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Les questions orales

L’ensemble des questions orales posées par votre sénatrice ou votre sénateur. Au Sénat, une question orale peut, suivant les cas, être suivie d’un débat. Dans ce cas, chaque groupe politique intervient au cours de la discussion.

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Mesures européennes de lutte contre le terrorisme

Par / 22 mars 2005

Par Robert Bret

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York et ceux du 11 mars 2004 à Madrid, la lutte contre le terrorisme a connu une accélération vertigineuse en Europe.
Bien sûr, il faut lutter contre la violence aveugle, contre le terrorisme, et notre détermination sur ce point ne peut faire de doute.
Mais la question qui se pose en arrière-plan est celle de notre conception de la société, de notre vision du monde, monsieur le ministre.

C’est que les nombreuses mesures et décisions qui ont été prises à la suite de ces évènements tragiques ont eu de graves conséquences en matière de droits de l’homme.

Nous souhaitons, aujourd’hui, monsieur le ministre, mes chers collègues, attirer votre attention sur la nécessaire prise en considération des droits fondamentaux dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme. En effet, nous estimons, comme la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, la FIDH, et d’autres organisations internationales - je pense à un rapport récent de l’ONU en date du 20 mars - qu’une politique efficace en la matière ne peut se passer du respect des exigences de l’Etat de droit, l’enjeu pour nos démocraties étant de se battre pour le respect de la loi dans le respect de la loi.

Dans le cadre de l’Union européenne, le 21 septembre 2001, a été adopté un plan d’action en matière de terrorisme. Les objectifs prioritaires qui ont été fixés ont notamment pour objet de remplacer l’extradition par une procédure de remise des auteurs d’attentats terroristes fondée sur un mandat d’arrêt européen ou encore de donner une définition commune du terrorisme.

L’adoption d’une définition commune de l’acte terroriste, le 13 juin 2002, dans la décision-cadre du Conseil « relative à la lutte contre le terrorisme » avait pour but d’établir une définition des infractions terroristes commune aux Etats membres de l’Union européenne ainsi que des règles juridictionnelles communes « pour garantir que l’infraction terroriste peut faire l’objet de poursuites efficaces ».

Notons que certains des termes employés renvoient à des concepts flous, vagues et incertains. Les formules du style de celles qui renvoient à la « nature », ou au « contexte » des actes ou au but recherché de « gravement déstabiliser les structures fondamentales politiques [...] économiques ou sociales » sont peu précises et leur ambiguïté conduit à diverses interprétations. Autant de dispositions qui ouvrent la voie à des abus de droit ou, du moins, à certaines dérives.
Cette rédaction, monsieur le ministre, s’oppose au principe de la légalité des délits selon lequel les définitions des infractions et des incriminations pénales doivent être précises et dépourvues de toute équivoque ou ambiguïté.
Par ailleurs, permettez-moi de rappeler que le flou qui caractérise l’appellation « terrorisme » a conduit, dans le passé, à des amalgames intolérables. Les mouvements de résistance anti-coloniaux, comme le FLN algérien, était alors qualifiés de mouvements terroristes. Ces dérives sont inacceptables, elles doivent être condamnées et faire l’objet d’une extrême vigilance.

Concernant le mandat d’arrêt européen, le 13 juin 2002, le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision-cadre qui, parce qu’elle était contraire à certains de nos principes fondamentaux, a nécessité, préalablement à sa transposition, une révision constitutionnelle, ce qui nous a valu de nous réunir en congrès à Versailles.
Relevons que le mandat d’arrêt européen, toujours présenté comme une avancée, soulève de nombreux problèmes, notamment au regard de l’actualité la plus récente.

En premier lieu, pour les infractions prévues dans le texte, l’application des conventions en matière d’extradition est supprimée entre les Etats membres de l’Union européenne.

En deuxième lieu, et en conséquence « le contrôle politique qui accompagne la procédure d’extradition » est ignoré. Le mandat d’arrêt européen est donc une procédure exclusivement judiciaire, qui supprime la phase administrative et politique, ainsi que le contrôle exercé par les juridictions administratives.

En troisième lieu, il est fait dérogation au principe de la double incrimination pour toute une série d’infractions. Cela ne va pas sans poser de problèmes, car le principe de la double incrimination est directement lié au principe de légalité des délits et trouve son fondement, notamment, dans la protection des droits de l’homme.

