Nos propositions de loi et de résolution
Suppression du refus de paiement des prestations familiales pour des enfants étrangers entrés en France hors de la procédure de regroupement familial
Par Josiane Mathon-Poinat et Le groupe CRCE-K / 27 mars 2009EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Il nous semble important de rétablir le droit aux prestations familiales pour tous les enfants entrés en France que ce soit au sein ou hors de la procédure de regroupement familial.
Il y a actuellement sur cette question une polémique car le code de la sécurité sociale tel qu’il est rédigé, et plus particulièrement l’article 512-2, conduit les Caisses d’allocations familiales à refuser les prestations aux familles dont les enfants sont venus hors du regroupement familial - parmi lesquels des étrangers vivant en France depuis longtemps, avec une carte de résident ou un autre titre de séjour - et ceci en violation de la Constitution, des traités internationaux ratifiés par la France et de la jurisprudence de la Cour de Cassation.
En effet, l’article 512-2 du code de la sécurité sociale, en excluant des prestations sociales les enfants venus en France hors du regroupement familial, contredit le principe constitutionnel d’égalité. Ce principe, énoncé par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, stipule que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. ».
Ce principe d’égalité trouve également sa traduction dans de nombreux traités internationaux ratifiés par la France et qui de fait, ne sont pas respectés par le droit interne français.
Ainsi, la convention 118 de l’Organisation internationale du travail (OIT) pose, en son article 4-1, un principe d’égalité de traitement en ce qui concerne le bénéfice des prestations de sécurité sociale.
La Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), interdit toute discrimination à raison de la nationalité en matière de droits sociaux en l’absence de toute justification objective et raisonnable.
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) dans son article 2 interdit toute discrimination qui serait notamment motivée par la situation juridique des parents. L’article 3-1 précise que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...), l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Le Conseil d’État s’est expressément prononcé sur l’applicabilité directe de cet article et considère, depuis l’arrêt Cinar du 22 septembre 1997 (analyse reprise dans le jugement du 13 mars 2000 du TASS de Vienne Époux Rahoui), que « dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt des enfants dans toutes les décisions les concernant ». Ainsi, il admet que l’article 3-1 de la CIDE institue un principe contraignant à l’égard des États signataires de ladite convention (dont la France). En outre, l’article 26 reconnaît à l’enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales. L’article 27 reconnaît le droit de tout enfant de jouir d’un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social et ajoute que les États doivent aider les parents à mettre en oeuvre ce droit en leur offrant, en cas de besoin, une assistance matérielle.
D’autre part, les Accords conclus entre l’Union européenne (UE) et des États tiers, par exemple avec l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie, posent un principe de non discrimination à raison de la nationalité, en matière de prestations familiales notamment.
– Article 68 de l’Accord euro-méditerranéen entre l’UE et l’Algérie,
– Article 65 de l’Accord euro-méditerranéen entre l’UE et le Maroc,
– Article 65 de l’Accord euro-méditerranéen entre l’UE et la Tunisie,
– Article 3 de l’Accord entre l’UE et la Turquie (décision 3/80, JOCE C 110 du 25 avril 1983).
Enfin, les conventions bilatérales de sécurité sociale, pour la plupart, prévoient l’égalité de traitement entre les nationaux des deux États parties notamment en matière de prestations familiales, et interdisent toute discrimination (par exemple, la convention France/Côte d’Ivoire du 18/01/1985, article 4) et subordonnent tout changement de législation nationale susceptible d’avoir des répercussions sur le traitement des ressortissants du pays cocontractant à une information formelle.
Ce conflit entre notre législation interne et le droit international auquel est lié la France a alors été tranché par la jurisprudence. Après plusieurs décisions (définitives) de juridictions de première instance accordant des prestations familiales à des enfants entrés hors regroupement familial, sur la base notamment de la CIDE ou d’accord UE/État tiers (TASS de Haute-Loire Yüksel c/ CAF de la Haute-Loire, 1er mars 2001), c’est à la Cour de cassation qu’il est revenu de se prononcer sur cette question. C’est en Assemblée plénière qu’elle a rendu la décision la plus significative, le 16 avril 2004 ouvrant la voie à des réclamations individuelles et affirmant que les personnes résidant régulièrement en France avaient le droit aux allocations familiales même si leurs enfants n’avaient pas suivi la procédure de regroupement familial.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a considéré que les articles L. 512-1 et L. 512-2 du code de la sécurité sociale ouvrent droit aux prestations familiales pour des enfants à charge d’allocataire étranger dès lors que ce dernier remplit la condition de régularité de séjour, définie à l’article D 511-1, sans qu’aucune condition supplémentaire ne puisse, dans ce cas, être opposée aux enfants. Elle a relevé que cette règle était conforme aux articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
Autrement dit, la naissance en France ou la production du certificat OMI (certificat obtenu dans le cadre de la procédure de regroupement familial) n’est opposable aux enfants au titre desquels les prestations sont demandées que dans l’hypothèse où cette condition de régularité de séjour posée par l’article D 511-1 ne serait pas remplie.
En outre, cette analyse coïncide avec la position de la défenseure des enfants qui, dans son rapport au comité de suivi des droits de l’enfant des Nations Unies (chargé notamment de veiller au respect de la CIDE) en mai 2004, et dans une proposition de réforme datée du 9 juin 2004, déplorait le refus par les autorités françaises d’accorder des prestations familiales à tous les enfants d’allocataires étrangers et demandait de supprimer la condition de régularité de séjour de l’enfant en ne conservant que celle du séjour de la personne qui en a la charge.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et l’égalité, en se basant sur l’application dans notre droit interne de la CEDH et de la CIDE, est arrivée aux mêmes conclusions. A deux reprises, dans deux délibérations (2006-288 et 2008-179), elle demande au ministre concerné de modifier l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale, et de supprimer l’article D 512-2 du même code.
Pourtant, à l’heure actuelle, cette situation discriminatoire perdure, et le code de la sécurité sociale n’a pas été modifié dans le sens donné par la Cour de cassation. Nous vous proposons donc à travers cette proposition de loi de mettre en conformité notre droit interne avec notre Constitution et avec les traités internationaux ratifiés par la France.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Bénéficient de plein droit des prestations familiales dans les conditions fixées par le présent livre les étrangers titulaires d’un titre exigé d’eux en vertu soit de dispositions législatives ou règlementaires soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France. »
Article 2
Les conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.