Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les rapports

Les établissements et services d’aide par le travail face à la contrainte budgétaire

ESAT -

Par / 20 avril 2015

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Les principales observations

- Les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) accueillent une population qui vieillit et qui est de plus en plus concernée par un handicap psychique. Il en résulte la nécessité de faire évoluer l’accompagnement médico-social réalisé par les établissements, ainsi que de mieux prendre en compte la fatigabilité des personnes accueillies grâce au développement du temps partiel.

- Les ESAT sont soumis à une concurrence accrue, en particulier s’agissant de leurs métiers traditionnels, qui nécessite le développement de nouvelles activités économiques à l’aide d’investissements productifs ainsi que le renforcement de la formation professionnelle des travailleurs.

- La contrainte budgétaire qui pèse sur le financement des ESAT s’est traduite par le gel des créations de places en établissement, l’instauration de tarifs plafonds, ainsi qu’une augmentation des dotations permettent seulement d’accompagner l’évolution de la masse salariale. Ce mouvement fragilise l’équilibre budgétaire de certains établissements.

- Le système de tarification actuel ne repose pas sur une évaluation approfondie du coût de la prise en charge des travailleurs en ESAT en fonction de leur handicap.

- Les besoins en termes de demandes et d’attente de placement en ESAT sont mal appréhendés aux niveaux régional et national, du fait de l’absence de système d’information consolidé. Les échanges entre les établissements et leur tutelle sont parfois insuffisants, en particulier s’agissant de la détermination du montant des dotations et du dialogue de gestion.

- Les ESAT sont de plus en plus encouragés par l’administration à développer des passerelles entre le milieu protégé et le milieu ordinaire de travail. En effet, le taux de sortie d’ESAT demeure faible. Cependant, les dispositifs d’accompagnement en emploi ordinaire ne sont pas suffisamment développés ni orientés sur une aide à long terme pour permettre de sécuriser les travailleurs et leurs employeurs.

- La visibilité des ESAT et de leurs activités pâtit de l’éparpillement des initiatives associatives et des réseaux d’établissements existants.

- Les acheteurs publics devraient davantage faire appel aux ESAT pour leurs besoins.

Les principales recommandations

Recommandation n° 1 : afin d’accompagner le vieillissement des personnes en ESAT, encourager le développement du temps partiel par la prise en compte, dans le calcul du coût à la place et du financement des établissements, de la présence ou non de travailleurs à temps partiel.

Recommandation n° 2 : renforcer la formation des moniteurs d’atelier afin d’améliorer la prise en charge des personnes souffrant d’un handicap psychique.

Recommandation n° 3 : réformer le système d’information des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour permettre le recueil consolidé d’informations sur : les demandes d’orientation en ESAT adressées aux MDPH ; les décisions de premières orientations en ESAT ; le nombre de personnes en attente de placement en ESAT.

Recommandation n° 4 : encourager la signature de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) entre l’État et les ESAT en vue de donner aux établissements de la visibilité quant à l’évolution de leurs dotations.

Recommandation n° 5 : conduire une étude nationale des coûts réels qu’implique la prise en charge des différents handicaps en ESAT afin de mieux adapter la tarification des établissements.

Recommandation n° 6 : porter le plan d’aide à l’investissement en ESAT à 10 millions d’euros par an afin d’investir non seulement dans la mise aux normes des ESAT mais également dans la modernisation de leurs outils de production.

Recommandation n° 7 : maintenir la tutelle et le financement des ESAT par l’État afin de garantir une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire.

Recommandation n° 8 : remplacer l’indicateur de performance relatif à l’évolution des mises en emploi en milieu ordinaire des travailleurs handicapés en ESAT par un indicateur relatif à l’évolution du nombre de personnes handicapées en attente de placement en ESAT.

Recommandation n° 9 : instaurer une évaluation périodique (par exemple tous les trois ans) du potentiel d’employabilité hors milieu institutionnel des personnes handicapées par les ESAT, afin de proposer ou non une réorientation.

Recommandation n° 10 : favoriser les passerelles entre le milieu institutionnel et le milieu ordinaire, en intégrant davantage dans le projet individuel des personnes accueillies en ESAT des expériences en milieu ordinaire (stages, mises à disposition sur des missions précises, etc.)

Recommandation n° 11 : accroître la durée de l’aide de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) permettant de financer un accompagnement en milieu ordinaire de travail des personnes issues d’un ESAT en la portant à 150 heures sur une période de trois ans.

Recommandation n° 12 : afin de valoriser l’activité des ESAT auprès de partenaires potentiels, faire aboutir le projet de création d’une base de données unique recensant l’ensemble des établissements et de leur offre de biens et services.

Recommandation n° 13 : dresser un bilan du recours par les collectivités publiques aux ESAT pour leurs besoins et de la passation de marchés réservés définis à l’article 15 du code des marchés publics.

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AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) représentent un volet majeur de l’action de l’État en faveur de l’intégration des personnes handicapées dans la société. Alors qu’une part importante de la politique du handicap est prise en charge par les départements, et que les crédits visant à financer les établissements et services pour personnes handicapées sont normalement pris en compte au sein de l’objectif général de dépenses (OGD) réparti par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), les ESAT, qui sont pilotés et financés par l’État, ont une place à part.

Le financement des ESAT, retracé au sein du programme n° 157 « Handicap et dépendance » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du budget de l’État, représente une part importante de la politique menée par celui-ci en faveur des personnes handicapées. Il s’élève, pour l’exercice 2015, à 2,75 milliards d’euros, pour une dépense totale de l’État en faveur du handicap de 11,6 milliards d’euros. Il s’agit d’une dépense dynamique, qui augmente en raison de l’accroissement des dépenses des personnels encadrant ces structures et de la part de la rémunération des travailleurs handicapés prise en charge par l’État.