Enfin, la décision-cadre garde le silence sur le droit d’appel dont dispose une personne frappée par un mandat d’arrêt européen, ce qui est regrettable du point de vue du droit au recours.
Nous ne pouvons que dénoncer le fait que cette procédure, plus rapide qu’une procédure traditionnelle d’extradition, soit l’occasion d’abus de pouvoir à l’encontre de la personne poursuivie.

Nous estimons, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il est plus que jamais nécessaire que la construction d’une Europe judiciaire ne se réalise pas dans la négation des libertés et des droits de la défense. Au contraire, les deux sont étroitement liés, l’Europe judiciaire doit se réaliser dans l’Etat de droit européen.
Les atrocités commises à Madrid le 11 mars 2004 ont suscité un plan d’action révisé de l’Union européenne, qui tente d’améliorer principalement la coopération entre les Etats membres et leurs services de police.

Dans ce cadre, les Etats membres ont nommé un coordonnateur européen de la lutte contre le terrorisme, afin de renforcer la cohérence de l’action de l’Union.
Si nous estimons que le bon fonctionnement de la coopération en matière de lutte antiterroriste est indispensable, on peut toutefois s’interroger, monsieur le ministre, sur la nécessité de multiplier les instances pour y parvenir. A cet égard, on peut douter de l’efficacité du rôle du coordonnateur européen de la lutte contre le terrorisme et regretter que son mandat ne soit pas précisément défini.

En matière de coordination de l’activité opérationnelle des Etats membres, l’Union dispose de plusieurs outils, ainsi que M. Haenel l’a rappelé : l’Office européen de police, Europol, l’unité de coopération judiciaire, Eurojust, les équipes communes d’enquête et, à compter du 1er mai 2005, l’Agence européenne pour la gestion des frontières extérieures.

L’efficacité de ces outils devrait, selon nous, à tout le moins être améliorée eu égard au coût qu’ils représentent. Ces outils devraient aussi être soumis à des procédures de contrôle démocratique. Surtout, il convient d’intensifier les échanges d’informations entre les services compétents des Etats membres, en créant un cadre juridique adéquat et en renforçant la confiance mutuelle.

Les attentats de Madrid ont également encouragé, à l’échelle européenne, une refonte du système actuel de protection des données à caractère personnel.
En effet, la déclaration sur la lutte contre le terrorisme évoque une interopérabilité et la création de synergies entre les diverses banques de données créées dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Cette proposition supposerait une modification du système actuel de protection des données à caractère personnel, notamment au regard du principe de finalité, qui interdit l’utilisation à des fins répressives de données recueillies à des fins différentes.
Nous considérons que la mise en oeuvre d’une interopérabilité ne permet pas de dégager un équilibre entre la lutte contre le terrorisme et la protection des droits fondamentaux, monsieur le ministre.

Les ministres de l’intérieur du G5 - Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni et Italie - ont annoncé, le 15 mars dernier, à l’issue de deux jours de réunion, leur choix de multiplier les listes de djihadistes et les fichiers. Le but affiché est de concilier le besoin d’échanger des informations avec le respect de la confidentialité des enquêtes et la protection de la vie privée.
Malheureusement, forts d’une certaine expérience, nous ne pouvons être que des plus circonspects face à ces nouvelles décisions.
Permettez-moi de citer, à cet égard, un exemple significatif des dysfonctionnements du fichier européen des personnes recherchées.
Au fil des années, le nombre de personnes faisant l’objet d’une inscription augmente et la gestion du fichier se complexifie. Les erreurs et les homonymies y sont nombreuses. Il n’est pas rare, à cet égard, que des personnes découvrent que leur nom y figure à l’occasion de démarches individuelles diverses.
C’est ce qui est arrivé à des citoyens d’origine italienne vivant en toute régularité dans notre pays depuis plusieurs années. Le consulat d’Italie en France a, dans un premier temps, refusé le renouvellement de leur passeport. Après vérification, devant l’absence de poursuites judiciaires et policières les concernant, il leur a ensuite accordé ce renouvellement. Cependant, leur inscription au fichier des personnes disparues pourrait être maintenue.
Cette situation constitue une atteinte aux libertés individuelles.

