Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les rapports

Enseigner est devenu une « souffrance ordinaire »

Rapport de la mission d’information sur le métier d’enseignant -

Par / 20 juin 2012

Présentation à la presse du rapport de la mission d’information sur le métier d’enseignant.

A/ Le constat de la mission : une « crise du métier » et une « souffrance ordinaire » des enseignants.

Les nombreuses auditions réalisées dans le cadre de la mission d’information sur le métier d’enseignant nous amènent à un constat : celui d’une crise du métier et ce que nombre de nos interlocuteurs ont qualifié de « souffrance ordinaire » des enseignants. Le terme de « travail empêché » est employé.

Les enseignants sont soumis, en permanence, à des injonctions contradictoires qui les empêchent de mener à bien leurs missions, de ne pas réussir à incarner leur représentation idéale de ce que doit être un « bon enseignant ».

Malgré la souffrance dépeinte, bien réelle, les enseignants mobilisent leur énergie, au quotidien pour tenter d’amortir les conséquences des réformes sur la scolarité de leurs élèves. On peut même parler de « créativité quotidienne ». Ce rapport salue leur engagement et leur dévouement.

B/ Quelles sont les causes de cette crise du métier ?

Elles sont à chercher en partie du côté de la RGPP qui a systématiquement placé les
impératifs financiers devant l’ambition pédagogique.
Mais aussi de la succession rapide des réformes aboutissant à une prolifération des
missions imparties à l’école et à un déplacement du cœur de métier.
Enfin, de l’aveu général, la mastérisation est un échec qui a fragilisé dangereusement la
formation des enseignants :

- synonyme de profondes disparités d’application, qui ont remis en cause le
principe d’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire ;

- synonyme d’un considérable affaiblissement à la préparation à l’entrée au métier ;

- synonyme d’un assèchement grave du vivier de recrutement.

Un mot sur ce dernier point. Nous vivons actuellement une crise du recrutement considérable, qui risque de s’amplifier et ne peut être ignorée. Cette situation exige donc un état des lieux précis et circonstancié avant d’engager toute réforme.
Nous avons tenté d’ailleurs, à l’occasion de cette mission, d’obtenir de la DGRH, un état des lieux précis notamment en terme de départ en retraite d’enseignants, par cycle et par discipline à 5 10 et 15 ans ; sur les besoins futurs de recrutements à la fois en terme
quantitatifs (par degrés, cycles et par disciplines) et qualitatifs. Nous ne l’avons pas obtenu.

Le rapport comporte néanmoins quelques éléments chiffrés et aussi un développement du cas dramatique des PLP. Ce constat-là a été possible grâce notamment à nos interlocuteurs de terrain et au travail mené depuis 5 ans en ma qualité de rapporteur budgétaire pour avis sur l’enseignement professionnel.
Le diagnostic est urgent, et j’en appelle solennellement au nouveau ministre de l’éducation nationale.

C/ Que pouvons-nous faire pour redresser la situation ?

1/ Redonner sens à l’école.

Pour soigner le métier d’enseignant, il faut avant tout soigner l’école. C’est ma conviction. L’erreur centrale des réformes récentes est d’avoir brouillé le sens de l’école pour les élèves, les parents et les enseignants. L’idée même d’une éducation nationale garantie à tous s’est affaiblie avec la multiplication des expérimentations non évaluées, les disparités des politiques académiques et l’accroissement de la pression évaluative sur les enfants et sur les personnels.
Redonner sens à l’école cela signifie :

- Refonder les missions de service public d’éducation.

Il faut redonner un cap clair au service public de l’éducation. Un mot suffit pour le définir : l’émancipation. Il faut recentrer clairement l’école sur l’objectif de démocratisation d’accès au savoir, à l’ouverture et à la compréhension de l’autre.
Certaines réformes du précédent gouvernement étaient destinées à réserver des dispositifs comme les internats d’excellence aux « élèves méritants ».

Parallèlement, on a stimulé le préapprentissage et miné le collège unique – au lieu de le déployer pleinement - tandis que les biais sociaux et sexués dans l’orientation perduraient. C’est là un dévoiement de la logique méritocratique qui finit par justifier les inégalités scolaires, en faisant de l’échec scolaire la sanction d’une supposée incapacité personnelle de l’élève, presque consubstantielle à sa nature.
Je souhaite qu’on cesse de privilégier systématiquement la fonction de sélection de l’école pour remettre en avant celle d’éducation de tous les enfants.

