La gratuité, l’un des outils permettant le report modal de la voiture individuelle vers les transports collectifs
Gratuité des transports -
Par Guillaume Gontard et Le groupe CRCE-K / 1er octobre 2019Le groupe CRCE a fait le choix de solliciter le Sénat pour la création d’une mission d’information sur la gratuité des transports. Il a donc utilisé son « droit de tirage » pour que cette mission puisse être concrètement constituée.
Ce choix a été guidé, dans la continuité des prises de position de notre groupe, par la volonté de disposer de données précises et d’un début d’analyse sur les différentes expériences de gratuité mises en oeuvre par un nombre croissant de collectivités, notamment sous l’impulsion d’élu.e.s communistes.
En effet, nous estimons plus que jamais, alors que l’impératif climatique devient incontournable au regard des engagements de la France dans le cadre de l’accord de Paris qui vise une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre, que la gratuité doit être évaluée comme l’un des outils permettant le report modal de la voiture individuelle vers les transports collectifs.
Outre la question du dérèglement climatique, les enjeux de santé sont également prégnants, comme vient de le démontrer une nouvelle fois une étude de l’agence nationale de sécurité sanitaire sur la nocivité des particules fines. La pollution atmosphérique tue 48 000 personnes chaque année. Limiter le nombre de voitures sur les routes, mais également des camions, par des mesures incitatives semblent donc une impérieuse nécessité.
La gratuité des transports collectifs constitue enfin à nos yeux, le corollaire de la reconnaissance du droit à la mobilité comme un droit particulier puisque son existence conditionne directement l’accès à d’autres droits que sont le travail, les loisirs, la culture... Une telle conception pose donc l’exigence d’un service public qui s’adresse, non pas à des clients mais bien à des usagers, à contre-pied des politiques actuelles de mise en concurrence et de privatisation des services publics. Dans ce sens, la gratuité n’est pas une simple politique sociale mais bien une reconnaissance des droits universels attachés à la personne humaine.
Le rapport qui a été présenté revêt, à ce titre, plusieurs qualités et répond à notre exigence d’une étude approfondie de l’existant, y compris au niveau européen.
Tout d’abord, ce travail d’inventaire est utile et intéressant en pointant les lignes de force et les faiblesses, voire les difficultés des expériences locales reposant aujourd’hui sur le seul volontariat. Il s’agissait, à nos yeux, par la constitution de cette mission, d’identifier les obstacles afin de permettre aux collectivités, qui le souhaitent, de mettre en oeuvre la gratuité des transports en leur apportant des solutions.
En ce sens, nous considérons que le rapport pointe très justement les nombreux atouts d’une telle politique notamment en terme social d’accès aux transports, d’une part, permettant une augmentation du nombre d’usagers jouissant de ces transports, et d’autre part, en terme environnemental, grâce au report modal. Certes, et le rapport le souligne, des études plus poussées sur l’ampleur du report modal pourraient être poursuivies puisque les chiffres dont nous disposons évoquent un report limité. Pour autant, nous estimons que tout report témoigne d’un succès de cette politique.
Ce rapport fait également une démonstration utile et juste sur le fait que la gratuité n’est qu’un des éléments d’une politique de mobilité efficace qui doit s’inscrire dans le cadre d’une politique d’aménagement globale permettant de lier les enjeux de mobilité à ceux de l’emploi et de l’habitat afin de lutter efficacement non seulement contre l’étalement urbain mais également contre le développement des besoins de mobilité liés à une spécialisation des territoires.
Mais pour penser la gratuité dans une politique globale des transports, il nous semble que le rapport aurait pu aller plus loin et faire un bref rappel historique sur la charge du coût des transports pour les collectivités publiques, liée principalement au sous-investissement de l’État et à son désengagement dans le cadre des politiques de décentralisation et de libéralisation.
Une politique également profondément déséquilibrée car les pouvoirs publics ont toujours favorisé la route au rail, y compris en termes de gratuité.
En effet, le secteur routier bénéficie, hors réseau autoroutier, d’une gratuité de service : la construction et l’entretien des routes sont pris en charge par le seul contribuable. Pourtant, les coûts d’entretien de la route supportés par l’ensemble des contribuables s’élèvent à plus de 16 milliards d’euros chaque année, soit davantage que les 12,6 milliards d’euros que représentent l’entretien et le fonctionnement des transports publics urbains en 2018 selon le rapport sur la mobilité de l’Union des Transports Publics et Ferroviaires. Preuve s’il en faut qu’il s’agit de choix politiques.
Concernant justement les transports publics urbains, les collectivités, et singulièrement l’Île-de-France, se sont trouvées dans une situation où il a fallu investir massivement pour garantir la qualité de l’offre. Ce retard explique pour partie le fait que la question de la gratuité ait mis du temps à émerger dans le débat public : l’arrivée aujourd’hui du Grand Paris Express en Île-de-France conduit à sanctuariser les financements pour développer l’offre aux dépens des politiques sociales.