De manière générale, à l’heure où le G5 choisit de multiplier les listes et les fichiers communs, quelles dispositions le Gouvernement compte-t-il prendre pour garantir l’exactitude des inscriptions et pour que celles qui sont injustifiées fassent l’objet d’un relèvement ?
Mes chers collègues, nous devons nous interroger sur l’Europe que nous souhaitons construire. Est-ce une Europe du « tout sécuritaire », renforçant sans cesse son arsenal répressif, ou une Europe dans laquelle les principes de l’Etat de droit priment ? Pour notre part, nous faisons le second choix.

Il nous faut tirer les conséquences de la situation outre-Atlantique. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les libertés civiles y ont été limitées et les garanties contre les atteintes aux droits fondamentaux considérablement réduites.

Les mesures prises par l’exécutif américain aboutissent à la mise en place d’un état d’exception permanent, qui devient la règle. Dans ce système, qui fait de la lutte contre le terrorisme une croisade du bien contre le mal, les règles du droit international et les droits fondamentaux se trouvent inéluctablement bafoués.

Le résultat est catastrophique : la paix n’est au rendez-vous ni en Irak, où les résistances persistent, ni en Afghanistan, où les talibans sont de retour. Ces situations déplorables rendent d’autant plus absurde le sort des personnes capturées lors de la guerre contre les talibans en 2001 et parquées dans le bagne de Guantanamo, au mépris des droits de l’homme, et même des lois des Etats-Unis.
En France, la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, dite « loi Sarkozy », et la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « loi Perben II », témoignent de l’amalgame et des dérapages que peut engendrer la mise en place de mesures antiterroristes. La stigmatisation de la religion et de la culture comme cause du terrorisme doit être impérativement condamnée.

Le groupe communiste républicain et citoyen s’élève contre les dérives inscrites dans ces lois, qui présentent nos banlieues comme les repaires de terroristes en puissance.
Lors des discussions au sein de cet hémicycle, le groupe communiste républicain et citoyen avait demandé que le caractère provisoire de ces mesures soit clairement affirmé et que leur application soit placée sous le contrôle sourcilleux du Parlement. Nous n’avions malheureusement pas été entendus. Nous le regrettons toujours aujourd’hui.
Monsieur le ministre, l’utilisation à tout va du concept de terrorisme pour justifier le durcissement de l’arsenal répressif n’est pas la solution, ni en France ni en Europe.
La place du droit dans la réponse au terrorisme doit être prééminente. Les récentes décisions prises par les plus hautes juridictions des Etats-Unis et de Grande-Bretagne viennent conforter ce choix.

On sait en effet qu’en novembre 2003, de façon inattendue, la Cour suprême des Etats-Unis a accepté de se reconnaître compétente pour apprécier la légalité de la détention d’étrangers sur la base de Guantanamo.
De son côté, par une décision du 16 décembre 2004, la Chambre des Lords, en Grande-Bretagne, a ordonné un assouplissement de la loi antiterroriste, jugeant illégal le dispositif répressif mis en place dans ce pays, qualifié par Amnesty International de « Guantanamo britannique » ! Cette réaffirmation du droit va dans le sens du choix des armes de la démocratie pour lutter contre le terrorisme.
Les Européens savent que la lutte contre le terrorisme ne sera ni facilement ni rapidement gagnée.

Ne perdons pas de vue également que la réponse au terrorisme dépend, à long terme, de la réponse aux insupportables déséquilibres sociaux, économiques et politiques qui enfoncent les quatre cinquièmes de l’humanité dans la pauvreté.
Dans un récent rapport, l’Organisation des Nations unies rappelle que huit objectifs de développement avaient été définis en 2000 précisément pour renforcer la sécurité en luttant contre la pauvreté, objectifs qui doivent être atteints en 2015. Au moment du bilan, nous serons loin du compte !

Nous devons donc nous battre en même temps contre le terrorisme et pour la stabilité régionale, la démocratie réelle, non imposée, et l’Etat de droit.
Mener la lutte contre le terrorisme en dehors du cadre du droit international, au mépris des droits de l’homme et au détriment des principes de l’Etat de droit, outre les graves conséquences que cela engendrerait, aboutirait à un résultat contraire à l’objectif fixé.

Dans notre lutte contre le terrorisme, la vigilance doit être de règle, qu’il s’agisse du traitement réservé aux minorités, ici, dans les pays occidentaux, qu’il s’agisse des droits des migrants et des demandeurs d’asile ou de la présomption d’innocence, afin que des groupes entiers de nos sociétés ne se trouvent pas stigmatisés et punis à cause du comportement répréhensible de quelques-uns.

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