L’originalité des ESAT se retrouve dans les missions qui leur incombent. Les ESAT visent à accueillir des personnes handicapées dont les capacités de travail ne leur permettent ni de travailler dans une entreprise ordinaire ou dans une entreprise adaptée, ni d’exercer une activité professionnelle indépendante. Ils ont ainsi une double vocation à la fois médico-sociale d’accompagnement des personnes accueillies dans l’exercice de leur activité professionnelle, et économique, de production de biens et services marchands.

La poursuite concomitante de ces deux objectifs est à l’origine d’une tension dans le fonctionnement des ESAT, qui doivent contribuer à l’épanouissement de leurs usagers tout en veillant à ce que leur équilibre économique soit assuré par des débouchés économiques suffisants. Si cette tension n’est pas nouvelle, puisqu’elle est consubstantielle à la mission de ces établissements, elle se renforce à mesure que ceux-ci sont soumis à une concurrence économique accrue et doivent faire face au vieillissement de la population qu’ils accueillent. En effet, les ESAT doivent pouvoir garantir une productivité du travail suffisante et développer de nouvelles activités tout en maintenant une bonne qualité de prise en charge.

Or cet effort d’adaptation, qui nécessite notamment des investissements en termes de modernisation des outils de production et de formation des travailleurs, s’effectue dans un contexte de contrainte budgétaire, qui s’est traduit par l’instauration de tarifs plafonds, par le gel des créations de place, ainsi que par une faible évolution des crédits alloués au budget médico-social qui permettent seulement d’accompagner l’évolution de la masse salariale.

Cette contrainte conduit à fragiliser certains ESAT qui doivent compenser un manque de financement en ponctionnant leur budget commercial ou diminuer leur taux d’encadrement. Elle conduit également l’administration à souhaiter orienter davantage les ESAT vers le milieu ordinaire de travail, afin que les travailleurs handicapés puissent plus facilement accéder à l’emploi au sein d’une entreprise ou d’une collectivité publique. Or si le renforcement des passerelles entre milieu protégé et milieu ordinaire et l’accès à l’emploi peut se justifier pour certains travailleurs, la sortie d’ESAT ne peut devenir un objectif en soi qui permettrait de pallier les restrictions budgétaire et le gel des créations de place.

L’accompagnement des personnes handicapées par le travail en milieu institutionnel demeure pertinent et doit être maintenu. Toutefois, votre rapporteur spécial émet treize recommandations afin de mieux l’adapter aux évolutions précitées. Ces recommandations s’articulent autour de deux volets principaux :

1) Mieux prendre en compte les besoins des personnes handicapées travaillant en ESAT ou ayant vocation à y travailler, par le développement du temps partiel, une meilleure prise en charge des personnes souffrant d’un handicap psychique, une réforme de la tarification des établissements en fonction des coûts réels de prise en charge, ou la mise en place d’un système d’information consolidé permettant une vision globale sur les demandes et l’attente de placement en ESAT.

2) Renforcer les liens entre les ESAT et leur environnement économique, par l’élargissement de l’aide financière à l’accès à l’emploi ordinaire, une meilleure évaluation de l’employabilité des travailleurs, ou l’accroissement de la visibilité des établissements par la constitution d’une base de données unique recensant leurs activités.

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PREMIÈRE PARTIE : DES STRUCTURES D’ACCOMPAGNEMENT MÉDICO-SOCIAL AU TRAVAIL SOUMISES À DE NOUVELLES CONTRAINTES

I. LES ESAT SONT AU SERVICE DE L’INTÉGRATION DES PERSONNES HANDICAPÉES PAR LE TRAVAIL

A. LES ESAT SONT UN DES PILIERS DU VOLET « TRAVAIL » DE LA POLITIQUE DU HANDICAP

1. L’émergence d’une politique du handicap intégrative

La prise en charge du handicap à travers une politique publique dédiée a été tardive en France. Avant les années 1970, les actions en faveurs des personnes handicapées relevaient principalement de l’action sociale de l’État ou du secteur associatif, ainsi que de prestations d’assurance sociale non spécifiques aux situations de handicap.

Face à la carence du secteur public, c’est le milieu associatif qui a pris l’initiative de créer des institutions spécialisées dans l’accueil et l’accompagnement des personnes handicapées. Les premières grandes associations de personnes handicapées sont apparues dans l’entre-deux-guerres, afin de prendre en charge un nombre important de mutilés de guerre ainsi que des accidentés du travail, à l’instar de l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (ADAPT) en 1929 ou de l’Association des paralysés de France (APF) en 1933.

La loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées a représenté un tournant en ce qu’elle a marqué l’apparition d’une véritable politique du handicap par la création de prestations spécifiques aux personnes handicapées, et a posé comme principe le maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie des personnes handicapées chaque fois que cela est possible.

Les politiques mises en oeuvre par la suite ont comporté alternativement ou conjointement deux volets : permettre un accompagnement des personnes handicapées par des aides financières venant compenser une insuffisance ou une perte de revenus ainsi que le développement de structures médico-sociales (démarche institutionnelle) ; insister sur la recherche de l’autonomie des personnes handicapées et sur leur insertion dans la société (démarche intégrative). Ces deux démarches, bien que relevant de logiques différentes, sont allées de pair.

La politique du handicap a connu une nouvelle étape à travers la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui a promu une nouvelle définition juridique du handicap, codifiée à l’article L. 114 du code de l’action sociale et des familles : « Constitue un handicap [...] toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». Cette définition large s’est accompagnée de l’affirmation d’un objectif d’intégration des personnes handicapées dans la société, notamment par l’emploi.