Le changement de majorité régionale en 2015 a conduit, par ailleurs, à de nombreux reculs, comme le renoncement à la gratuité lors des pics de pollution et à l’aide aux transports pour les titulaires de l’AME, contrairement à la ville de Paris ou au Conseil départemental du Val-de-Marne qui s’engagent dans des politiques de gratuité partielles, preuve s’il en est du caractère éminemment politique de ce choix.
Sur le fond, nous estimons que renforcement de l’offre de transport et gratuité ne s’opposent pas, qu’il s’agit bien de politiques complémentaires. En effet, la nécessité de produire des investissements dans le réseau ne dédouanent pas les collectivités d’une réflexion sur l’accessibilité de ces réseaux pour tous et toutes dans des conditions économiques acceptables. La gratuité, si elle engage des pertes financières en billettique, s’accompagne de réelles économies concernant non seulement l’entretien des portiques mais également en termes de personnels sur les missions de contrôle des titres de transports qui pourraient utilement être affectés à d’autres tâches notamment pour renforcer la présence humaine dans les gares et autres stations de transports. Des économies, aussi pour les employeurs dans leurs politiques de remboursement des abonnements de transport.
Au final, le rapport démontre également que la gratuité, qu’elle soit totale ou partielle, reste une politique porteuse de sens en termes de solidarité alors même que les usagers financent d’ores et déjà ce service par leurs impôts.
Si l’on essaie de schématiser les propositions du rapport, on voit bien que le point d’achoppement reste les financements d’une telle mesure. Plusieurs pistes sont évoquées sur lesquelles nous souhaiterions revenir.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE, dans la continuité des actions engagées par les élu.e.s communistes régionaux et locaux, font des propositions depuis de nombreuses années. Certaines sont d’ailleurs évoquées dans le rapport comme la baisse de la TVA, l’instauration d’une taxe sur les parkings ou encore une augmentation de la taxe sur les bureaux. Nous partageons également l’idée d’une taxe sur les plus-values générées par la création d’une infrastructure de transport. Nous espérons alors que ce rapport participera à faire que ces propositions soient entendues.
Nous portons également en matière de développement de l’offre un certain nombre de propositions pour redonner les moyens à l’Agence de Financement des Infrastructures de mener une politique ambitieuse, à la hauteur du scénario numéro 3, défini par le comité d’orientation des infrastructures. Nous souhaitons ainsi la renationalisation des autoroutes et la création d’une taxe poids lourds pour le financement de cette agence. Nous souhaitons enfin le retour à une politique des dotations aux collectivités qui leur donne les moyens de faire ce choix politique.
Restent deux questions emblématiques plus controversées.
Le versement transport, devenu « versement mobilité », reste l’un des pivots de ces politiques de financement. Ce choix correspond à la nécessité de faire participer les entreprises qui bénéficient pour leurs salarié.e.s et leurs client.e.s de bonnes conditions de transport. Le rapport laisse entendre que les entreprises arriveraient au bout de leur capacité de participation. Nous ne partageons pas cette idée préconçue puisque la contribution dépend de la taille de l’entreprise. Il faut également rappeler le cadre fiscal et social largement avantageux des politiques menées par le gouvernement en place qui conduisent les charges à baisser significativement au nom de la compétitivité. Les grandes entreprises doivent contribuer aux services publics. Dans cet esprit, nous proposons la hausse des plafonds en région et de la tranche supérieure en Île-de-France, tout en considérant sur le fond, que ces plafonds devraient être définis par les collectivités elles-mêmes.
L’État pourrait également participer à la prise en charge d’un certain nombre de dépenses à l’image des tarifs sociaux de la SNCF longtemps compensés par la subvention de l’État à l’entreprise nationale dans le cadre de la loi de finances. L’État dispose en effet d’une responsabilité toute particulière en matière de solidarité et la gratuité des transports fait partie d’un engagement solidaire, ce qui pourrait justifier une aide aux collectivités allant en ce sens.
Le deuxième type de ressources nouvelles évoqué par le rapport sur laquelle nous souhaiterions revenir sont les péages urbains. Les élu.e.s communistes sont opposé.e.s à ce type de financement qui constitue une double peine pour les habitant.e.s de la périphérie en leur faisant payer l’accès au centre ! Ce type d’écologie punitive, qui a justifié le conflit majeur des gilets jaunes, ne peut être une porte de sortie ni pour le financement des infrastructures ni pour la mise en oeuvre politiques de mobilité.
Pour finir, les sénatrices et sénateurs du groupe ne partagent pas l’idée que l’application de la gratuité dans les métropoles soit inadaptée comme le conclut le rapport. Ils estiment que cette exigence de définition d’un droit à la mobilité pour toutes et tous comme un droit universel doit rester un objectif majeur des politiques publiques de transports et à ce titre que tout doit être fait, peut-être de manière progressive, pour atteindre cet objectif, mais que celui-ci ne doit pas être sacrifié sur l’autel de l’inaction publique et de la baisse des dépenses d’intérêt général.