Les questions orales
Politique ferroviaire
Par Marie-France Beaufils / 24 octobre 2002par Marie-France Beaufils
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le ministre, comme les orateurs qui m’ont précédée, je pense que nous traitons ce matin d’un sujet important en termes d’aménagement du territoire.
L’accroissement des déplacements de personnes et de marchandises se poursuit. La route est devenue le mode majoritaire, avec 88 % des déplacements de voyageurs et 85 % du transport des marchandises en Europe. En même temps, l’actualité nous rappelle cruellement et quotidiennement que nos routes sont meurtrières.
Le réseau routier et autoroutier, pratiquement saturé, engendre des pollutions importantes. Je rappellerai qu’avec un kilogramme équivalent-pétrole, on peut transporter une tonne de marchandises sur 50 kilomètres par la route, sur 130 kilomètres par le chemin de fer ou sur 275 kilomètres par les canaux.
Les accords de Kyoto ainsi que l’engagement pris par notre pays exigent que nous tenions compte de cette donnée.
Notre pays possède un maillage ferroviaire très complet mais sous-utilisé ; il doit être modernisé. La libération de sillons sur certaines lignes traditionnelles en raison de la création des lignes TGV peut permettre d’améliorer le réseau pour le fret.
Le fret ferroviaire est en effet en fort déclin. Sa part du marché est tombée de 57,60 % en 1960 à 22,5 % aujourd’hui, et la tendance est la même dans l’ensemble de l’Europe.
Le déséquilibre est aujourd’hui flagrant ; il devient socialement, financièrement et écologiquement insuportable.
Pour rééquilibrer le rail par rapport à la route, des investissements lourds sont indispensables. Ils ont été amorcés par le précédent gouvernement, sous la responsabilité de Jean-Claude Gayssot, ministre des transports, et je dirai, après notre collègue Daniel Reiner, que nous pouvons être fiers du travail accompli en quelques années.
Cependant, l’objectif de doublement du trafic en dix ans ne ferait que figer la part du ferroviaire dans le transport des marchandises. Le développement du tout-routier implique en fait une fuite en avant, et une telle solution ne peut être retenue sans risque pour l’activité routière elle-même.
Le ferroviaire participe au développement durable.
L’essor des transports est souvent synonyme de nuisances. Les avantages qu’offre le rail sont bien connus : faible utilisation de l’espace, grande sécurité, efficacité énergétique, utilisation de l’électricité, énergie qui ne pollue pas. Le défi lancé aujourd’hui, c’est l’inscription dans une logique d’intermodalité, tant pour les voyageurs que pour le fret.
L’utilisation optimale des lignes est une nécessité parce que les infrastructures coûtent cher et qu’il faut penser aux réalisations nouvelles, indispensables sur les axes les plus chargés. Il s’agit aussi de contourner des noeuds importants. Dès son article 1er, la loi du 13 février 1997 a placé les missions du transport ferroviaire « dans une optique de développement durable ».
Les citoyens sont excédés par les nuisances des camions. En Suisse, ils ont été capables d’imposer l’utilisation du ferroutage. De plus en plus, les transporteurs sont aujourd’hui convaincus que le tout-routier n’est pas la solution.
Les professionnels de la route le reconnaissent, pour que l’intermodalité fonctionne, il faut que le chemin de fer bénéficie d’investissements lourds, lui permettant d’entrer en cohérence avec la route.
La régionalisation, notamment avec les TER, est une approche intéressante. Elle a permis de répondre aux besoins des populations, de mobiliser fortement les élus locaux, d’éviter des fermetures de lignes, de revitaliser certains territoires, et de préserver l’activité de certaines PME qui ont besoin de logistique et de fret. La régionalisation est un contrepoids aux effets pervers de la libération européenne.
Aujourd’hui, qu’en est-il des opérations inscrites dans les contrats de plan Etat-région ? Les études étant longues, la consommation des crédits est lente. Sous ce prétexte, des crédits sont actuellement en suspens, gelés pour cause d’audit. Seront-ils réservés au chemin de fer ou transférés vers la route, comme certaines voix le demandent dans les discussions concernant la révision des contrats de plan ? Cela ne ferait que creuser le fossé !
On l’a vu en Grande-Bretagne : privé d’investissement public, le service public ferroviaire perd en qualité. Les exigences de la Commission de Bruxelles ne doivent pas nous empêcher de tirer les leçons de l’expérience de nos voisins, de manière que la spécificité française conserve toute sa pertinence.
Comme le disait M. Gérard Larcher, dans un article de La Tribune, « les investissements structurants sont gage de croissance et d’emplois ».
Aussi, monsieur le ministre, je souhaite que le Gouvernement maintienne les crédits ouverts les années précédentes et renforce les moyens mis à la disposition du chemin de fer et des transports collectifs.
Cela suppose, parallèlement, que le désendettement de RFF se poursuive dans de bonnes conditions. Or, selon certains articles de presse, vous ne seriez pas en mesure d’assurer les engagements pris parce qu’ils seraient gagés par les privatisations. J’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez également des éclaircissements sur ce sujet.
Les projets doivent être maintenus et développés. La ligne TGV Aquitaine doit se concrétiser : il y va de l’avenir des régions qu’elle traverse ; cette ligne libérerait des sillons pour le fret ferroviaire et éviterait d’autres investissements lourds sur l’autoroute A 10.
Les financements prévus pour le projet de ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, sur laquelle la SNCF envisage de faire circuler les premiers trains à technologie pendulaire seront-ils confirmés ?
Le Gouvernement ne semble pas défendre à Bruxelles la traversée centrale des Pyrénées, alors que la commission et le Parlement européens y sont favorables.
La ligne Lyon-Turin serait, elle aussi, une excellente réponse aux demandes des populations des régions concernées, qui aimeraient que leurs territoires soient moins pollués par une circulation de transit difficilement supportable.
Monsieur le ministre, nous savons que les questions financières sont au coeur des interrogations de l’audit que vous avez commandé. Mais nous souhaiterions aussi qu’en ce début de législature vous preniez le temps d’examiner l’étude très instructive réalisée par le Conseil supérieur du service public ferroviaire sur les conséquences de la privatisation des transports ferrés anglais : elle confirme que, si nous voulons une réforme de qualité pour assurer le déplacement des populations et le transport des marchandises, il faut garder une unité d’organisation de ces déplacements pour assurer une cohérence nationale.
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, il faut donner à l’outil ferroviaire les moyens financiers nécessaires pour répondre aux besoins des populations. Cela suppose une forte implication du budget de l’Etat, mais aussi du budget européen, aux côtés des collectivités territoriales compétentes, les régions.
Ainsi, l’Europe et notre pays permettraient à notre monde d’être plus soucieux de son environnement ainsi que des femmes et des hommes qui y vivent.