2. L’accès des personnes handicapées à l’emploi : la place du travail protégé

L’accès à l’emploi constitue l’un des droits fondamentaux des personnes handicapées que la loi de 2005 vise à garantir et participe de l’inclusion de ces personnes dans la vie de la société. En vertu de l’article L. 114-1 du code de l’action sociale et des familles, « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ».

La fonction intégratrice de l’emploi est essentielle, tant matériellement par le revenu d’activité qu’il procure, que symboliquement, le travail étant perçu comme un moyen de réalisation personnelle. Ce constat est particulièrement vrai en France, comme l’ont montré Lucie Davoine et Dominique Méda1(*), qui insistent sur la singularité française en la matière : les Français ont des attentes très élevées à l’égard du travail ; ils sont les plus nombreux en Europe à déclarer que le travail est « très important ».

L’accès des personnes handicapées à l’emploi passe par deux modalités : le travail en milieu ordinaire et le travail en milieu protégé et adapté.

a) Le travail en milieu ordinaire

Le travail en milieu ordinaire, dans le secteur public ou privé, concerne une majorité de personnes handicapées. Afin d’encourager l’activité professionnelle des personnes handicapées, la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés a institué une obligation pour les employeurs publics et les établissements privés de 20 salariés et plus d’employer des travailleurs handicapés dans la proportion de 6 % de leurs effectifs. Afin de remplir cette obligation, les employeurs peuvent soit employer directement des personnes handicapées, soit recourir à la sous-traitance avec des entreprises adaptées ou des ESAT. Les employeurs publics et privés qui ne respectent pas cette obligation d’emploi doivent verser une cotisation, respectivement au Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) ou à l’Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapés (AGEFIPH). Le produit de ces cotisations permet de financer des actions en faveur de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés, comme par exemple des formations ou des adaptations de postes ou du lieu de travail.

Par ailleurs, la loi de 2005 a prévu l’obligation générale pour les employeurs de prendre les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, par exemple en aménageant les postes ou en individualisant les horaires de travail, ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, à condition que les charges en résultant ne soient pas disproportionnées (article L. 5213-6 du code du travail). De même, afin de faciliter l’emploi dans la fonction publique, des aménagements aux concours, des concours réservés et une voie de recrutement contractuel spécifique sont prévus pour les personnes handicapées.

b) Le travail en milieu protégé et adapté

Pour les personnes dont la capacité de travail n’est pas suffisante pour travailler en milieu ordinaire, le travail peut s’effectuer dans des entreprises adaptées ou en milieu institutionnel dit « travail protégé ». Deux types de structures sont concernés :

· les entreprises adaptées (EA), d’une part, qui sont de véritables entreprises - et qui n’appartiennent de ce fait pas au champ médico-social -dont 80 % ou plus des effectifs doit être constitué de personnes reconnues comme travailleurs handicapés. Elles emploient les travailleurs handicapés dans des conditions de droit commun en matière de droit du travail. L’État verse une aide au poste égale à 80 % du salaire minimum de croissance brut ainsi que des subventions destinées au fonctionnement de la structure. Les EA accueillent généralement un public dont le handicap constitue un frein à l’embauche en milieu ordinaire mais qui n’est pas lourd au point de nécessiter un accompagnement médico-social permanent au sein d’une institution.

· les établissements et services d’aide par le travail (ESAT), d’autre part, qui offrent des activités professionnelles et un soutien médico-social à des personnes handicapées dont il a été reconnu qu’elles n’étaient pas capables « momentanément ou durablement, à temps plein ou à temps partiel, ni de travailler dans une entreprise ordinaire ou dans une entreprise adaptée ou pour le compte d’un centre de distribution de travail à domicile, ni d’exercer une activité professionnelle indépendante » (art. L. 344-2 du code de l’action sociale et des familles).

Les ESAT ont remplacé en 2005 les Centres d’aide par le travail (CAT). Pendant l’entre-deux-guerres, plusieurs associations avaient déjà créé des structures, comme des ateliers occupationnels, permettant aux personnes handicapées de s’initier à une activité professionnelle. Cependant, le véritable développement du travail protégé date de la création des premiers CAT en 1954, où devaient être placées des personnes présentant moins du tiers de la capacité normale de travail d’un salarié ordinaire, et de la loi n° 57-1223 du 23 novembre 1957 qui utilise pour la première fois le terme de « travailleurs handicapés » et élargit le principe d’obligation d’emploi et de réinsertion professionnelle aux invalides civils.

Par la suite, la circulaire 60 AS du 8 décembre 19782(*) est venue définir le rôle des CAT en leur donnant une double finalité : « faire accéder, grâce à une structure et des conditions de travail aménagées, à une vie sociale et professionnelle des personnes handicapées momentanément ou durablement, incapables d’exercer une activité professionnelle dans le secteur ordinaire de production ou en atelier protégé ; permettre à celles d’entre ces personnes qui ont manifesté par la suite des capacités suffisantes de quitter le centre et d’accéder au milieu ordinaire de travail ou à un atelier protégé ».

Les ESAT sont ainsi des établissements médico-sociaux qui permettent aux personnes en situation de handicap, à partir de l’âge de vingt ans, d’exercer une activité à caractère professionnel et socialisante tout en bénéficiant d’un suivi médico-éducatif dans un milieu protégé. Ils sont à la fois une structure de mise au travail et une structure médico-sociale qui dispense l’accompagnement requis pour l’exercice d’une activité professionnelle. Les ESAT permettent ainsi une prise en charge des adultes handicapés et participent au maintien de leurs acquis scolaires, à leur formation professionnelle, à leur accès à l’autonomie et à leur implication dans la vie sociale.