Le métier d’enseignant, le service public d’éducation, doivent donc être redéfinis pour répondre à cet objectif de démocratisation d’accès au savoir.
Redonner sens à l’école cela signifie aussi :

- Penser une école sur le modèle de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre.

Les pratiques didactiques et pédagogiques doivent s’appuyer sur la conviction de la capacité de tous les enfants à apprendre.

Le fondement du renouveau de l’école et du travail enseignant réside, selon moi, dans le principe du « tous capables ».
Il faut développer une autre vision des élèves et de leurs capacités, dénaturalisée, humaniste et ambitieuse, en adéquation avec la recherche en psychologie du développement, en sociologie et en sciences de l’éducation.

Une fois le sens de l’école précisé, la réforme exige d’autres préalables :

- Restaurer la confiance nécessaire à la refondation du métier d’enseignant
Et là des mesures urgentes sont indispensables.

Elles passent notamment :
- par l’arrêt de la RGPP et un premier collectif budgétaire adopté pendant l’été afin de suspendre les suppressions de poste prévues à la rentrée 2012 (14 000).

- par le lancement d’un plan de recrutement pluriannuel pour couvrir tous les départs en retraite et les évolutions démographiques des prochaines années. Et donc prendre en compte la crise de recrutement que j’ai précédemment évoquée.
Dans le cadre de ce plan je considère que l’école maternelle devrait bénéficier d’un effort particulier afin de permettre la préscolarisation dès deux ans de tous les enfants dont les familles le souhaitent, notamment en éducation prioritaire et en zone de revitalisation rurale.

De même, un volet spécial devrait être consacré à l’outre-mer afin de permettre notamment une pleine scolarisation en primaire dès six ans de tous les enfants.

3/ Comment refonder le métier d’enseignant ?

3.1/ Préparer une refonte de la mastérisation, mais une refonte partagée pour réussir.

De très nombreuses propositions de reconfiguration de la formation et du recrutement des enseignants ont déjà été émises (auteurs des différents rapports critiques de la mastérisation que par diverses organisations syndicales, associations disciplinaires et institutions) ; je n’ai pas souhaité en faire l’inventaire exhaustif mais je tiens à souligner que la nécessaire concertation qui précèdera toute remise à plat de la mastérisation pourra s’appuyer sur ces réflexions déjà très abouties, qui témoignent de la mobilisation et de la préoccupation de tous les acteurs.

3.2 /Oui, il faut remettre à plat la formation.

Et pour apporter ma pierre au débat, le rapport propose de retenir cinq grands axes, tout en précisant d’entrer, que s’il faut refonder la formation initiale il faut aussi s’attaquer à la formation continue tout au long de la vie.

1er axe : garantir un cadrage national fort pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires, améliorer leur coordination et ainsi assurer une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national.

2e axe : maintenir des structures spécifiques de formation des enseignants au sein des universités en renforçant leur autonomie financière et leurs liens avec la recherche.

3e axe : ouvrir des pré-recrutements dès la licence.

4e axe : assurer une professionnalisation progressive au cours du master et rétablir une véritable année de stage avant la titularisation.

5e axe : tenir compte de la diversité du métier d’enseignant, en veillant spécifiquement sur deux segments fragiles que sont la maternelle et le lycée professionnel. Pour la maternelle comme pour le primaire, la question du système d’affectation des enseignants a été soulevée.

3.3/ Il faut aussi favoriser l’émergence de collectifs enseignants hors des logiques hiérarchiques.

La solitude des enseignants a été fréquemment abordée au cours de nos travaux. Elle se traduit par un isolement individuel face à la classe, aux parents et à la hiérarchie, mais aussi par un émiettement du milieu enseignant où les dynamiques collectives sont bridées. C’est pourquoi, il semblerait nécessaire d’aménager des lieux et des temps où les enseignants pourront se rencontrer pour réfléchir entre eux sur leur métier, hors des injonctions et des prescriptions de l’institution.

L’expérience de collectifs d’enseignants, menée sous la houlette de l’équipe de clinique de l’activité du CNAM, offre des perspectives intéressantes. Elle pourrait être imitée et développée. Ces groupes de pairs se réunissent pour échanger sur leur travail sans aucun regard hiérarchique en surplomb. Ils ont en particulier le mérite de dépsychologiser les difficultés rencontrées par les participants dans leurs classes, car les problèmes individuels sont réinterprétés comme des problèmes généraux, liés à l’organisation du travail et non à la personne de l’enseignant lui-même. Cette démarche va notamment à rebours de la tendance à diffuser des guides de bonnes pratiques formatées et stéréotypées, qui vise la standardisation des pratiques enseignantes pour en faciliter le contrôle, sans amélioration de leur efficacité pédagogique.

