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Refusons le quatrième paquet ferroviaire

Maîtrise publique du système ferroviaire national -

Par / 22 juillet 2013

Proposition de résolution en application de l’article 34-1.

Les échéances à venir vont être décisives pour l’avenir du service public ferroviaire national.

Ainsi, alors que le Gouvernement français a annoncé la création d’un Groupe public ferroviaire industriel intégré (GPFII) permettant d’unifier la gouvernance du système ferroviaire, dont les contours ont été rendu publics le 29 mai dernier, l’Union européenne prépare parallèlement un quatrième paquet ferroviaire permettant de parachever la libéralisation de ce secteur.

Ainsi, selon la proposition de directive de la commission européenne, à l’horizon 2019, l’ensemble de ce secteur d’activité serait libéralisé : tant le transport de marchandises que le transport de voyageurs. D’autre part, une séparation structurelle serait imposée entre les activités de gestionnaire de réseau et celle d’opérateur. Il s’agit selon Siim KALLAS, commissaire européen, d’« achever l’espace ferroviaire unique européen pour stimuler la compétitivité et la croissance européennes ».

Par ailleurs, la commission européenne a appelé la France à mener un certain nombre de réformes afin de respecter ses engagements liés à la réduction des déficits publics en application du pacte européen de stabilité. Elle demande notamment à la France d’ouvrir davantage à la concurrence les industries de réseaux services à la concurrence, que ce soit dans le domaine de l’énergie ou du transport ferroviaire.

Cette pression exercée par l’Union européenne sur les finances publiques, pourrait, in fine, conduire le Gouvernement à s’engager dans la voie de cessions, plus ou moins massives, de son actionnariat au sein des entreprises publiques. D’ailleurs, une déclaration du Premier ministre faite le 5 mai dernier confirme cette tendance en annonçant la volonté de réduire la participation de l’État dans le capital « d’un certain nombre d’entreprises publiques ». En effet, l’État détient aujourd’hui l’équivalent de plus de 65 milliards d’euros de participations dans diverses entreprises.

Ces perspectives suscitent de nombreuses interrogations et des inquiétudes notamment sur l’avenir de l’entreprise publique SNCF, comme en témoigne par ailleurs la récente grève des cheminots.

En effet, alors que le projet de loi et les objectifs affichés par le ministère des transports devraient permettre la création d’un groupe public ferroviaire industriel et intégré, le spectre de la cession d’une partie du capital des entreprises publiques comme celui de l’adoption d’un quatrième paquet ultralibéral, brouille le message envoyé de renforcement de la maîtrise publique dans le domaine ferroviaire.

À ce stade des réformes engagées, il semble donc important de clarifier la position du Gouvernement en la matière et c’est l’objet de la présente proposition de résolution.

Sur le quatrième paquet ferroviaire

Alors que la réforme française se donne pour objectif de renforcer le poids du ferroviaire, d’affirmer sa dimension d’intérêt général, par la création d’un groupe public ferroviaire industriel intégré, la libéralisation annoncée des transports de voyageurs par le quatrième paquet ferroviaire risque de mettre à mal l’existence même de ce service public et ses conditions de réalisation.

En effet, l’expérience liée à la mise en oeuvre des précédents paquets ferroviaires au sein des pays membres de l’Union indique clairement que les notions de service public et de concurrence sont antinomiques.

Nous pouvons ainsi légitimement considérer que dans les secteurs où la concurrence a été engagée l’offre ne s’est pas améliorée, tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Bien au contraire, les conditions de concurrence, ont conduit l’ensemble des opérateurs, non seulement à se focaliser sur les axes rentables, comme en témoigne l’abandon du fret ferroviaire de proximité, mais également à exercer une pression inacceptable sur les conditions sociales des cheminots.

Pourtant, la création de réseaux transeuropéens reste un objectif politique pertinent permettant de favoriser une plus grande mobilité ainsi qu’un apport décisif à la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, la concurrence « libre et non faussée » a conduit uniquement à une rétraction du réseau et à l’organisation d’un dumping social et environnemental en portant comme objectif unique la réduction des coûts de production de service. Cette politique s’est faite au détriment de la sécurité des infrastructures, des personnels et des usagers.

Dans ce cadre, force est de reconnaître que la garantie d’un statut protecteur à l’ensemble des salariés du ferroviaire constitue un gage important conditionnant la réalisation d’un service public de qualité et d’un haut niveau de sécurité.

Il convient alors que la France porte, au niveau des institutions européennes, l’idée d’un moratoire sur les trois premiers paquets ferroviaires tant qu’un bilan exhaustif n’aura pas été réalisé sur les conséquences de la libéralisation en termes de service public, d’aménagement des territoires, d’évolution des trafics ainsi que sur les conditions sociales et environnementales.

