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Les rapports

La Hongrie et l’union européenne, quatre ans après la "révolution par les urnes"

Par / 5 mars 2014

Rapport d’information de M. Michel BILLOUT, fait au nom de la commission des affaires européennes
n° 406 (2013-2014) - 26 février 2014

La présentation du rapport en Commission par Michel Billout :

Les électeurs hongrois vont se déterminer le 6 avril prochain sur la « révolution par les urnes » entreprise par le gouvernement Orbán depuis quatre ans. Avec l’appui d’une majorité des deux tiers au Parlement, une nouvelle constitution et plus de huit cents lois ont en effet été adoptées depuis 2010. Elles ont suscité de nombreuses réserves de la part de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, tant certaines remettaient en cause les normes communément admises en matière de droits de l’Homme. L’impression d’un repli identitaire s’est également fait jour, peu en phase avec les valeurs de ces deux organisations.

Notre commission, par la voix de Bernard Piras, s’était émue en juillet 2012 de certaines des mesures adoptées par le gouvernement hongrois. Le rapport publié à l’époque s’inquiétait de leur inadéquation avec les engagements européens du pays. L’adoption d’un Quatrième amendement à la Constitution en mars 2013 avait confirmé les doutes de notre rapporteur sur la stratégie menée et la sincérité du discours officiellement pro-européen du Premier ministre hongrois. Notre commission avait invité le Parlement européen et le Conseil à envisager de mettre en oeuvre l’article 7 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui prévoit la suspension des pouvoirs d’un État membre au Conseil dès lors qu’il contrevient aux valeurs fondamentales défendues par l’Union européenne.

La menace d’un nouveau contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne a heureusement conduit le gouvernement à réviser sa position, avec le vote d’un Cinquième amendement à la Loi fondamentale en septembre 2013. Dans le même temps, les autorités hongroises ont su mettre en avant leurs résultats économiques : retour de la croissance, levée de la procédure pour déficit excessif, pour légitimer en partie la politique non orthodoxe qu’elles mènent dans ce domaine. Le contexte a par ailleurs changé : si la question hongroise était à l’agenda des institutions européennes jusqu’à la fin du premier semestre 2013, elle ne fait plus aujourd’hui figure de priorité. L’attention européenne est en effet tourné vers l’Ukraine, pays voisin de la Hongrie, ou l’achèvement de l’Union bancaire, dans une période marquée par la proximité des élections européennes.

C’est dans ce cadre que nous avions souhaité nous rendre avec Bernard Piras en Hongrie afin de constater sur place la réalité de ces avancées supposées. Malheureusement notre collègue n’a finalement pas pu se joindre à ce déplacement organisé au mois de décembre dernier.

Je veux tout d’abord évoquer le Cinquième amendement. Le texte adopté cet automne revient sur l’essentiel des dispositions contestées du Quatrième amendement. La modification constitutionnelle supprime la possibilité pour le président de l’Office judiciaire national de dépayser un dossier. Le gouvernement se voit, par ailleurs, privé de la possibilité de créer une taxe ad hoc destinée à financer d’éventuelles amendes délivrées par une cour de justice internationale. L’interdiction pour les partis politiques de faire campagne dans les médias commerciaux est, elle aussi, levée. Médias publics et privés devront désormais assurer cette campagne à titre gratuit. La révision constitutionnelle revient également sur le statut des communautés religieuses, désormais autorisées à se former librement, sans autorisation du Parlement. Un tribunal sera chargé de déterminer si une communauté religieuse peut accéder au statut d’Église et donc disposer des avantages fiscaux concomitants, qui sont très importants en Hongrie.

Conçu comme un message d’apaisement à l’égard des Européens, le Cinquième amendement ne limite pas totalement la possibilité pour le gouvernement de réintroduire certaines des dispositions contestées dans la loi ordinaire ou au sein des « lois cardinales », qui sont à peu près l’équivalent de nos lois organiques. Elles sont adoptées à la majorité des deux tiers. Nous verrons donc bientôt si le Cinquième amendement n’a été qu’un subterfuge... La loi de stabilité financière en cours d’adoption devrait ainsi prévoir la taxe pour financer les amendes internationales. Le principe du dépaysement des procès est, quant à lui, maintenu au sein de la loi sur la structure et l’administration de la justice, qui est elle-même une loi cardinale. Elle ne pourra donc être révisée qu’avec l’appui d’une majorité représentant les deux tiers du Parlement. Or les élections de 2010 ont été les premières depuis la chute du bloc soviétique à voir émerger une telle majorité. Et cela ne devrait pas se reproduire de sitôt.

La pratique du pouvoir peut également laisser penser qu’un certain nombre de ces mesures contestées pourront être réintroduites d’une autre manière dans le corpus législatif hongrois. La procédure législative elle-même favorise l’adoption rapide de mesures contestables sans véritable débat, puisque l’examen du texte n’excède jamais 48 heures. Les propositions de loi ne donnent pas lieu par ailleurs à un examen en commission.