3.4/ Enfin, il faut préparer les futures reformes avec les enseignants reconnus comme experts de leur métier.

Il faut aujourd’hui moins d’injonction verticale et moins de prescription, mais plus de soutien et plus de respect pour le travail des enseignants.
Il faut les associer à la préparation des futures réformes comme experts de leur métier au lieu de les considérer comme des obstacles à surmonter ou comme de simples objets dont il faudrait forcer l’évolution.

Un mot sur la question du statut de 1950. Il est souvent question de jeter les bases d’un nouveau statut des enseignants, en arguant de l’obsolescence du décret de 1950, pour l’adapter aux « évolutions » de la société. J’estime que ce chantier ne peut être amorcé qu’après avoir :

- redonné sens à l’école en la recentrant sur l’objectif de démocratisation ;

- conforté les moyens alloués à l’éducation ;

- et remis à plat la formation et le recrutement des enseignants.

Une fois ces fondations fermement posées et la confiance restaurée avec le monde enseignant, le débat sur l’adaptation du statut pourra s’ouvrir dans de bonnes conditions. Les organisations syndicales reçues par la mission ne s’y sont pas montrées hostiles et chacune a déjà commencé à prendre position.
Mais dans tous les cas, cette rénovation du statut des enseignants ne pourra être entreprise sans une transformation de la politique de gestion des ressources humaines du ministère.

Elle nécessite l’élaboration en parallèle d’un plan d’action ambitieux pour améliorer les conditions de travail, renforcer la médecine de prévention et protéger la santé des personnels. Un accompagnement spécifique des enseignants en fin de carrière devra également être mis en place rapidement.

De plus, tout aggiornamento du statut devra s’accompagner d’une revalorisation de la condition enseignante, tant symbolique que matérielle. Il devra aussi contribuer à rendre visible le travail « invisible » des enseignants.

Les dernieres interventions

Les rapports 500 000 euros pour quel résultat ?

Commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés - Par / 18 janvier 2022

Les rapports Pourquoi avons-nous souhaité la mise en place d’une telle commission d’enquête ?

Installation de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques - Par / 25 novembre 2021

Les rapports Le capitalisme des plateformes numériques  

Uberisation de la société - Par / 29 septembre 2021

Les rapports Rétablissons la souveraineté pharmaceutique et la démocratie sanitaire

Commission d’enquête sur la gestion publique de la crise sanitaire de la covid-19 - Par / 10 décembre 2020

Les rapports Le rôle incontournable des départements

Les départements dans les régions fusionnées - Par / 21 septembre 2020

Les rapports La renationalisation des autoroutes est parfaitement possible

Contribution du groupe CRCE aux conclusions de la commission d’enquête sur les concessions autoroutières - Par / 21 septembre 2020

Les rapports La différenciation territoriale est une menace pour l’unicité de la République

Contribution au rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation - Par / 2 juillet 2020

Les rapports Un accord inédit avec Cuba

Consolider et renforcer le dialogue politique - Par / 28 janvier 2019

Les rapports Voilà pourquoi nous ne voulons toujours pas de cette loi

Proposition de loi d’abrogation de la loi Travail - Par / 21 décembre 2016

Les rapports Nous réaffirmons notre opposition à cet accord

Accord UE-Turquie du 18 mars 2016 - Par / 26 octobre 2016

Les rapports Le revenu de base, une fausse bonne idée pour lutter contre la grande pauvreté et l’exclusion

Mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base - Par / 18 octobre 2016

Les rapports Il existe des alternatives aux politiques libérales pour lutter contre le chômage

Commission d’enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’UE - Par / 7 octobre 2016

Les rapports Les aires d’accueil des gens du voyage

Rapport d’information - Par / 19 octobre 2015

Les rapports Sortir du pathos est une nécessité si l’on veut combattre les idées nauséabondes

Commission d’enquête sur le service public de l’éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants - Par / 1er juillet 2015

Les rapports Les lacunes de notre dispositif de renseignement dans la lutte antiterroriste

Lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe - Par / 3 avril 2015

Administration