Parallèlement, la France doit tenir une position extrêmement ferme sur la séparation structurelle gestionnaire d’infrastructure/opérateur ferroviaire historique et sur l’ouverture à la concurrence prévues par le projet de directives, en les condamnant puisque faisant peser un risque lourd sur la notion même de service public ferroviaire.

Il semble, dans ce calendrier serré, fondamental, que l’examen du projet de loi porté par le Gouvernement puisse se faire avant l’adoption du quatrième paquet qui risque de réduire largement les marges de manoeuvre de la France.

La définition de l’ordre du jour des assemblées parlementaires doit tenir compte de ces éléments.

Sur le projet de loi en préparation

Il semble alors nécessaire de poser la réforme ferroviaire annoncée dans le cadre d’une modernisation et d’un renforcement du service public ferroviaire.

À l’heure actuelle, et selon les éléments fournis lors de la présentation du 29 mai dernier, la réforme ferroviaire, si juste et légitime soit-elle, concernerait pourtant essentiellement les aspects de gouvernance.

Ainsi, il serait créé un groupe public ferroviaire industriel intégré composé de trois établissements publics industriel et commercial dont un EPIC-« mère » qui chapeauterait deux EPIC-« Fille ». Pour le Gouvernement, ce modèle semble le seul permettant de préserver à la fois la volonté d’une nécessaire unification de la famille ferroviaire, mais également le caractère public des différentes structures, tout en étant conforme avec la législation communautaire.

Pour autant, l’organisation syndicale majoritaire à la SNCF propose une autre réforme en réunifiant le gestionnaire d’infrastructure dans l’EPIC-SNCF tout en respectant les règles communautaires actuelles. Il sera intéressant que le ministère des transports s’exprime sur cette proposition.

Sur le fond, et au travers de cette réforme, il semble prioritaire de réaffirmer et de conforter les missions de service public qui incombent au système ferroviaire, notamment en termes de transition écologique et d’aménagement du territoire. En effet, c’est bien parce que le système ferroviaire est d’intérêt général qu’il nécessite une maîtrise publique pleine et entière. Cette maîtrise publique se construit aujourd’hui, à travers le futur groupe public ferroviaire intégré.

Notamment, alors que la transition énergétique et écologique devrait conduire à considérer le fer comme un levier important, les politiques de libéralisation ont conduit à mettre toujours plus de camions sur les routes, en condamnant les lignes fret sur les axes jugés trop peu rentables. En effet, la seule considération pour juger de la pertinence de l’offre a été celle de son potentiel économique. Il est ainsi établi qu’en dessous de 500 kilomètres, ce mode de transport ne pourrait pas être rentable. Une telle conception met à mal l’essor de l’offre multi-lots/multi-clients, pourtant essentielle pour l’aménagement du territoire et la présence d’un tissu économique local dynamique et performant.

Au regard de ces éléments, il semble important que la question du fret ferroviaire puisse être renforcée à travers le prochain projet de loi, notamment afin de déclarer cette activité d’intérêt général, permettant, selon les règles imposées par l’Europe, son subventionnement.

Renforcer le fret ferroviaire devrait également nous conduire à reconsidérer l’utilisation des lignes à faible trafic afin qu’elle soit à usage mixte, en étant le support à la fois de transport de marchandises et de transport de voyageurs.

Il conviendrait également de sanctuariser les emprises ferroviaires et notamment les gares de triage pour ne pas obérer les possibilités de relance du fret ferroviaire. Le réseau ferroviaire en étoile est un atout pour la France et le gage de la desserte de tous les territoires, il faut absolument le préserver.

Par ailleurs, aborder l’avenir du système ferroviaire sans parler de son financement conduit à écarter de fait une véritable modernisation de ce service public.

En effet, les annonces récentes conduisent à penser que faute de nouveaux financements, le nouveau groupe public ferroviaire industriel intégré fonctionnera à recettes constantes, tablant sur une augmentation de la productivité pour répondre aux défis. Cela ne peut suffire, a fortiori dans un contexte où le nombre de cheminots est en constante diminution.

Ainsi, la question reste entière. Même si elle relève principalement de la loi de finances, il semble nécessaire de porter au moment de la définition d’une nouvelle ambition pour le ferroviaire la nécessité de financements renforcés. Il s’agit notamment de la question de la reprise de la dette ferroviaire par l’État afin de développer les capacités de financement des réseaux. Il s’agit également de revoir le régime de concessions des autoroutes voire la remise en cause de leur privatisation afin de doter l’agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) des recettes nécessaires à l’exercice de ses missions. En effet, aujourd’hui, la contribution des sociétés d’autoroutes au financement de l’AFITF est moindre, alors même que la situation économique de ces entreprises est florissante. D’autre part, il convient d’affirmer que les ressources liées à l’instauration de la taxe poids lourds soient clairement affectées à l’AFITF et sanctuarisées pour permettre le développement des infrastructures ferroviaires.

