Cet exemple tendrait à prouver que le Gouvernement est prêt à sacrifier la lutte contre certaines addictions, en l’occurrence l’alcool, lorsque certains intérêts économiques sont en jeu. Ce n’est peut-être pas nouveau, me répondrez-vous, mais il y avait là l’occasion de conduire une politique de rupture avec le passé que vous ne semblez malheureusement pas vouloir saisir.