Opérateurs économiques ordinaires, les ESAT bénéficient toutefois de l’obligation d’emploi de 6 % de travailleurs handicapés à laquelle sont assujetties les entreprises de plus de vingt salariés, dont elles peuvent s’acquitter partiellement en passant des contrats de fournitures, de sous-traitance ou de prestations de services avec un ESAT. Cette modalité ne peut toutefois être utilisée que pour satisfaire au maximum 50 % de l’obligation légale d’emploi (soit 3 %).

Les ESAT contribuent sensiblement à l’emploi des personnes handicapées, et pallient les carences du secteur privé. Malgré le taux d’emploi légal de 6 % auquel étaient soumis 100 100 établissements en 2011, et en dépit des progrès réguliers, la part des travailleurs handicapés dans l’effectif total des établissements du secteur privé assujettis était de seulement 3,1 %3(*). Par ailleurs, comme l’ont rappelé nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré dans un rapport d’information de juillet 20124(*), le taux d’emploi global des personnes handicapées demeure nettement inférieur à celui de l’ensemble de la population active (35 % contre 65 %). Cela résulte d’un taux d’activité plus faible (44 % contre 71 %), mais surtout d’un taux de chômage qui est le double de celui de l’ensemble de la population active (21 % en 2011). Par ailleurs, les travailleurs handicapés sont marqués par une durée de chômage plus longue : l’ancienneté moyenne d’inscription au chômage pour les personnes handicapées était de 22,5 mois contre 15,9 mois pour l’ensemble des demandeurs d’emploi en 20135(*).

Il faut enfin souligner que le recours au travail protégé comme moyen d’accompagnement et de socialisation des personnes handicapées qui ne sont pas en capacité d’exercer une activité professionnelle dans le secteur privé ou public n’est pas propre à la France. Les principaux partenaires européens de la France disposent également d’une législation sur le travail protégé et de structures dédiées. En revanche, comme l’a montré une étude de 2011 sur le travail protégé en Europe6(*), les modalités de cette prise en charge varient fortement, en termes de types de handicaps accueillis, de nombre de places disponibles, de financement des structures ou d’articulation avec d’autres dispositifs de soutien. Ainsi, dans certains États, le travail protégé est ouvert à tous les types de handicaps (France, Allemagne, Espagne, Pologne), lorsque d’autres États le réservent à certains handicaps, comme la déficience intellectuelle (Finlande) ou les handicaps lourds (Suède). De même, les personnes accueillies n’ont pas le même statut selon les pays, certains leur confiant un statut spécifique (France, Allemagne, Pays-Bas, Danemark) et d’autres un statut de travailleur de droit commun (Belgique, Suède).

* 1 Lucie Davoine et Dominique Méda, Centre d’étude pour l’emploi (CEE), « Place et sens du travail en Europe : une singularité française ? », février 2008.

* 2 Circulaire 60 AS du 8 décembre 1978 relative aux centres d’aide par le travail.

* 3 Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), « L’emploi des travailleurs handicapés dans les établissements de 20 salariés ou plus du secteur privé, Bilan de l’année 2011 », novembre 2013.

* 4 Rapport d’information fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois sur l’application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, 4 juillet 2012.

* 5 Agefiph, Les chiffres de l’emploi et du chômage des personnes handicapées, tableau de bord n° 45, décembre 2013.

* 6 Rapport du projet IGOS, « Des milieux de travail de qualité pour tous », juillet 2011.

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B. LES TRAVAILLEURS EN ESAT SONT SOUMIS À UN STATUT EXORBITANT DU DROIT COMMUN

En raison du caractère médico-social et non commercial des établissements, les personnes handicapées travaillant en ESAT relèvent d’un statut spécifique. Elles n’ont en effet pas le statut de salarié soumis au code du travail. Elles ne bénéficient donc pas d’un contrat de travail, à la différence des personnes qui travaillent dans une entreprise adaptée, mais signent avec l’ESAT un contrat de soutien et d’aide par le travail7(*), conclu pour une durée d’un an et reconduit chaque année par tacite reconduction, qui énonce les droits et obligations des parties signataires et consacre la mise en oeuvre du projet de vie de la personne ainsi que du soutien médico-social et éducatif.

Le régime juridique des travailleurs d’ESAT est défini par le code de l’action sociale et des familles, qui fait référence pour certains de leurs droits à des dispositions du code de travail. La loi de 2005 a enrichi les droits fondamentaux des personnes handicapées en ESAT, en les élargissant notamment aux droits à la formation professionnelle et à la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Les droits des travailleurs en ESAT

Bien que soumis à un statut particulier, les personnes handicapées travaillant en ESAT n’en bénéficient pas moins de droits sociaux étendus, parmi lesquels :

- Un droit à une rémunération garantie, dont le montant est compris entre 55 % et 110 % du SMIC brut. Par ailleurs, les travailleurs en ESAT peuvent recevoir, sous certaines conditions, une prime d’intéressement (cf. infra).

- Une durée maximale du travail fixée à 35 heures. Cette durée intègre le temps consacré aux activités de soutien à l’activité professionnelle. Cependant, le temps global de présence en ESAT peut dépasser cette durée.

- Le droit à congés : les personnes accueillies en ESAT peuvent bénéficier des principaux congés mentionnés dans le code du travail : congés annuels (2,5 jours ouvrables par mois d’accueil en ESAT), congés de maternité, congés parentaux, congés pour événements familiaux.

- L’accès à la formation professionnelle et à la validation des acquis de l’expérience (VAE), avec des congés. Les travailleurs handicapés bénéficient du régime de droit commun de VAE, avec le cas échéant des aménagements d’épreuves liés à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Depuis le 1er janvier 2015, en vertu de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, toute personne accueillie dans un ESAT dispose d’un compte personnel de formation en remplacement de l’actuel droit individuel à la formation.