Reste le rôle des contre-pouvoirs. La Cour constitutionnelle joue pour l’heure pleinement son rôle alors que la modification de sa composition ou l’interdiction de pouvoir se référer à la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution semblaient devoir la brider. À ses côtés, la Cour suprême ou les tribunaux rendent nombre de jugements défavorables au gouvernement. Le Président de la République a également usé de son droit de veto sur plusieurs sujets, en dépit de sa grande proximité avec le Premier ministre. Les médias se trouvent quant à eux dans une situation plus délicate. Si les limites à l’exercice de la liberté de la presse constatées en 2012 ont été pour partie remises en question, les contraintes économiques sont, quant à elles, beaucoup plus prégnantes. Les médias privés sont marqués par une vague de concentrations en faveur de proches du pouvoir. Les médias publics, comme l’agence de presse hongroise, sont, depuis 2010, de véritables outils de communication au service du Gouvernement alors que les médias privés se concentrent sur le divertissement. Dans une récente interview, le Premier ministre hongrois a d’ailleurs estimé que 50 % de l’information politique consistait en de la communication. Malgré ces difficultés, la presse d’opposition demeure relativement vivante et cherche de nouveaux moyens de communiquer via Internet. Le lectorat des médias papier se concentre principalement à Budapest.

Abordons maintenant la question de la politique économique du gouvernement, jugée hétérodoxe par un certain nombre d’observateurs mais qui a reçu récemment le soutien du président du Comité économique et social européen, que notre commission vient d’auditionner.

L’année 2013 a été marquée en Hongrie par le retour de la croissance, + 0,7 % du PIB, l’exercice précédent ayant été marqué par une contraction de l’activité de 1,7 %. Tous les secteurs d’activité sont concernés. Les exportations, mais aussi la demande interne, constituent les moteurs de cette relance. La baisse des prix administrés - 30 % sur les prix du gaz par exemple -, l’augmentation des revenus au sein de la fonction publique, les mesures adoptées en faveur de l’emploi ou des PME, ainsi que la réduction du taux directeur de la Banque centrale, ont pu dynamiser la demande interne, atone lors des précédents exercices. La croissance devrait se poursuivre en 2014. La Commission européenne évalue un nouveau rebond à 1,8 % du PIB. Reste que le PIB demeure à un niveau inférieur à celui de 2010, et a fortiori de 2007.

La politique gouvernementale en faveur de la demande a été rendue plus aisée par la concentration, dans les mains du gouvernement, de tous les leviers de la politique économique suite à la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale et le rattachement, le 1er octobre 2013, de l’Autorité hongroise de surveillance financière à la Banque centrale. On est loin du principe d’indépendance de la Banque centrale communément admis au sein de l’Union européenne...

Le pays n’est, en outre, plus sous le coup d’une procédure pour déficit excessif depuis le 29 mai 2013. Si elle respecte le seuil des 3 %, l’action du gouvernement en la matière s’apparente cependant plus à un pilotage à vue qu’à une stratégie à long terme. Sept collectifs budgétaires ont ainsi été adoptés en 2013, neuf ayant déjà été adoptés au cours de l’exercice précédent. L’impôt sur le revenu à taux unique - la flat tax de 16 % -, introduit en 2011, suscite encore des doutes quant à son efficacité et aurait débouché sur le quasi doublement de la pression fiscale sur les plus faibles. La TVA a également été portée à 27 %. La situation de 70 % des contribuables se serait ainsi détériorée depuis 2011.

Si la politique économique du gouvernement semble avoir de prime abord obtenu des résultats, il convient de s’interroger sur sa portée à moyen terme. Les instruments utilisés - taxes exceptionnelles, assouplissement monétaire - ne semblent pas reproductibles à l’envi. Certains observateurs relèvent néanmoins que le pouvoir pourrait continuer sur cette voie peu orthodoxe, encouragé par les résultats obtenus. La mise sous tutelle de l’ensemble des instruments de la politique économique limite toute possibilité de remise en cause de la stratégie suivie ou simplement de correction. La cohérence de l’action menée se fait au prix de l’absence de débat.

Cette concertation insuffisante semble par ailleurs présider à la mise en place de cette stratégie nationale. Les entreprises se plaignent ainsi de n’être pas suffisamment consultées en cas de réforme de la législation économique. L’inflation législative dans ce domaine conduit par ailleurs à une forme d’insécurité juridique, rendant délicate toute prévisibilité à moyen ou long terme, et fragilise de fait toute logique d’investissement. C’est particulièrement le cas dans le secteur de la distribution de l’énergie que le gouvernement entend transformer en un secteur non lucratif, en rachetant un certain nombre de sociétés étrangères et en imposant des baisses de tarifs. Cette politique séduisante au sein de l’opinion publique comporte des risques indéniables sur les infrastructures, les sociétés étrangères n’étant plus encouragées à investir, et pèse également sur l’endettement public. Cette stratégie vient par ailleurs de conduire le gouvernement hongrois à signer avec la Russie un accord sur la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires, Budapest empruntant près de 10 milliards d’euros sur 32 ans à Moscou pour mener à bien ce projet.