De même, la réforme ferroviaire est marquée par l’acte III de la décentralisation qui porte, entre autres, le risque de l’éclatement de l’unité du réseau ferré.

En effet, même si la version actuelle a été remaniée et semble moins problématique, le projet de loi continue de susciter des inquiétudes. Si, sans nul doute, les régions doivent prendre toutes leur place dans la gouvernance du système ferroviaire, certaines orientations du projet de loi comme la possibilité d’acquérir la propriété du domaine public ferroviaire dit d’intérêt régional, peuvent mettre à mal l’unité nationale du réseau. La liberté tarifaire est également un élément de déstabilisation du caractère national de ce service public. Il est également fort à craindre qu’au regard des compétences économiques des régions, il leur soit demandé de prendre la responsabilité sur le réseau capillaire fret, puisque les régions seront compétentes pour créer ou exploiter des infrastructures de transports non urbains ferrés ou guidés d’intérêt régional. Dans ce cadre, la gestion des infrastructures pourra être déléguée à des personnes qui ne sont pas elles-mêmes fournisseurs de service de transport ferroviaire. Cela semble problématique.

D’autre part, alors que le réseau ferroviaire contribue à l’objectif défini par le présent gouvernement d’égalité des territoires, le Gouvernement est tenté par l’abandon aux régions d’une partie des trains d’équilibre du territoire. La responsabilité de l’égal accès de tous devant le service public incombe à l’État. Il est donc légitime et nécessaire qu’il reste pleinement responsable de ces lignes d’équilibre du territoire (TET). La maîtrise publique du système ferroviaire doit aussi passer par cette compétence reconnue à l’État.

Le dispositif gouvernemental peut, au regard de l’ensemble de ces considérants de contexte, apparaître fragile et lacunaire.

Il porte ainsi le risque d’un morcellement de la structure ferroviaire au sein du futur GPFII, faute de mettre en relation les objectifs de service public et les modes de gouvernance.

En outre, par le passé, la séparation en filiales de différentes activités a été le plus sûr chemin vers leur privatisation. Il semble nécessaire de clarifier et d’affirmer clairement la volonté de la France de disposer d’un outil intégralement public, d’une appartenance clairement établie des EPIC-« Fille » à l’EPIC-« Mère » permettant des relations poreuses entre les différentes structures.

À défaut, les lacunes identifiées dans le modèle actuel et l’émergence de stratégies concurrentes au sein des différents acteurs ferroviaires demeureront. La réforme ferroviaire devra répondre à ces exigences et confirmer la dimension intégrée de ce nouveau modèle ferroviaire permettant la réalisation du service public et une meilleure efficience du système.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment nécessaire, en amont des grandes décisions, qui vont être prises pour l’avenir du système ferroviaire, que le Sénat se prononce sur les principes qui doivent guider ces réformes, principes liés au caractère d’intérêt général de l’activité ferroviaire qui nécessite une maîtrise publique pleine et entière.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1er à 6 de loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,

Considérant le rôle aujourd’hui de l’entreprise publique SNCF dans la mise en oeuvre du service public ferroviaire et pour l’égalité des territoires,

Considérant l’importance de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et par conséquent de favoriser le report modal par l’essor du transport ferroviaire de marchandises,

Considérant l’importance d’unifier la gouvernance du système ferroviaire pour accroître son efficience,

Considérant que l’objectif d’un marché ferroviaire entièrement libéralisé ne permet pas de garantir les missions de service public du système ferroviaire,

Considérant qu’en établissant une obligation de séparer structurellement le gestionnaire d’infrastructure et l’opérateur ferroviaire historique ainsi qu’en obligeant les états à libéraliser les transports de voyageurs nationaux et régionaux à l’horizon 2019, le quatrième paquet ferroviaire met à mal l’ambition d’un groupe public ferroviaire intégré porteur de missions affirmées de service public,

 Considère que le quatrième paquet ferroviaire doit être repoussé par les états membres,

 Souhaite que la définition du calendrier parlementaire permette l’inscription rapide du projet de loi ferroviaire,

 Estime nécessaire que l’offre de wagon isolé soit déclarée d’intérêt général,

 Souhaite le maintien durable d’une entreprise nationale des chemins de fer à statut intégralement public, intégrée et porteuse de missions affirmées de service public voyageurs et fret,

 Estime nécessaire la reprise de la dette du système ferroviaire par l’État et la recherche de nouveaux financements pour le service public ferroviaire afin de garantir son efficacité,

 Souhaite que la reconnaissance renforcée des régions comme autorités organisatrices des transports n’acte pas le désengagement de l’État, garant de l’unicité du réseau ferroviaire et de l’égalité des territoires devant le service public.

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