- Un droit à la participation et à l’expression, qui s’exerce dans le cadre du conseil de la vie sociale (CVS). Le CVS permet notamment aux travailleurs handicapés de participer à l’élaboration et à la modification du projet d’établissement et du règlement de fonctionnement, et formule des avis et des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l’établissement (organisation intérieure, vie quotidienne, activités, animation socioculturelle).

Source : réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

La question de l’alignement du statut des travailleurs en ESAT sur celui des salariés de droit commun est parfois soulevée. Cette question est suspendue aux conséquences que tirera la chambre sociale de la Cour de cassation de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 26 mars 2015 dans l’« affaire Fenoll »8(*). En effet, la Cour de cassation avait saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de déterminer si les personnes handicapées accueillies en ESAT devaient être considérées comme des travailleurs au sens de l’Union européenne, c’est-à-dire de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans ses conclusions rendues le 12 juin 2014, l’Avocat général près la CJUE avait suggéré à celle-ci de reconnaitre aux travailleurs en ESAT ce statut. Dans son arrêt précité, la CJUE s’est rangée à cette analyse, ce qui pourrait conduire à une remise en cause du statut exorbitant de droit commun des usagers d’ESAT.

Cependant, il n’en demeure pas moins que le statut spécifique des travailleurs en ESAT est justifié compte tenu de la forme particulière que prend l’organisation du travail au sein de ces établissements. Le rapprocher de celui des salariés de droit commun ne parait pas opportun, car cela risquerait de transformer les relations qui existent entre les travailleurs et leurs encadrants et qui sont basées avant tout sur l’échange et l’accompagnement. Par ailleurs, les droits sociaux reconnus aux travailleurs handicapés paraissent suffisamment étendus et garantis. Lors des visites effectuées par votre rapporteur spécial, celui-ci a pu constater qu’il existe un vrai besoin de représentation et d’expression des personnes handicapées en ESAT. Celui-ci a actuellement lieu au sein des conseils de la vie sociale (CVS). Renforcer ce droit d’expression et de participation, par exemple par l’élection de délégués du personnel, ne parait cependant pas présenter d’intérêt particulier compte tenu de la lourdeur du processus.

* 7 Le code de l’action sociale et des familles contient, à l’article annexe 3-9, un modèle de contrat de soutien et d’aide par le travail à disposition des ESAT.

* 8 CJUE, arrêt du 26 mars 2015, affaire C-316/13, Gérard Fenoll c/ Centre d’aide par le travail La Jouvene, Association de parents et d’amis de personnes handicapées mentales (APEI).

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II. CONFRONTÉS À DES ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES, LES ESAT DOIVENT ADAPTER LEUR MODÈLE D’ACCOMPAGNEMENT MEDICO-SOCIAL

A. LES ESAT FACE À L’ÉVOLUTION DES POPULATIONS ACCUEILLIES

Les ESAT font face depuis quelques années à une évolution de la population accueillie. Deux changements principaux sont à l’oeuvre.

1. Le vieillissement des usagers

Les ESAT sont confrontés au vieillissement des travailleurs accueillis. L’âge moyen, de 38,3 ans en 2010, était supérieur de presque un an à celui de 2006 (37,5 ans). Entre 2006 et 2010, la part des personnes de plus de 50 ans accueillies en ESAT est passée de 14,2 % à 17,9 %. Ce vieillissement, qui s’opère depuis plusieurs années, entraîne une fatigabilité accrue des travailleurs, ce qui implique pour les ESAT de procéder à des aménagements en termes de temps de travail, notamment par la facilitation des temps partiels et par le développement de solutions alternatives de prise en charge.

Âge de la population accueillie ESAT en 2006 et 2010

Groupes d’âges

2006

2010

Moins de 20 ans

0,7

0,7

20-24 ans

11,8

11,7

25-29 ans

13,5

13,5

30-34 ans

14,6

12,9

35-39 ans

15,3

14,4

40-44 ans

16

14,3

45-49 ans

13,9

14,5

50-54 ans

9,5

11,4

55-59 ans

4,4

6,1

60-64 ans

0,3

0,4

65 ans et plus

0

0

Âge moyen

37,5

38,3

Source : réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

Selon le rapport du cabinet de conseil Opus 3 de 2009 sur la modernisation et le développement des ESAT9(*), 23 % des usagers seraient fatigables, « c’est-à-dire réalisant dans des conditions moindres leur production compte tenu de leur âge ou de l’évolution de leur handicap ».

Cette fatigabilité accrue des travailleurs vieillissants pose la question de l’aménagement de leur rythme de travail. Face à cette évolution, l’une des réponses privilégiée par la majorité des ESAT est le recours au temps partiel. Elle concernait selon l’étude Opus 3 un usager sur six en 200910(*).

Compte tenu du vieillissement des usagers, le temps partiel a vocation à être encouragé. Toutefois, dans l’état actuel des choses, le temps partiel n’est pas comptabilisé dans le calcul des dotations de fonctionnement versées aux établissements. Ainsi, le surcoût médico-social résultant de la présence de plusieurs personnes sur une même place financée n’est pas pris en compte, ce qui ne favorise pas le développement de ce type de solution. Il convient donc de remédier à cette situation en intégrant, dans le calcul des dotations de fonctionnement, la présence ou non de travailleurs à temps partiel.

Outre l’aménagement du rythme de travail, le vieillissement de la population accueillie en ESAT pose la question d’une meilleure articulation entre les ESAT proposant une activité productive et les structures proposant une activité occupationnelle comme les foyers de vie, afin que les personnes concernées puissent par exemple alterner entre ces établissements.