La politique bancaire du gouvernement n’est pas sans risque pour le secteur déjà affaibli par la crise économique et financière de 2008. La multiplication des taxes et le souhait de convertir en forint les prêts en devises étrangères ont fragilisé le canal du crédit, poussant aujourd’hui un certain nombre d’établissements étrangers à quitter le territoire. Les encours de prêts au secteur privé ont ainsi diminué de 17 % entre fin 2009 et fin 2012. L’atonie de l’activité hongroise enregistrée sur la même période en découle. Je rappelle que le secteur bancaire est détenu à 70 % par des établissements étrangers, principalement autrichiens et allemands. Les prêts en devises avaient été contractés au début des années 2000 à une époque où la parité entre le forint et l’euro ou le franc suisse était favorable aux Hongrois.

La stratégie énergétique du Gouvernement, comme son action en direction des banques, ont suscité un certain nombre de réserves de la part de la Commission européenne tant elles peuvent apparaître comme des éléments d’un plan plus vaste d’éviction des entreprises étrangères de certains secteurs. Le Premier ministre considère, et peut-être n’a-t-il pas complètement tort, que les entreprises étrangères ont fait d’énormes profits dans le pays au moment de la libéralisation de l’économie - la Hongrie était alors le bon élève d’Europe de l’Est - et qu’elles peuvent être mises aujourd’hui à contribution pour redresser le pays.

Tout cela n’est pas, bien évidemment, sans connotation politique. La population hongroise semble nostalgique du kadarisme, cette souplesse dont bénéficiait la Hongrie au sein du bloc soviétique qui garantissait une forme de sécurité et de protection sociale à la population. C’est sur ce souvenir que joue implicitement le gouvernement via son offensive en faveur de la baisse des charges domestiques ou la taxation des banques et des énergéticiens étrangers. Cette thématique rencontre un écho favorable au sein d’un pays qui demeure relativement pauvre. Toutes les régions, à l’exception de Budapest, sont ainsi classées par la Commission européenne parmi les moins développées de l’Union. Le salaire moyen atteint 450 €, près de 10 % de la population active étant au chômage. Le taux de chômage des moins de 25 ans s’élève à 29 %, contre 11 % en 2001. Il convient enfin de rappeler un certain nombre de paramètres qui compromettent à terme l’avenir du pays : 3,3 millions de retraités sur 10 millions d’habitants, un taux d’activité des femmes dépassant à peine 56 % contre plus de 90 % dans les années quatre-vingt-dix, et un taux de scolarisation au-delà de l’âge obligatoire relativement bas.

Pour conclure mon propos, je m’attarderai quelques instants sur la relation entre Budapest et Bruxelles. Des quatre années mouvementées qui viennent de s’écouler, il convient de retenir que jamais le dialogue entre l’Union européenne et la Hongrie n’a été rompu. De façon générale, l’Union européenne est critiquée par le gouvernement hongrois pour le rôle résiduel qu’elle laisse aux États membres. Décrite comme opposée à l’Église, à la religion et à la famille, l’Union européenne est présentée comme « antipatriotique » et très internationale. La Hongrie serait de fait victime d’une politique de doubles standards de la part de la Commission européenne, critiquant plus sévèrement les pays issus de l’ancien bloc soviétique que les États ayant adhéré avant 2004.

Le gouvernement a néanmoins pris en compte les réserves de la Commission européenne et a permis à la Hongrie de maintenir son lien avec l’Union européenne. Le double discours du Premier ministre hongrois ne saurait en effet totalement occulter la vocation européenne de son pays et son choix, maintes fois répété, d’oeuvrer en faveur de l’approfondissement de la construction européenne, via notamment le groupe de Visegrad qui réunit la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque. Je rappelle que la Hongrie dispose de frontières avec six pays ce qui lui confère un rôle particulier dans la région.

Budapest semble en réalité revendiquer un double droit : celui de maintenir son identité, fondée notamment sur sa langue, et celui d’expérimenter de nouvelles politiques en vue de répondre à la crise économique et sociale qui fragilise l’Union européenne en général et la Hongrie en particulier. C’est à l’aune de cette aspiration qu’il convient notamment d’analyser les prises de distance à l’égard de l’Union européenne dans le domaine énergétique et le rapprochement avec Moscou.

De cette appréciation de l’Union européenne, réputée avoir échoué, découle un refus d’une intégration trop poussée, comme en témoigne l’opposition de Budapest à la mise en place d’une taxe européenne sur les transactions financières - qui a pourtant été mise en place au niveau national -, à l’harmonisation fiscale en général, ou à l’émergence d’indicateurs sociaux. Si le gouvernement soutient un approfondissement de la zone euro, celui-ci doit en fait avoir pour contrepartie une plus grande flexibilité accordée aux pays qui ne sont pas membres de l’Union économique et monétaire dans la conduite de leur politique économique. Seule cette plus grande liberté permettra une adhésion graduée à la zone.

De notre côté, continuer à oeuvrer en faveur de l’arrimage de la Hongrie à l’Union européenne, en dépit des contingences politiques, doit faire figure de priorité. Cette option n’interdit en rien, bien évidemment, de maintenir une grande vigilance sur les valeurs que l’Union européenne défend.

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Bio Express

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
Membre de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
Elu le 26 septembre 2004
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