Recommandation n° 1 : afin d’accompagner le vieillissement des personnes en ESAT, encourager le développement du temps partiel par la prise en compte, dans le calcul du coût à la place et du financement des établissements, de la présence ou non de travailleurs à temps partiel.

2. L’évolution des types de handicap accueillis : l’importance croissante du handicap psychique

L’évolution des publics accueillis constitue un enjeu croissant pour les ESAT. Les déficiences intellectuelles constituent le principal type de handicap présent en établissement ; elles représentaient en 2010 environ 71 % de la population accueillie. Les autres handicaps (déficiences auditives, déficiences visuelles, déficiences motrices) sont minoritaires.

En revanche, de plus en plus de personnes accueillies en milieu protégé ont un handicap psychique considéré comme stabilisé. Ces personnes trouvent en effet de plus en plus difficilement une place dans une entreprise ordinaire. Ce handicap concernait 21,5 % de la population accueillie en 2010 (contre 18,9 % en 2006), mais ce chiffre varie fortement d’un établissement à un autre.

Selon l’étude d’Opus 3 précitée, 83 % des ESAT interrogés étaient concernés par la prise en charge de difficultés comportementales sévères, de la part d’environ 7,5 % des usagers.

Les types de handicap accueillis en ESAT

(en pourcentage)

Source : réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

Cette évolution rend nécessaire l’adaptation des dispositifs d’accompagnement des publics accueillis, pour surmonter les difficultés nouvelles qui peuvent survenir pour le personnel encadrant (troubles graves du comportement, problèmes d’addictologie). En effet, certains encadrants s’estiment peu formés à la prise en charge que nécessitent ces personnes. Face à l’accroissement de la part représentée par le handicap psychique en ESAT, votre rapporteur spécial souligne donc l’importance de la formation des moniteurs d’atelier et des éducateurs spécialisés en ESAT à ce handicap et à la prise en charge particulière qu’il implique.

Recommandation n° 2 : renforcer la formation des moniteurs d’atelier afin d’améliorer la prise en charge des personnes souffrant d’un handicap psychique.

* 9 Rapport Opus 3, « Appui des services de l’État à la modernisation et au développement des établissements et services d’aide par le travail dans leurs missions médico-sociale et économique », novembre 2009.

* 10 Ibid.

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B. LES ESAT FACE À L’ÉVOLUTION DU CONTEXTE ÉCONOMIQUE : UN TRAVAIL DE MOINS EN MOINS « PROTÉGÉ »

1. Les ESAT, des acteurs économiques à part entière soumis aux mêmes exigences que leurs concurrents

Si les ESAT sont avant tout des institutions médico-sociales et non des entreprises de droit commun, leur activité économique est cependant au coeur de leur rôle et de leur fonctionnement. Le travail effectué en ESAT n’est pas occupationnel, il a une vraie valeur économique. Les ESAT s’inscrivent pleinement dans l’activité économique ordinaire, dont ils subissent les exigences et les contraintes. Bien que leur fonctionnement diffère d’une entreprise ordinaire, en termes de méthodes de travail, ils sont souvent considérés par les entreprises qui ont recours à leurs services comme des partenaires économiques à part entière, dont il est demandé le même professionnalisme et la même qualité de service. Les ESAT subissent donc pleinement la concurrence économique et sont contraints de proposer des prix compétitifs et des services efficients. Le milieu « protégé » l’est de moins en moins.

Cette situation pousse les ESAT à s’adapter afin de continuer à assurer l’équilibre de leur budget commercial. En effet, leurs activités historiques sont plus difficilement rentables ou soumises à plus forte concurrence, notamment tarifaire, de la part des entreprises ordinaires mais également des entreprises adaptées. Ce sont généralement celles qui sont les plus déficitaires.

C’est le cas en particulier de l’activité de conditionnement, qui demeure le coeur d’activité historique des ESAT et à laquelle sont généralement affectées les personnes souffrant des handicaps les plus lourds. Ainsi, l’enquête d’Opus 3 a montré que les activités liées au conditionnement, à l’emballage ou au montage représentaient 44 % des activités des ESAT. Or ce sont les activités les plus soumises à forte concurrence entre ESAT ou vis-à-vis d’autres entreprises nationales ou étrangères. Les activités de services (blanchisserie, nettoyage, restauration, etc.) représentaient pour leur part 20 % des activités en ESAT et les activités « vertes » (espaces verts, agriculture, activités bois) 28 %.

Au sein de ces trois grandes catégories d’activités figurent une multitude de métiers : 700 métiers différents sont proposés selon le réseau GESAT. Les activités de sous-traitance représentent la majorité des activités réalisées en ESAT.

Les activités économiques des ESAT

(en pourcentage)

Source : réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

Par ailleurs, le travail en ESAT étant un moyen et non une finalité, certaines grosses activités peu rentables sont maintenues afin de proposer aux personnes accueillies une activité professionnelle adaptée à leur handicap. Ainsi, l’objectif de rentabilité des activités n’est pas primordial pour les ESAT qui doivent composer avec d’autres exigences.

2. Les ESAT ne sont pas épargnés par les aléas de l’activité économique qui fragilisent leur modèle économique

Les ESAT sont soumis à une fluctuation parfois importante de leur cycle économique. L’équilibre financier de leurs budgets commerciaux dépend souvent de clients historiques importants qui constituent leur activité de base. Ainsi, selon l’étude d’Opus 3, le poids du plus gros client dépasse 30 % du chiffre d’affaires pour un ESAT sur cinq. La visibilité des ESAT sur l’évolution du marché et de leurs contrats est bien souvent limitée. Or la fin d’un contrat avec un tel client constitue souvent un bouleversement pour le modèle économique de l’ESAT. En effet, la gestion des ressources humaines, en l’occurrence des travailleurs accueillis, est par définition peu souple, et en cas de rupture de contrat, les usagers doivent continuer à bénéficier d’un accueil en établissement et d’un accompagnement médico-social.

Les clients historiques et stables sont moins nombreux et les évolutions vont vers une exigence accrue de réactivité et des marchés de plus petite taille en volume comme en durée.

La fragilité accrue de l’activité historique de conditionnement des ESAT conduit ces derniers à développer et proposer de nouvelles activités dans des secteurs porteurs et davantage rentables. La diversification des activités assure une certaine garantie contre les fluctuations et permet également une meilleure adéquation de l’activité en fonction du degré d’autonomie des travailleurs. Votre rapporteur spécial a ainsi pu visiter un ESAT qui développe actuellement un projet de maraîchage biologique afin de vendre les produits cultivés sur les marchés et à des cantines et services de restauration d’entreprises. Plusieurs activités porteuses peuvent également être mentionnées comme le nettoyage, la restauration d’entreprise, l’agro-alimentaire, ou les espaces verts, bien qu’ils nécessitent souvent un degré d’autonomie important. À titre d’exemple, l’ESAT Pleyel situé en Seine-Saint-Denis s’est spécialisé dans la restauration et les services de traiteur.

La montée en charge progressive des personnes handicapées psychiques conduit également à s’interroger sur l’adéquation entre ces dernières et les activités de production proposées par l’ESAT, leur potentialité et leur adaptabilité à la réalisation de travaux de précision étant plus importante. Elle permet par exemple d’envisager le développement d’activités de production ou de services liées à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Compte-tenu du contexte économique précité, les ESAT doivent de plus en plus assurer la gestion de leur activité économique comme celle d’une véritable entreprise. Cela implique de se doter de personnels qualifiés et d’outils notamment comptables afin de piloter au mieux l’activité (identification du prix de revient, gestion des stocks, analyses de marché etc.). Cela constitue un changement de culture important pour ces établissements, ainsi que l’ont rappelé la plupart des interlocuteurs que votre rapporteur spécial a rencontrés.

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DEUXIÈME PARTIE : LES ESAT SONT SOUMIS À UNE CONTRAINTE BUDGÉTAIRE ACCRUE QUI POSE LA QUESTION DE L’ÉVOLUTION DE LEUR FINANCEMENT

I. L’OFFRE DE PLACES EN ESAT NE REPOSE PAS SUR UNE JUSTE APPRÉHENSION DES BESOINS

A. UN MANQUE D’INFORMATIONS SUR LES BESOINS DE PLACEMENTS EN ESAT

Créées par la loi du 11 février 2005, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), placées sous tutelle administrative des conseils départementaux, ont vocation à constituer un guichet départemental unique d’accueil, d’information et de conseil à destination des personnes handicapées. En leur sein, les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) sont notamment compétentes pour se prononcer sur l’orientation des personnes handicapées et les mesures propres à assurer leur insertion professionnelle, après une évaluation des besoins de ces dernières par des équipes pluridisciplinaires. Les personnes sont orientées en ESAT sur décision motivée de la CDAPH, dont la durée de validité ne peut être inférieure à un an ni excéder cinq ans, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires.

L’orientation des personnes handicapées en ESAT est ainsi proposée lorsque la CDAPH a constaté que « les capacités de travail ne leur permettent, momentanément ou durablement, à temps plein ou à temps partiel, ni de travailler dans une entreprise ordinaire ou dans une entreprise adaptée ou pour le compte d’un centre de distribution de travail à domicile, ni d’exercer une activité professionnelle indépendante »11(*).

Selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), en 2012, la part des demandes d’orientation en établissements sociaux et médico-sociaux pour adultes représentait 4 % des demandes adressées aux MDPH et le délai moyen de traitement de l’ensemble des demandes adultes était de 4,4 mois12(*).

En 2012, les MDPH ont déclaré avoir prononcé des décisions d’orientation en ESAT pour 8 416 personnes handicapées, un chiffre légèrement en hausse par rapport à l’année précédente (+ 2,6 %). Le nombre de travailleurs en attente de placement en ESAT était, d’après les chiffres communiqués, de 12 806. Ces chiffres sont toutefois difficilement exploitables, compte tenu du nombre élevé de MDPH n’ayant pas communiqué leurs données ; ils paraissent donc largement sous-évalués.

Ni le ministère des affaires sociales ni les Agences régionales de santé (ARS) ne disposent, à un leurs niveaux respectifs, d’informations sur le nombre de demandes d’orientation en ESAT qui sont adressées aux MDPH, sur le nombre de placements effectifs ou sur le nombre de personnes en attente de placement. En effet, chaque MDPH dispose de son propre système d’information et de ses propres méthodes de calcul, sans référentiel commun. La gestion de la liste d’attente relève de leur organisation interne. Cette absence de système d’information consolidé soumet les ARS à des difficultés pour recenser les besoins sur leurs territoires en termes de placement en ESAT, et donc pour ajuster les places disponibles en conséquence.

De même, il est difficile pour les MDPH de connaitre le nombre de places non occupées et disponibles à court ou moyen terme. En effet, les ESAT ne fournissent pas systématiquement un retour d’information aux MDPH sur l’acceptation ou non d’une proposition d’orientation, ce qui complique le suivi statistique des dossiers. Plusieurs MDPH ont toutefois pris des initiatives afin de faciliter l’échange de données avec les établissements, comme le rappelle la CNSA dans un rapport de 201213(*).

Par ailleurs, votre rapporteur spécial a eu connaissance d’une initiative lancée par l’UNAPEI visant améliorer la connaissance des populations accompagnées dans les établissements gérés par ses associations membres, dont des ESAT. Un outil informatique, expérimenté dans trois régions (Bretagne, Auvergne et Lorraine) et en cours de déploiement, permet de recenser les personnes présentes en établissement et de mesure les écarts existants entre leurs besoins et leur placement effectif, dans une logique prospective d’évaluation des besoins à trois ou cinq ans.

Enfin, votre rapporteur spécial a été alerté sur l’insuffisante mise à jour des listes d’attente par les MDPH, qui peut conduire à ce que certaines personnes s’y trouvent alors qu’elles ne sont plus en recherche d’une activité professionnelle en ESAT, ou à des difficultés à joindre les personnes répertoriées.

Dans sa synthèse des rapports d’activité 2013 des MDPH publiée le 2 mars 201514(*), la CNSA relève ces dysfonctionnements. Un audit des systèmes d’information des MDPH a été conduit en 2013. Deux scenarii d’évolution sont à l’étude : l’élaboration d’un cahier des charges auquel les systèmes d’information actuels devraient se conformer ou la création d’un système d’information national. Une étude de faisabilité a été lancée par la CNSA avec l’appui de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé afin d’expertiser ces deux solutions.

Recommandation n° 3 : réformer le système d’information des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour permettre le recueil consolidé d’informations sur : les demandes d’orientation en ESAT adressées aux MDPH ; les décisions de premières orientations en ESAT ; le nombre de personnes en attente de placement en ESAT.

* 11 Article L. 344-2 du code de l’action sociale et des familles.

* 12 Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, « MDPH : Une adaptation continue, Synthèse des rapports d’activité 2012 des maisons départementales des personnes handicapées », décembre 2013.

* 13 Ibid. La CNSA détaille certaines initiatives prises dans des départements afin de développer des outils de type extranet facilitant les échanges entre MDPH et les établissements.

* 14 Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, « MDPH : entre optimisation et innovation, une exigence toujours plus forte », Synthèse des rapports d’activité 2013 des maisons départementales des personnes handicapées, décembre 2014.

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B. LA FIN DES CRÉATIONS DE PLACE EN ESAT DEPUIS 2013

Les ESAT sont majoritairement gérés par des associations qui ont été créées à l’initiative de parents de personnes handicapées. Parmi ces associations, l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI), qui regroupe 550 associations locales, représente environ la moitié du parc des ESAT. D’autres associations gèrent un nombre important d’ESAT comme l’Association des paralysés de France (APF), l’Association pour Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH) ou l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (ADAPT). Il existe au total une très grande diversité d’associations gérant des ESAT.

L’ensemble de ces associations forme un maillage territorial dense qui permet une répartition des établissements sur l’ensemble du territoire, y compris en outre-mer. La présence des ESAT varie selon les départements, mais on constate globalement moins de disparités territoriales, en termes de taux d’équipement, s’agissant des ESAT que pour d’autres établissements médico-sociaux.

On dénombrait 1 349 ESAT en France en 2013, proposant 119 211 places (cf. annexe 1). La tendance est plutôt à une légère baisse du nombre d’établissements sur les dernières années, de 4 % sur la période 2004-2013 (soit 57 ESAT en moins), principalement liée à la mise en oeuvre à partir de 2007 de contrats d’objectifs et de moyens recommandant aux structures de rationaliser les coûts et de réaliser des économies d’échelles en procédant à des regroupements d’établissements.

Le nombre de places proposées en ESAT a connu une augmentation continue ces vingt dernières années, portée par la mise en oeuvre successive de plans de création de places. Le programme pluriannuel de création de places pour un accompagnement tout au long de la vie des personnes handicapées annoncé à l’occasion de la Conférence nationale du handicap du 10 juin 2008 prévoyait la création de 10 000 places supplémentaires en ESAT. 6 400 places nouvelles ont été effectivement créées et financées avant que le Gouvernement ne décide en 2013 de geler la création de place en ESAT pour des raisons budgétaires. Ce moratoire sur la création de places a été poursuivi en 2014 et 2015.

Évolution du nombre de places financées en ESAT

Année

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Nombre d’ESAT

1351

1344

1342

1349

1352

1349

1349

Nombre de places

114 811

116 211

117 211

118 211

119 211

119 211

119 211

dont places nouvelles

2000

1400

1000

1000

1000

0

0

Source : réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

Cette pause dans la création de places nouvelles a été justifiée par la nécessité de consolider l’existant, et notamment de revaloriser les salaires du personnel après plusieurs années de faible actualisation de la masse salariale.

Malgré la contrainte budgétaire qui pèse sur le financement des ESAT, le gel des créations de places ne saurait se poursuivre trop longtemps, compte tenu du nombre de personnes en attente de placement (cf. supra), qui indique que le besoin de prise en charge demeure important. La prolongation de ce gel de création de places pourrait en outre renforcer le problème de l’interruption des parcours et des « bouchons » à la sortie des Instituts médico-éducatifs (IME) et des Instituts médico-professionnels (IMPRO), c’est-à-dire le maintien d’adultes dans des structures pour enfants et adolescents faute de place dans des établissements pour adultes, conformément au dispositif dit « Creton » introduit en 198915(*). Selon une enquête menée par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES)16(*), 5 080 personnes étaient concernées par ce dispositif en 2006 ; elles étaient principalement accueillies dans des établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés, des établissements pour jeunes déficients intellectuels ou des établissements pour jeunes déficients moteurs.

* 15 L’article 22 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 permet le maintien d’un jeune dans un établissement pour enfants handicapés au-delà de l’âge de 20 ans, en l’absence de places dans un établissement ou service médico-social pour adultes handicapés.

* 16 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), « Les établissements et services pour adultes handicapés - Résultats de l’enquête ES 2010 », mai 2013.

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